Congo. Henri Djombo gratifié à la 15ème édition des 72 heures du Livre de Conakry

Congo. Henri Djombo gratifié à la 15ème édition des 72 heures du Livre de Conakry

Les 72 heures du Livre de Conakry est un événement culturel organisé en marge de la célébration de la journée mondiale du Livre et du droit d’auteur, le 23 avril de chaque année. Cette 15e édition a été célébrée autour du thème suivant : « Afrique, Littératures et Identités », elle a connu la participation des acteurs du livre et de la culture venus de Guinée, d’Afrique et du Monde. Invité à cette manifestation qui s’est déroulée du 23, 24 et 25 avril 2013, l’écrivain Henri Djombo de la République du Congo s’est vu décerner par le comité d’organisation « le Trophée spécial des 72 heures du Livre de Conakry » pour l’ensemble de son œuvre. Ce jour-là, il a été désigné Ambassadeur de l’événement. Il s’est dit heureux d’honorer par sa plume à la fois les lettres congolaises et africaines. Henri Djombo a eu l’occasion d’échanger sur place avec de nombreux éditeurs et écrivains et de présenter au public son nouvel ouvrage publié aux Éditions Continents à Lomé, en avril 2023 : Ce que dira de nous demain. Sa notoriété a traversé les frontières. Il est lauréat de plusieurs prix internationaux et nationaux parmi lesquels : Prix de la meilleure œuvre dramatique (2013), Prix Amadou Cissé Dia du Théâtre (2018), Prix Toussaint Louverture (2019), Prix Séry Bailly (2019), Prix spécial (2019), Prix Jean Malonga (2020), Prix du meilleur roman de la Saison des Lettres congolaises (2022), Prix Filiga du livre et des arts africains (2022), Prix Alioume Diop (2022). Rosin LOEMBA

