
Kamb’Ikounga est certainement l’un des poètes congolais les moins connus mais dont l’œuvre comme un chant de cygne, propulse une parole véritablement poétique. Considéré comme météore, son souffle poétique semble intemporel et rend compte de la complexité de l’Etre, de la dialectique de l’existence, de l’amertume des jours, aussi bien d’une forme d’initiation créatrice qui d’ailleurs le place dans une posture de démiurge.
Son unique texte publié, L’Appel du Ténéré, donne sens à une poéticité irréversible où, la mouvance de la parole se dessine dans les signes du temps et se vérifie dans les réalités existentielles tant proches que lointaines. Considéré comme un chant de cygne, ce texte révèle une certaine alchimie langagière qui consacre le poète dans un hermétisme purement initiatique ou une « révolution pure du langage poétique », tant les motifs rhématiques décrits dans le texte appellent à une saisie ou une compréhension parfois surnaturelle.
Du point de vue de sa verve poétique, de la vivacité de son souffle, de sa parole ; bref, de la portée thématique de cet ouvrage légendaire, Kamb’Ikounga se révèle à nous comme un poète du soupçon, de la parole déchirante, de l’engagement strict face au dérèglement social, tout en restant attentif au bruissement de son âme. Son recueil de poèmes dévoile son propre imaginaire, la quête de soi et le dialogue tantôt brouillé avec son moi intérieur. Cette recherche métaphysique de soi, a fait jaillir en lui une forme d’obsession morbide, qui rend son existence aussi complexe qu’un texte poétique.
1. Affleurement du deuil et réalité prémonitoire
La sémantique du titre ici dévoile d’emblée, cette tragédie de l’histoire, le côté clairvoyant et mystique du poète qui déjà, qui avait la vision de sa propre mort. Car comme il affirme : « j’étais un météore qui durait trop longtemps ». Est-ce pour dire que le poète obéissait là à une mission christique ? Pourquoi envisager la mort d’une manière aussi tragique ? Est-ce une manière de se mythifier davantage comme gage réfractaire au paradoxe existentiel ?
Il y a une sorte de définition de la vie à partir de la mort. L’éloge de la mort permet de comprendre l’infinitude de l’homme devant l’immensité du monde. Certains textes révèlent cet appel pressant de la mort, et le poète n’hésite pas de dévoiler sa conception de la mort. En réalité, il semble trouver en la mort un refuge essentiel :
« Quelque chose me presse contre le temps
Et si je marchais à contre-heure !
Le temps qui passe me tue
Même les refrains aigus du vent ».
L’affirmation du poète fait également lire l’idée d’une vulnérabilité devant un monde en total bouleversement, un univers qui par conséquent le dénature. La mort devient pour le poète l’unique rempart, une manière de s’astreindre du souffle crépusculaire. Ce qui explicite la crise psychologique qui crée inconsciemment en lui un dépassement de la compréhension même du réel, une perception mythologique ou mythifiée de la mort. Le dialogue avec la mort devient pour ainsi dire, une esthétique d’approfondissement de la vie ou l’avènement d’une parole mystique ou initiatique.
C’est là l’occasion de lire une certaine clairvoyance du poète et de comprendre le dévoilement d’un champ absurde, champ absurde face au chant funeste de l’absurdité. L’évocation de la mort de cette manière, rend davantage absurde la pensée du poète, car convaincu de la brièveté de la vie et de sa singularité devant tout ce qui existe.
« Au crépuscule de cette vie
Des mimosas çà et là
Témoins de mon laps parcours
Attendront d’autres voix
S’élever pour adoucir les genêts ».
