Présentation de l’ouvrage de Florent Sogni Zaou, « Vumuk’ ! Ma part de souffle » à l’Institut Français du Congo

Présentation de l’ouvrage de Florent Sogni Zaou, Vumuk’ ! Ma part de souffle, ce jeudi 15 octobre 2015, à 15h, à l’Institut Français du Congo.

Introduction:
En choisissant d’inscrire ce passage textuel emprunté à Louis Aragon comme élément titrologique de la présente communication, nous avons voulu nous installer dans une position d’exégète pour essayer de saisir,tant soit peu, la substance de cet ouvrage de Florent Sogni Zaou qui, à notre humble avis, est un espace-temps où le réel fictionnalisé expie le temps d’amertume pour construire un logos prescriptif de surpassement de soi ; d’autant plus que l’œuvretisse avec son espace d’émergence une relation qui tient du jeu spéculaire et réflexif. Autrement dit, autant le réel fonde et féconde cette parole exploratoire de soi pour l’autre et de l’autre pour soi, innervant ainsi tous les linéaments du génotexte, autant la part de souffle que le poète nous donne en communion investit ce même réel, l’exprime en ses différentes modulations historiques et socio-culturelles et le soumet à son propre questionnement. Telle est la ligne directrice, mais aussi tout le sens de cette nouvelle plaquette poétique de Florent Sogni Zaou, Vumuk’ ! Ma part de souffle, parue aux Editions Bajag-Meri, à Paris, cette année 2015, en un volume de 64 pages.

C’est un ouvrage pluriel, à résonance multiple, qui ouvre la page sombre d’un monde acquis au désenchantement et à tout ce qui relève de la maturité de la nuit. Les textes qui s’y déroulent, véritables palimpsestes de l’être intérieur du poète, ressuscitent quelques fragments de vie avant de faire découvrir au lecteur une thématique classique de la littérature négro-africaine, à savoir le passé tragique de l’homme noir victime de l’oppression esclavagiste et coloniale. Laquelle thématique installe le poète dans le temps en même temps qu’elle nous rappelle à notre devoir de mémoire de dire cette douloureuse expérience historique, non pas pour la travestir en la transmuant en « sanglot de l’homme noir », ce quecondamne d’ailleurs farouchement Alain Mabanckou dans un ouvrage homophone, mais il s’agit de dire et de lire cette histoire pour la transcender et l’émanciper de sa propre anhistoricité ou de sa propre tragédie. C’est ce que la lecture deses quarante-deux poèmes nous donne à découvrir. Mais c’est ce que nous donne à découvrir davantage encore le discours paratextuel qui accompagne ces poèmes, en l’occurrence la préface d’Omer Massoumou et la postface de Rémy Mongo-Etsion, véritables textes-miroirsqui nous restituent la profondeur spirituelle de cette poésie réaliste.