Poésie congolaise : L’HOMME ! ce moustique sous les tropiques de Pierre Ntsemou

Poésie congolaise : L’HOMME ! ce moustique sous les tropiques de Pierre Ntsemou

LIVRES. L’œuvre de Pierre Ntsemou se singularise, à première vue, par son caractère polygénérique. Elle est de ce fait, considérée comme un réquisitoire des genres littéraires avec des formes stylistiques qui rappellent certains classiques de la littérature française. C’est davantage croire, au-delà de ses quelques traits classiques, à une œuvre qui traduit la pluralité des mondes, la diversité des champs et la polysémie des réalités. La composition plurielle de son œuvre, le foisonnement des cultures et des horizons dans celle-ci, traduisent un bouleversement stylistique de la notion des genres littéraires. La transgression formelle et stylistique, quand bien même, inaugure un imaginaire personnel, néanmoins l’œuvre reste marquée par des thématiques qui semblent authentifier un certain « moi créatif », celui de l’auteur qui ne peut se donner au monde qu’en révélant ses propres mobilités, sa propre sensibilité et ses obsessions vis-à-vis du malaise social et des déviances humaines. Cette transposition des réalités personnelles, ou cette tendance scripturaire métaphorisant favorablement le « moi », est sans nul doute perceptible dans son dernier recueil de poèmes publié, à savoir : L’HOMME ! ce moustique sous les tropiques. Cette œuvrefait lire une diversité de thèmes, autant les différents poèmes dans leur progression thématique, marque un itinéraire, une démarche qui semble déduire le murissement, la consécration du poète dans l’art poétique. On comprend dès lors le mythe personnel de Pierre Ntsemou et sa raison fonctionnelle d’écrire, sa vision de la littéraire et du monde. Ainsi, dès le titre, l’ouvrage semble mettre en exergue une forme de déconstruction des énigmes ou de consubstantialité poétique. La problématique repose sur l’instance ontologique, aussi bien sa métaphorisation par rapport à une donnée dérisoire de l’existence. Le discours métaphorique donne lieu à un constat, une observation psycho-sociale qui déconstruit l’altérité, car le rôle et l’action du moustique à qui est comparé L’HOMME, seraient nuisibles, dénotant le machiavélisme. Ce qui nous rapproche inéluctablement de la pensée, à notre avis, moins concertante de Jean-Paul Sartre : « l’enfer c’est les autres ». L’Homme serait-il forcément un moustique comme le suppose le poète ? Est-ce là une manière de comprendre une blessure psychologique qu’aurait subie le poète vis-à-vis de ceux qui l’entourent ? Il se dégage là une forme de pessimisme à l’égard des relations humaines, mais qui illustre une prise de conscience ou un rappel à l’ordre sur le vivre ensemble ou le « choc de la diversité ».  La notion de la consubstantialité s’illustre par l’élan fonctionnel que Pierre Ntsemou assigne à sa poésie, disons, à l’écriture ; la fonction démiurgique de l’écrivain face aux dérives sociales et humaines. Il est question de considérer l’écriture comme un vecteur, non pas seulement de prédication des valeurs humaines, mais aussi, un moyen de catharsis, de purification et d’irrigation des valeurs.  