On comprend dès lors que la mort presse le poète, et sa vie n’aurait de sens particulier qu’en mourant, car tel serait le destin. Cette mort précoce s’illustre comme l’aboutissement d’un désir prémonitoire qui sacralise son existence. L’obsession de la mort, ou ce que Jessy Loemba appelle : « la passion tragique » ; n’est pas une affabulation du destin, mais plutôt une consécration au versant divinatoire des mythes. Du point de vue de la force créatrice et de l’esprit dialogal du poète avec les muses, il y a lieu d’affirmer que la poésie au sens noble, est avant tout spirituelle et mystique. Le mysticisme poétique place alors la poésie de Kamb’Ikounga entre l’induction et la déduction. Cette dialectique du réel fonctionnel prouve tantôt la capacité du poète de pressentir ou de saisir le cosmos par prémonition. Ainsi, comme l’estime Jean-Bellemin-Noel : « La magie de la poésie, c’est de nous rendre capables de pressentir, de ressentir au-delà du sentiment[1] ». Le pressentiment poétique se vérifie dans cette suite tragique, mais dont la matérialisation du cosmos à travers le vers vivifie la pensée du poète au-delà de la mort. Bien que mort à fleur d’âge, ce qui en rien n’annule la juvénile assomption de sa créativité, c’est-à-dire une maturité de l’art acquise précocement. Son discours opaque pour le lecteur moyen, disons troublant et énigmatique, fustige l’opacité même de la vie, ce qui le rapproche de Rimbaud ou de Lautréamont, lesquels ont su décrypter la magie des mots pour dessiner les énigmes.
Le poète a ce privilège d’interpréter les signes précurseurs de la mort tout en donnant sens à sa propre mort. Ce qui en revanche traduit la folie de l’écriture ou des poètes les plaçant à la lisière du réel et du surréel. Pour le poète Moustapha Chelbi :
« L’écriture est autre
Elle est folle indépendance
Et fille révoltée des formes
Elle meurt en s’écrivant[2] »
La fonction paradoxale du poète le rend davantage incompris dans la société. Cependant, il demeure le mieux à comprendre cette société, d’où son implication dans la dénonciation, surtout quand il s’agit de dire sans détour les incertitudes voilées ou dévoilées des jours.
2. Incertitudes des jours, dire le cafard de l’existence Le poète semble « assumer le poids des mots/ Les mots étoiles du silence/ Les rapports soleils de la distance », tout en s’interrogeant personnellement avant d’interroger le monde. Il est resté préoccupé par les tribulations de son époque. L’écriture poétique participe à une autoanalyse personnelle dans l’optique d’une saisie rationnelle du monde. Son cri interprète les rayons lumineux de la paix, la permanence de nos « idées-actions » pour un monde en toute conformité. C’est dire la sacralité de l’Etre au-delà des soupçons, la parole salvatrice et son propre acte expérimental ; de ses pensées et de ses actions. C’est là, une manière de s’autoanalyser à travers un lyrisme palpitant et vacillant. Pour Gérard Bonnet : « s’autoanalyser, c’est d’abord expérimenter l’existence de l’inconscient et son action, à tous les moments et dans les secteurs de la vie[3] ». A travers cette contribution de l’inconscient se
confirme une dimension religieuse bien que paradoxale de certains de ses vers. Car quand son cœur se fractionne devant l’immensité des incertitudes, c’est justement sa foi chrétienne qui lui sert de consolation. Il s’exclame en effet :
« O mon Dieu
Comme cet instant est
Lourd dans ma tête ».
L’évocation de Dieu ici, facilite la compréhension de cette image obsédante de la mort qui traverse son œuvre. L’affleurement de soi se lit dans cette conversation douloureuse avec la fatalité. L’incapacité devant la douleur l’amène à considérer ou à reconnaitre la miséricorde d’un Etre suprême, donc sa croyance en Dieu. Cette évocation abolit une quelconque laïcité du poète face à l’urgence d’une parole mystérieuse et initiatique. Partant de là, le lecteur perçoit mieux son imaginaire troublant et surtout s’aperçoit du lyrisme pathétique qui s’y déploie sans cesse. Le poète n’hésite pas d’élucider son accablement ou le cafard existentiel auquel il est confronté ; le chavirement hasardeux du temps et les tourments des lendemains :
« Les malheurs m’accablent
Comme toujours l’angoisse des lendemains
Blessé je le suis
Dans le dénuement mais acharné ».