1. Seuils du texte : l’engendrement du sens
C’est d’abord par le biais du régime paratextuel en tant qu’ancrage textuel périphérique que le lecteur prend part à ce voyage épique à l’intérieur d’un univers intime. L’imaginaire créatif de Florent Sogni Zaou transpire du souffle tiède de l’émotion où le sensuel et le spirituel intiment à sa verve poétique une densité incantatoire. La mystique expiratoire ou respiratoire qui alimente le titre de son recueil, Vumuk’ ! Ma part de souffle, réactualise quelques archétypes pour nous introduire, la mémoire blessée, dans les abysses exaltés de son pathos.La libération du moi ou des choses longtemps enfouies se situe au cœur de cette symbolisation qui résume et nourrit sa quête de sens ou tout simplement sa quête d’altérité. Il suffit, pour s’en convaincre et mieux l’appréhender, de voir comment le poète ordonnance et structure ses réminiscences douloureuses qui donnent à son recueil de poèmes sa sublime pulsation, son expressivité cathartique, et le tout enrôlé dans un dualisme fondamental.
L’appareil titulaire ainsi libellé enclenche, comme le souligne Edouard Glissant, une poétique de l’Identité-Relation en tant que constante de l’esthétique littéraire de Florent Sogni Zaou. Très évocatif, ce titre devient à lui seul tout un programme qui informe sur l’intention poétique de l’auteur et sur le contenu de l’œuvre. Et l’appréhender comme tel « consiste à le prendre comme base et enjeu de signification d’abord en soi et dans ses rapports avec le texte »[1]. Cette relation de contigüité sémantique entre le hors-texte et le texte participe de la fonction métalinguistique du titre. Celle-ci se trouve renforcée parl’instance dédicatoire dans sa visée illocutoire.
En effet, la dédicace qui succède au titre en sa qualité de signifiant, est un autre paramètre de visibilité de l’écriture poétique de Florent Sogni Zaou. Elle s’inscrit également dans une logique relationnelle qui présente l’ensemble des poèmes comme point d’achèvement de son entreprise créatrice et de son humanisme intégral. C’est dans ce sens que s’explique la relation spéculaire qui s’instaure implicitement entre lui et ses personnages mythiques à qui il dédie fraternellement sa part de souffle : « A vous tous mes frères qui avez des os flexibles/ Et des veines dans lesquelles coule du sang incolore/ Buvez cette eau poétique qui est un véritable bricolage/ Pour rire de notre douleur ». Effectivement, dans sa poésie, Florent Sogni Zaou rit de la douleur comme pour s’en libérer. La dérision et l’ironie socratique qui transparaissent dans son œuvre renforcent davantage l’écho de ce rire salvateur et de cette « grammaire de la parole »par quoi le poète emprisonne la nuit pour engendrer la lumière. Telleest l’orientation critiquede la préface que signe Omer Massoumou, au seuil de cette vérité de l’existence.
L’herméneutique textuelle que le professeur Omer Massoumou applique à ce recueil de poèmessouligne cette dualité de l’écriture poétique de Florent Sogni Zaou. Après avoir rattaché son confrère et inscrit la thématique développée dans une longue tradition littéraire qui remonte aux poètes de la Négritude et à leurs émules contemporains, le préfacier voit en cette poésie la marque d’une parole qui convoque le passé, cette tragédie historique, pour tenter de « sauver de l’oubli des mots avec des visages d’un territoire où ont survécu des hommes résistants » (p. 9). Aussi écrit-il à ce propos : « On comprend finalement que cette poésie porte sur les victimes d’oppression pour lesquelles le poète revendique une mise en lumière, une vérité et une justice. Cela lui permet d’affirmer sa nature propre de passeur de mémoire » (p. 10). Cet engendrement perpétuel implique l’assomption d’un lourd héritage historique où la violence et l’inhumanité font le lit des ténèbres, de la douleur et du désespoir. En revisitant cette « blessure initiale restée béante » (p. 8), Florent Sogni Zaou s’affirme à la fois comme un veilleur et un éveilleur des consciences et se voit ainsi « investi d’une mission, celle de reprendre le flambeau afin de sortir de la nuit » (p. 10). Cette problématique existentielle que réactualise la poésie de Florent Sogni Zaou permet, selon les mots conclusifsdu professeur Omer Massoumou, « de poser et de penser la question du devenir des peuples de ce territoire désigné et de tous les autres territoires où un jour, un être humain a manqué d’être homme par la faute de la nuit » (p. 12).En ce sens, notre poète récuse la fatalité, emprisonne la nuit et inscrit l’espoir et l’altérité au centre de son lyrisme.