Pierre Ntsemou révèle avec force la nature complexe de L’Homme, tout en dénonçant l’hypocrisie, la fourberie et la haine qui, très souvent, le caractérisent. Au centre de cette écriture, il y a lieu de cerner cette déconstruction des énigmes, et la mise en place des préjugés qui contribuent à l’effondrement du tissu social. Le dévoilement de cette nature humaine participe à une moralisation à l’image de la Rochefoucauld ou de la Bruyère, comme pour rompre avec une déviance systémique qui occasionne des divisions entre les peuples, les conflits et les guerres. La complexité et le paradoxe d’une telle identité sont l’œuvre d’un inconscient dévastateur qui ne peut permettre l’harmonie sociale. Pierre Ntsemou écrit à propos de cette nature de L’HOMME :       Phénomène qui nous malmène Il est tout aussi bien félin coquin Que par son bon cœur du divin Un bien adorable ange qu’on aime. « L’HOMME ». Cet extrait évoque le caractère insaisissable de L’HOMME, et se rapproche de l’affirmation de Hobbes, selon laquelle : « l’homme est un loup pour l’homme ». En réalité, cette duplicité caractérielle cristallise le déchirement sur tous les plans, occasionne le repliement identitaire et l’intolérance. Tout se  passe comme si Pierre Ntsemou postulait le nouvel homme, doté des aptitudes surhumaines. La problématique de L’HOMME dans son rapport humain, ainsi que dans son rôle social pousse  le poète à s’imaginer l’archétype essentiel, surtout quand il s’agit de redéfinir l’altérité au sens noble du terme. C’est justement une manière pour le poète d’appeler à la jonction des mondes, comme l’affirme Merleau-Ponty dans une formule tout à fait simple : «  Une confirmation d’autrui par moi et de moi par autrui ».  La dimension humaniste de cette poésie qui, non seulement, envisage L’HOMME dans sa valeur cardinale, conduit le poète à avoir une pensée pour son peuple, une manière de prendre position afin de rétablir le tissu social et surtout d’appeler  au changement des mentalités et au rapport des politiques dans la gestion de la société. Il est question de réfléchir sur la vulnérabilité des peuples dans les moments électoraux par exemple, aussi bien d’envisager la conscience patriotique et nationaliste à tous les niveaux. Face à cette vulnérabilité qui fait du peuple un cheval de bataille pour les hommes politiques apatriques, gagnés par la mégalomanie, la boulimie effrénée du pouvoir, Pierre Ntsemou devient comme l’estime Tchicaya U Tam’si, le poète « d’un immense fouilleur des ombres/ et de tout être ».  Il écrit à propos du peuple :       Il est de tous les discours les plus lénifiants Il est de la farce le dindon de la poêle cuisant Sur la langue gourmande du Prince Il est de tous les recours pour trinquer l’ivresse du pouvoir. « LE PEUPLE ! ». Cela atteste d’une inspiration sociale et humaine, le poète qui exprime sa sensibilité et fustige l’exclusion. Nous remarquons également dans cette poésie de Pierre Ntsemou, la soif ardente de dire le Congo dans ses profondeurs ou de stipuler le changement parfait.  Le chant sur le Congo, déjà présent chez les poètes congolais comme Tchicaya U Tam’si, Jean-Baptiste Tati Loutard ou Sony Labou Tansi, Jean-Blaise Bilombo Samba, Huppert Malanda et Florent Sogni Zaou, ravive la flamme nationaliste de Pierre Ntsemou afin de dessiner véritablement l’avenir du Congo. L’attachement à la patrie fait que le poète s’approprie un Congo imaginaire comme pour chanter l’unité des peuples. Nous étions pourtant un Dois-je vraiment te supplier