Cet extrait qui révèle sa victimisation témoigne de la fragilité du poète face aux épreuves, en considérant l’écriture comme rempart. La douleur intermittente attise son pessimisme jusqu’à esquisser un chant funeste pour les lendemains. Ce qui le rapproche de Paul Verlaine lorsque ce dernier écrit dans « chanson d’automne » :
« Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une longueur Monotone[1] »
L’incertitude des jours se dit avec force dans cette poésie de Kamb’Ikounga, tant le diagnostic posé sur un social scabreux prouve sa volonté de postuler le changement. L’affleurement de soi se détermine par ces « angoisses des lendemains ». Ce registre de la douleur explicite cette monotonie infernale de l’existence à laquelle il est confrontée. Le poète de ce fait, devient tel un soleil déplumé qui ne peut illuminer sur la face de la terre que des jours odieux. Ce qui le pousse à écrire :
« La nuit me guette
Du soleil il m’est
Resté l’illusion
Du cycle couchant
Je ne saurais être
De soucis et de souvenirs »
Poésie du déchirement de soi et servant ipso facto de possibilité de se psychanalyser personnellement, tout en dévoilant les absurdités sociales, celle-ci reste tout de même marquée par un fort désir de promouvoir les valeurs culturelles ancestrales.
3. Porter haut ses racines, s’enraciner dans son terroir
Kamb’Ikounga n’est pas en marge de la trajectoire thématique inspirée par ses précurseurs. Dans L’Appel du Ténéré, le lecteur retrouve une sorte de partage des savoirs ancestraux. Le positionnement du poète face aux richesses culturelles des ancêtres le rapproche bel et bien de Jean-Baptiste Tati Loutard (Racines congolaise), de Marie-Léontine Tsibinda (Poèmes de la terre), d’Eugène Ngoma (Primitives) ou de Dominique Ngoi-Ngala (« Prière d’être enterré à Mandou »), dans cette quête des origines. Cette quête marque un élan d’Africanité qui s’appréhende dans une logique de convergence entre les cultures. Il en précise la portée lorsqu’il écrit :
« Je louerai mes ancêtres car,
Pareil à la plante, je serai une fleur
Qui toujours s’enracine dans
Les traditions géographiques et sociales ».
Outre cette précision sur son rapport aux ancêtres, nous découvrons également dans le texte de Kamb’Ikounga ce même désir sur plusieurs plans. Le texte est totalement traversé par les marqueurs d’oralité, une discursivité qui sans pareil, valorise le terroir du poète. C’est donc un poète féru des connaissances traditionnelles, aussi bien des mythologies antiques. L’écriture proverbiale, aussi bien des traces linguistiques propres à son département d’origine (à savoir la Lekoumou) sont à découvrir avec force dans ce recueil de poèmes.
Rosin Loemba
Ecrivain et critique littéraire
rosinloemba@gmail.com
[1] Jean Bellemin-Noel, Interlignes. Essais de textanalyse, Lille, PUL, 1988, p.89.
[2] Moustapha Chelbi, La Chute vers le sommet, Paris, Edition Caractères, 1978, p.24.
[3] Gérard Bonnet, L’Autoanalyse, Paris, PUF, 2006, p.4.
[4] Paul Verlaine, « Chanson d’automne », Poèmes saturniens. Suivi de Fêtes galantes, Paris, Flammarion, Coll. « Librio », 2009, p.34.
Références bibliographiques
Jean Bellemin-Noel, Interlignes. Essais de textanalyse, Lille, PUL, 1988, p.89.
Moustapha Chelbi, La Chute vers le sommet, Paris, Edition Caractères, 1978, p.24.
Paul Verlaine, « Chanson d’automne », Poèmes saturniens. Suivi de Fêtes galantes, Paris, Flammarion, Coll. « Librio », 2009.
Gérard Bonnet, L’Autoanalyse, Paris, PUF, 2006.