2. L’assomption de la douleur : une élévation thérapeutique
Les quarante-deux poèmes, structurés en quatre parties qui signent l’architecture énonciative du recueil, sont un véritable chant d’élévation, un ardent acte de foi et d’amour qui s’offre à l’humanité souffrante comme un espace-temps thérapeutique.Il s’agit en faitd’une thérapie de l’écriture et l’écriture d’une thérapie, puisque l’auteur Florent Sogni Zaou se veut tout entier poreux à l’Autre, au monde dont il porte les blessures et blâme l’injustice. La première partie de son recueil, intitulée avec raison « Nkachikand’ », c’est-à-dire « chef de famille » en langue vili, et dédiée au poète Jean Blaise Bilombo Samba l’atteste davantage autant qu’elle inaugure une parole vive, altière et recréatrice qui tend à rendre au jour sa part de rêve : « Le poète que j’essaie de vivre/ Avec mes yeux pleins de conjonctivite/ Répudie le mal et le désespoir/ Pour retirer de mes lèvres/ Le sourire » (p. 16). C’est l’urgence d’un verbe qui se fait conciliant, et surtout d’un désir épicurien de sentir et de vivre intensément la vie sans la silhouette de l’envers du soleil.
Mais répondre à une telle urgence existentielle, c’est d’abord commencer par s’assumer, s’accepter, accepter sa nature et sortir de la léthargie. Et le poète de s’intimer et de nous intimer l’ordre : « Kotukanu » (réveillez-vous !), comme pour nous éveiller à notre propre conscience. Cette parole injonctive, titre de la deuxième partie du livre dédiée à Xavier Dianga Mabicka, sans doute un proche de l’auteur, définit une démarche vers l’assomption de la douleur. Elle réfute ainsi toute logique de résignation et invite à un stoïcisme restaurateur : « Je regarde larmoyant/ L’étoile filante qui semble faire mouvoir/ Une lumière/ Refleurit mes pensées/ Et conseille à mon âme de cesser de gémir » (p. 32). Se réveiller à soi-même, c’est en fait comprendre avec Alfred de Vigny que « gémir, pleurer […]est également lâche ». Et les forces cosmiques, rassemblées en « réseaux d’associations obsédantes », sont là pour toujours nous le rappeler. Voilà pourquoi Florent Sogni Zaou prend parti, « le cœur impassible devant la douleur/ Qui se voile les yeux quand jaillit la lumière » (p. 28) de bannir le temps d’amertume pour, dit-il, « empêcher la livraison de la mort/ Qui atrophie l’existence » (p. 26), et surtout pour « remodeler le monde sans lui donner une signification » (p. 31). Mais le poète, au sens étymologique du terme, ne peut recréer ou restaurer le monde que par le pouvoir cathartique de son souffle poétique. Aussi nous invite-t-il à nous ouvrir à nous-même, à s’ouvrir à Autrui et à nous libérer de l’emprise des douleurs sous laquelle nous ployons. Alors, « Vumukanu » (respirez !).
Ce titre de la troisième partie de l’ouvrage de Florent Sogni Zaou, dédiée à son ami Germain Tchibinda, le préfacier de son roman La saison des chenilles, l’on s’en souvient, s’énonce comme le lieu de la conscience maturante où la parodie de la douleur s’intègre au mouvement constant de l’ordonnancement exorciste.L’expression de l’être intérieur devient alors le support de la possession de soi, et l’imagination, qui se veut sens de la mesure,« porte le faix de Rédemption ».Le poète est conscient de ses blessures originelles, même s’il a honte de dire au monde qu’il est « le fils infâme ».Mais c’est une infamie contre laquelle il veut lutter : « J’ai bandé mes muscles/ Combattre mon destin/ Qui ne cesse de me jouer des tours » (p. 43). Le poète veut ainsi se transporter au-delà de lui-même et s’inscrire dans l’avenir.
Et la dernière partie de son recueil, intitulée Vumuk, ma part de souffle et dédiée à Marie Blanche Mackaya, traduit cette volonté d’échapper à la nuit.Cette partie éponyme dessine les contours d’une âme qui refuse le verdict de la résignation et de l’obscurité. Florent Sogni Zaou influe alors sur le cycle des ténèbres et assigne à sa poésie une fonction transcendantale. Et dans la solitude des nuits, le poète se fait démiurge « pour réinventer la société » (p. 55). Ce pouvoir démiurgique prend d’abord forme dans la repossession de l’espoir, avant de s’enraciner dans l’humus de la surhumanité nietzschéenne. Et à lui de nous dire : « Je ne dénonce pas la déportation/ Des larmes rachetées/ Des douleurs revendues/ Il faut peut-être reprendre espoir/ Etre homme par soi-même/ Retrouver l’orgueil qui fait défaut/ Dans les cœurs de tant de personnes/ Frappées avec des fouets électriques » (p. 56). La structuration du langage poétique de Florent Sogni Zaou renferme, en dernière instance,le nectar de la confraternité littéraire et citoyenne. C’est ce que souligne la postface de Rémy Mongo-Etsion qui clôt cette partition d’exorcisme. L’artiste plasticien voit dans la poésie de son compatriote, non seulement une voix alliée qui « chante dans les champs de la douleur à exorciser, une ballade à un réconfort perpétuel, une ode à l’extrême urgence de l’acte de vivre à tout prix, quel qu’en soit le coût » (p. 62), mais aussi un hymne qui « scande avec vivacité les plus grands slogans de la solidarité confraternelle et filiale » (p. 62). Puissions-nous donc lire cet hymne au stoïcisme émancipateur !

Ourbano MBOU-MAKITA
Ecrivain et critique littéraire

ourbanombou@gmail.com

[1] André-Patient Bokiba, Le paratexte dans la littérature africaine francophone : Léopold Sédar Senghor et Henri Lopes, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 12.

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