Poésie congolaise : La foi de Ferréol de Ferréol Gassackys

Poésie congolaise : La foi de Ferréol de Ferréol Gassackys

La République du Congo demeure un gisement littéraire indéniable, les œuvres parues retentissent comme des ressacs, des vagues de lumières ; l’apologie du sens littéraire donne lieu à une forme d’existence qui ne s’affirme que par l’écriture : « j’écris donc j’existe ». Depuis l’année derrière, Monsieur Ferréol Gassackys s’est illustré grâce à son roman (Les Hasards du destin), comme un écrivain. A cet effet, il participe pleinement à la construction des valeurs nationales de cette littérature congolaise, comme le confirme davantage la parution en cette année de ses deux autres ouvrages, Frikia, pèlerin des âges (Roman, L’Harmattan-Congo) et La foi de Ferréol (Poésie), aussi bien de l’anthologie sur le Covid-19 qu’il a cordonné en collaboration avec Exaucé Elvez Ngaba. La foi de Ferréol qui nous intéresse particulièrement maintenant, est un recueil de 41 poèmes pour un volume de 66p, publié aux Editions Renaissance Africaine en France. « La parole poétique » de Ferréol Gassackys ainsi que l’appréhende le préfacier du livre, notamment Exaucé Elvez Ngaba, est digne d’intérêt de par la diversité et l’actualité des thèmes qu’elle exploite, la recherche ou la quête de soi, de l’autre et les interrogations sur l’existence. Le titre est à première vue interpellateur. Il est le dévoilement direct du sujet, selon que le poète affiche une forme de mythologie personnelle qui l’implique explicitement dans le texte au travers de son prénom, Ferréol, et sert de désignation précise d’une donnée spirituelle, à savoir sa foi. L’énoncé titrologique connote donc une sorte d’humilité et de sermon poétique, ou d’affirmation de soi dans la simplicité ou la simplicité affirmée sans ambages. Cette même parole poétique devient moins vacillante et moins hésitante, il s’agit de s’identifier personnellement, de se remettre en question ou d’exprimer une marque de fierté et de courage. Cependant, loin d’afficher une posture de cloisonnement ou de proposer une démarche arrogante et exhibitionniste, cette foi de Ferréol réinvente un paradigme hymnaire sur les valeurs foncièrement humaines, sur l’établissement d’une conscience historique, comme nous le découvrons dans certains poèmes de l’œuvre. Qu’est-ce à dire réellement ? Dès le premier poème du recueil, à savoir « La Pluie », on ressent le désir du poète de dessiner l’imaginaire social du poète et de rendre compte de son réalisme devant l’ampleur des catastrophes naturelles. L’auteur s’initie à une esthétique stendhalienne, en considérant l’écriture ou la parole comme un miroir, une image ou un calque.  C’est ce qui fait que devant le spectacle de la pluie, de ses « désolations et périls funestes », qu’il s’engage dans une démarche écologique ou environnementale, comme nous le découvrons de façon aussi singulière dans le théâtre de Henri Djombo. De ce même réalisme, se définit une volonté primesautière de rebondir sur l’immortalité de ses « chers disparus » et de montrer son attachement au passé, aux ancêtres, disons à toutes les valeurs enfouies  et qui méritent d’être ressassées. La quête profonde de cette immortalité le plonge dans une obsession, ce qui fait que le rappel à ces lumières éteintes et qui demeurent de façon tacite, soit une forme d’hommage. Il affirme à juste titre : « Ce sanglot invisible ne cesse de me poursuivre Me rappeler combien vous demeurez en moi Statues pleurant de douleurs mais sans larmes Je ne vous oublie point » (« A nos chers disparus », p.18) L’auteur implore la présence de ses « chers disparus » comme pour galvaniser la mémoire collective. Ce ressassement de la mémoire permet de mieux comprendre sa conception des morts, ce qui en revanche vitalise sa marque d’ancestralité. La poésie de Ferréol Gassackys devient alors le lieu et le moment du resurgissement et du renouvellement de la parole ancienne. Comme dirait Mukala Kadima-Nzuji, il s’agit de Redire les mots anciens, mieux, dire et redire des mots pour les anciens, mais toutefois avec un penchant rationaliste. Cette même ancestralité sous forme d’attachement et de mémoire valorisante, engage tantôt le poète dans une démarche historique, surtout quand il est question d’exhumer la pensée panafricaniste au-delà de la « mélancolie incurable ». Ce qui par ailleurs l’amène à promouvoir certaines figures mythiques de cette Afrique profonde. La promotion de ces figures titulaires appelle sans cesse à une prise de conscience collective, à l’imprégnation rationnelle de la mémoire ou de l’histoire collective. Le rappel historique engrange une saisie de l’héritage idéologique afin de renforcer les socles de la postérité. La poésie est conçue de ce fait, comme le lieu de rendre un hommage mérité à des martyrs de la liberté, de propulser la fierté nationale et de promouvoir l’espace humain ou géographique. Comme bon nombre de poètes et chanteurs congolais (rive gauche et droite), Ferréol Gassackys chante Le Fleuve Congo comme non seulement la symbolique de l’immensité, de l’infinité, mais aussi de la richesse et la mémoire. C’est ainsi qu’il écrit : « Dans ta profondeur insondable Tu es refuge et autre Sur les hauts plateaux Tu regorges de tant de trésors et souvenirs » (Cf. « Fleuve Congo », p.46) La proximité de Ferréol Gassackys avec certains poètes congolais se dévoile surtout dans cette dimension onirique et symbolique du Congo, et plus particulièrement en ce désir nationaliste et l’exploration, néanmoins, d’une conscience historique. Nous avons là un poète qui se veut avant tout observateur de la société, avant de l’exploiter dans une optique interpellatrice, même quand il s’agit d’exprimer son « moi lyrique » ou de jeter les bases de sa foi. Certains poèmes dévoilent la foi du poète, sa croyance religieuse, son rapport à la religiosité, à la piété et à la morale. Ferréol Gassackys ne s’empêche pas également d’exalter la femme dans une dimension senghorienne, celle qui, par métonymie, désigne un microcosme planétaire. Les poèmes comme « Comment te dire ? », « Les fruits défendus », « Toi », « Ma Nymphe » et « Ma belle plante » sont un véritable hymne à l’amour. En définitive, La foi de Ferréol de Ferréol Gassackys s’appréhende comme un sermon poétique où la filiation débordante du moi ravive tantôt la mémoire collective, rend hommage aux figures tutélaires et à la parole libératrice, sans toutefois oublier la quête d’un nationalisme constructeur. En dépit de quelques peccadilles qui parsèment de bout en bout le texte, ce recueil de poèmes inaugure une parole vivante, une

Littérature congolaise : Même les nuits denses ont leur lumière[1] de Sauve-Gérard Ngoma Malanda

Littérature congolaise : Même les nuits denses ont leur lumière[1] de Sauve-Gérard Ngoma Malanda

De la poésie à la nouvelle, l’écriture de Sauve-Gérard Ngoma Malanda entremêle une forte poéticité de dire l’existence et de rendre attrayant le discours à travers la notion de la littérarité. Sa prose narrative, Même les nuits denses ont leur lumière, pose un problème de brièveté du discours, répondant certes à la normalisation du cadre générique de l’écrit (la nouvelle comme genre), mais s’ancre également dans un imaginaire socio-culturel bien défini, tout en traduisant un lien étroit avec la société congolaise à partir des thèmes qu’elle développe. Dès la préface de l’œuvre, Boniface Mongo-Mboussa tente de situer l’auteur dans le sillage de la littérature congolaise, et rapproche son écriture, du point de vue thématique, à celle de Jean-Baptiste Tati Loutard, notamment dans cet art de dire les « chroniques congolaises » sur le plan sociologique et anthropologique. Ce qui, en revanche, permet l’identification directe du lecteur congolais aux différentes réalités mises en exergue. Dans ce sens, les différentes nouvelles proposent une vitrine simple et complexe de la société congolaise dans une certaine mesure. S’articulant autour de cinq nouvelles : « une sorcière à via Karta », « Peaux de banane », « Mambou la fille », « le supplice de Mpassi Ndzolufua », et « la fille au parapluie », ce recueil pose en réalité les problèmes très courants des sociétés actuelles, et dénonce les crises morales et  certaines réalités traditionnelles rétrogrades, à l’instar de la perception de la mort et du double fantomal. Il est question de faire de l’œuvre littéraire  un réel miroir, en soulevant de nombreuses questions sociales, sans en revanche, en donner les pistes de solutions de façon directe. C’est aussi là l’un des rôles de l’écrivain, en suscitant la participation de tous dans la résolution des problèmes soulevés. Chacune de ses nouvelles se terminent par un suspens des faits, comme pour inciter le lecteur à une réflexion personnelle. La nouvelle « une sorcière à Via Karta » semble traduire le contraste de certaines pratiques entre la tradition et la modernité. Ce contraste se situe sur la « modernisation » ou l’affabulation de l’acte sexuel, à travers la relation transgénérationnelle entre un sexagénaire et une fille de seize. Ainsi, l’expertise sexuelle de la jeune fille devient un acte de sorcellerie pour le sexagénaire. Ce dernier devient plus qu’une proie, et ne peut  supporter sa boulimie sexuelle qui devient plus qu’affolante. La nouvelle paraît comique certes, mais développe deux points importants : La délinquance sénile d’une part, et l’adhésion à des pratiques sexuelles tantôt non commodes ou contraires à des cultures propres.  Il s’agit là des abus sexuels dus à une conscience sénile dépravée. Cette délinquance sénile procédant du harcèlement et du viol, se découvre également dans « Mambou la fille ». Le problème qui se pose ici, est surtout celui de l’abus sexuel, de l’instrumentalisation de la jeune fille et de l’immoralité. Dans l’ensemble, cette manière de l’auteur de dévoiler la société, ne va pas sans l’idée d’une quelconque dénonciation. C’est une manière de rétablir le sens, et d’appeler à la conscientisation de tous, sur les pulsions libidinales, et à la chosification de la femme dans certains univers sociaux. Rosin Loemba [1] Sauve-Gérard Ngoma Malanda, Même les nuits denses ont leur lumière, Paris, L’Harmattan, 2018.

Vient de paraître : « Emmanuel Macron : Un président atypique apostrophé par les Gilets jaunes » d’Emmanuel Ngono

Vient de paraître : « Emmanuel Macron : Un président atypique apostrophé par les Gilets jaunes » d’Emmanuel Ngono

L’essai portant le titre Emmanuel Macron : Un président atypique apostrophé par les Gilets jaune d’Emmanuel Ngono vient tout récemment de paraitre aux Editions Cana, en France. Comme le titre l’indique d’emblée, il s’agit d’une esquisse de réflexion sur le pouvoir politique d’Emmanuel Macron, ses atouts et ses failles, ainsi que sur les causes des revendications des Gilets jaunes et la possibilité d’une sortie de crise efficace. Le livre compte au total cent (100) pages, reparties en sept chapitres, avec des problématiques bien claires et un recours abondant à la littérature existante pour rendre plus cohérente l’argumentation. Dans un premier temps, l’auteur essaie de peindre le contexte politique français en rappelant les traits de convergence et de divergence qui caractérisent  justement les présidents de la Ve République en France. Pour cela, de sa part, bien qu’ayant un parcourt commun avec ses prédécesseurs, notamment sur le plan scolaire, universitaire et professionnel, Emmanuel Ngono montre quand même à quel point la présidence d’Emmanuel Macron est rendue beaucoup plus singulière grâce à une posture plus énigmatique et novatrice. Il semble se définir par son audace aussi bien la confiance en soi, présentant ainsi un parcours politique atypique. Comme l’écrit l’auteur : «  De l’avis de ses anciens proches, Emmanuel Macron est un jeune homme à la fois téméraire et audacieux, décidé à briser les tabous ». Son anticonformisme peut par exemple se lire à travers sa relation avec Brigitte qui fut d’ailleurs son enseignante. Non seulement il est considéré comme le plus jeune président de la République française (élu à 39 ans), il reste quand même gagné par une volonté pluraliste de vouloir travailler avec toutes les couches, de considérer tout le monde à sa juste valeur. Ce n’est pas que l’auteur a tenté de brosser une biographie totale du président français, mais l’évocation de cette singularité du président français actuel, lui permet  à juste titre de comprendre la problématique réelle de la grève des retraités dont il tente d’explorer les contours. L’explication des causes d’une telle grève générale et qui a largement fragilisé le pouvoir politique d’Emmanuel Macron a permis de rappeler les profonds problèmes de la France de façon générale, en montrant à quel point cette crise ne serait que la conséquence d’un disfonctionnement politique et social plus qu’alarmant. En fin de compte, il s’agit de l’inégalité ou de la discrimination de certaines classes sociales, ce qui donne lieu à une frustration généralisée de certains peuples se sentant défavorisés. L’auteur l’explique en ces termes : «  On peut retenir que les pratiques de la classe dirigeante donnent à croire qu’elle a opté pour la marginalisation de l’intérêt général au profit de ses intérêts égoïstes. Elle a ainsi décidé de se constituer en minorité d’en haut, composée des Françaises et des Français qui ont fait de la fonction publique un métier comme les autres, au mépris du peuple grâce auquel ils existent et au nom duquel ils parlent et agissent » (p.31) En fait, l’auteur essaie de circonscrire cette problématique des retraités, en partant des causes à la fois lointaines et proches. C’est dire que le mouvement des Gilets jaunes serait l’expression d’un ras-le-bol collectif dont Emmanuel Macron ne serait autre qu’un bouc émissaire. Il serait intéressant de revoir un certain nombre de choses sur le plan économique, social et politique afin de s’ouvrir à d’autres perspectives de gestion adéquate de la retraite. Pour l’auteur, Emmanuel Macron propose certes une République exemplaire, celle qui implique à la fois une France unie et solidaire et une nouvelle gouvernance de la République, cependant il faut pour remédier à la grande crise des Gilets jaunes qui a largement secoué son pouvoir, il faut revoir le système de protection sociale ; la garantie et la flexibilité de l’emploi ; le traitement de l’emploi des femmes en assurant une égalité des salaires entre l’homme et la femme ; le regard sur les allocations de chômage ; la prise en compte de l’évolution de l’espérance de vie ; une attention particulière au système éducatif ainsi qu’une reforme consensuelle. Très limpide dans le style, ce livre d’Emmanuel Ngono est une contribution au réalisme politique d’une France réellement unie et solidaire. Il serait intéressant de le lire et de réfléchir tant soit peu sur les propositions que l’auteur essaie de proposer pour une sortie définitive de crise des Gilets jaunes. Toutefois, nous vous informons que l’on peut commander le livre en version papier auprès des Editions Cana : www.franckcana.com Rosin Loemba

Poésie congolaise : « L’Appel du Ténéré » de Kamb’Ikounga : Affleurement de soi et amoncellement d’étoiles

Poésie congolaise : « L’Appel du Ténéré » de Kamb’Ikounga : Affleurement de soi et amoncellement d’étoiles

Kamb’Ikounga est certainement l’un des poètes congolais les moins connus mais dont l’œuvre comme un chant de cygne, propulse une parole véritablement poétique. Considéré comme météore, son souffle poétique semble intemporel et rend compte de la complexité de l’Etre, de la dialectique de l’existence, de l’amertume des jours, aussi bien d’une forme d’initiation créatrice qui d’ailleurs le place dans une posture de démiurge. Son unique texte publié, L’Appel du Ténéré, donne sens à une poéticité irréversible où, la mouvance de la parole se dessine dans les signes du temps et se vérifie dans les réalités existentielles tant proches que lointaines. Considéré comme un chant de cygne, ce texte révèle une certaine alchimie langagière qui consacre le poète dans un hermétisme purement initiatique ou une « révolution pure du langage poétique », tant les motifs rhématiques décrits dans le texte appellent à une saisie ou une compréhension parfois surnaturelle. Du point de vue de sa verve poétique, de la vivacité de son souffle, de sa parole ; bref, de la portée thématique de cet ouvrage légendaire, Kamb’Ikounga se révèle à nous comme un poète du soupçon, de la parole déchirante, de l’engagement strict face au dérèglement social, tout en restant attentif au bruissement de son âme. Son recueil de poèmes dévoile son propre imaginaire, la quête de soi et le dialogue tantôt brouillé avec son moi intérieur. Cette recherche métaphysique de soi, a fait jaillir en lui  une forme d’obsession morbide, qui rend son existence aussi complexe qu’un texte poétique. 1. Affleurement du deuil et réalité prémonitoire La sémantique du titre ici dévoile d’emblée, cette tragédie de l’histoire, le côté clairvoyant et mystique du poète qui déjà, qui avait la vision de sa propre mort. Car comme il affirme : «  j’étais un météore qui durait trop longtemps ». Est-ce pour dire que le poète obéissait là à une mission christique ? Pourquoi envisager la mort d’une manière aussi tragique ? Est-ce une manière de se mythifier davantage comme gage réfractaire au paradoxe existentiel ? Il y a une sorte de définition de la vie à partir de la mort. L’éloge de la mort permet de comprendre l’infinitude de l’homme devant l’immensité du monde. Certains  textes révèlent cet appel pressant de la mort, et le poète n’hésite pas de dévoiler sa conception de la mort. En réalité, il semble trouver  en la mort un refuge essentiel : « Quelque chose me presse contre le temps Et si je marchais à contre-heure ! Le temps qui passe me tue Même les refrains aigus du vent ». L’affirmation du poète fait également lire l’idée d’une vulnérabilité devant un monde en total bouleversement, un univers qui par conséquent le dénature. La mort devient pour le poète l’unique rempart, une manière de s’astreindre du souffle crépusculaire. Ce qui explicite la crise psychologique qui crée inconsciemment en lui un dépassement de la compréhension même du réel, une perception mythologique ou mythifiée de la mort. Le dialogue avec la mort devient pour ainsi dire, une esthétique d’approfondissement de la vie ou l’avènement d’une parole mystique ou initiatique.   C’est là l’occasion de lire une certaine clairvoyance du poète et de comprendre le dévoilement d’un champ absurde, champ absurde face au chant funeste de l’absurdité. L’évocation de la mort de cette manière, rend davantage absurde la pensée du poète, car convaincu de la brièveté de la vie et de sa singularité devant tout ce qui existe. « Au crépuscule de cette vie Des mimosas çà et là Témoins de mon laps parcours Attendront d’autres voix S’élever pour adoucir les genêts ». On comprend dès lors que la mort presse le poète, et sa vie n’aurait de sens particulier qu’en mourant, car tel serait le destin. Cette mort précoce s’illustre comme l’aboutissement d’un désir prémonitoire qui sacralise son existence. L’obsession de la mort, ou ce que Jessy Loemba appelle : « la passion tragique » ; n’est pas une affabulation du destin, mais plutôt une consécration au versant divinatoire des mythes. Du point de vue de la force créatrice et de l’esprit dialogal du poète avec les muses, il y a lieu d’affirmer que la poésie au sens noble, est avant tout spirituelle et mystique. Le mysticisme poétique place alors la poésie de Kamb’Ikounga entre l’induction et la déduction. Cette dialectique du réel fonctionnel prouve tantôt la capacité du poète de pressentir ou de saisir le cosmos par prémonition. Ainsi, comme l’estime Jean-Bellemin-Noel : « La magie de la poésie, c’est de nous rendre capables de pressentir, de ressentir au-delà du sentiment[1] ». Le pressentiment poétique se vérifie dans cette suite tragique, mais dont la matérialisation du cosmos à travers le vers vivifie la pensée du poète au-delà de la mort. Bien que mort à fleur d’âge, ce qui en rien n’annule la juvénile assomption de sa créativité, c’est-à-dire une maturité de l’art acquise précocement. Son  discours opaque pour le lecteur moyen, disons troublant et énigmatique, fustige l’opacité même de la vie, ce qui le rapproche de Rimbaud ou de Lautréamont, lesquels ont su décrypter la magie des mots pour dessiner les énigmes. Le poète a ce privilège d’interpréter les signes précurseurs de la mort tout en donnant sens à sa propre mort. Ce qui en revanche traduit la folie de l’écriture ou des poètes les plaçant à la lisière du réel et du surréel. Pour le poète Moustapha Chelbi : « L’écriture est autre Elle est folle indépendance Et fille révoltée des formes Elle meurt en s’écrivant[2] » La fonction paradoxale du poète le rend davantage incompris dans la société. Cependant, il demeure le mieux à comprendre cette société, d’où son implication dans la dénonciation, surtout quand il s’agit de dire sans détour les incertitudes voilées ou dévoilées des jours. 2. Incertitudes des jours, dire le cafard de l’existence Le poète semble « assumer le poids des mots/ Les mots étoiles du silence/ Les rapports soleils de la distance », tout en s’interrogeant personnellement avant d’interroger le monde. Il est resté préoccupé par les tribulations de son époque. L’écriture poétique participe à une autoanalyse personnelle dans l’optique d’une saisie rationnelle du monde. Son cri interprète les rayons lumineux de la

Poésie congolaise. Ainsi faite, la vie de Jean-Pierre Heyko Lekoba : Quête des origines et ancrage nationalitaire

Poésie congolaise. Ainsi faite, la vie de Jean-Pierre Heyko Lekoba : Quête des origines et ancrage nationalitaire

L’ancrage nationalitaire à partir duquel se définit l’œuvre de Jean-Pierre Heyko Lekoba illustre une certaine volonté de sortir des ténèbres et de postuler efficacement le progrès sur tous les plans. Ce qui traduit, inéluctablement, la portée fonctionnelle de son écriture, autant que sa conception de la littérature. Une telle démarche de sa part, instaure une poétique du « bon sens » qui tend à repenser l’homme dans sa relation avec les valeurs sociétales. Il s’agit là d’un élément inhérent à la construction de ses « métaphores obsédantes », et qui se révèle, sans nul doute dans l’ouvrage qui nous concerne directement ici. Le pari dont parle le Pr Mukala Kadima-Nzuji dans son discours préfaciel, trouve bel et bien son sens dans cette sorte de transfrontalité générique, selon qu’ici, l’auteur nourrit son imaginaire d’un genre littéraire nouveau, à savoir, la poésie. Cependant, il convient d’affirmer d’emblée, qu’à travers les linéaments du texte, nous assistons à une simple mue de l’écriture, par rapport aux canons esthétiques, car, sur le plan fonctionnel, il s’agit  d’une simple confluence idéologique.     Le recueil de poèmes Ainsi faite, la vie renouvelle cette même rhétorique militante et pose de façon manifeste une problématique existentielle, l’existence humaine, en ce que la définition de soi se rapporte à celle de l’autre, de ses origines et de sa culture. En effet, l’énoncé titrologique illustre une réalité conclusive, une évidence sur le cours historique des événements. Ce qui renforce le côté traditionnaliste de l’écrivain en général, et du poète, en particulier, dans sa saisie du monde, en étant tout de même dépositaire d’un savoir ancestral, comme nous pouvons le découvrir dans son récit, O’tsina. Les Sentiers des origines, voire dans cette somme poétique, à travers les poèmes : « Terre des origines », « Olèbè », « La colline » et « Chant des mânes ». En effet, tout en dévoilant sa part d’universalité, Jean-Pierre Heyko Lekoba reste enraciné dans ses valeurs ancestrales. La conjugaison des univers et le jumelage des cultures et des civilisations, marquent une certaine authenticité et un désir probant de postuler l’évolution des mondes par le biais de la culture. Ici, le poète assigne à certains de ses poèmes une africanité senghorienne qui ne désigne autre qu’une esthétique de réciprocité et un décloisonnement de la pensée humaine. C’est d’une fierté en soi qu’il s’agit, question de valoriser avec force, sa culture afin de mieux penser le monde. C’est dire effectivement, qu’avec une dose de nostalgie, Jean-Pierre Heyko Lekoba propulse une poésie d’enracinement, à l’image de Jean-Baptiste Tati Loutard dans Poèmes de la mer et Les Racines congolaises, de Dominique Ngoi-Ngalla dans Poèmes rustiques, ou encore, de Marie-Léontine Tsibinda dans Poèmes de la terre, pour ne citer que ceux-là. Il se dégage de cette même perspective, un rappel des origines dans l’élaboration d’une société dite moderne. C’est là l’occasion pour l’auteur, d’attiser une conscience sociale et historique sur la question de l’enracinement traditionnel afin de penser véritablement le monde.  Car comme l’affirme Leroi-Gourhan : «  l’homme du futur est incompréhensible si l’on n’a pas compris l’homme du passé ». Cette compréhension du passé, permet de conscientiser la postérité sur les dérives ou méandres du passé, comme c’est le cas quand le poète rend compte de cette utopie négatrice ou de cette illusion-désillusion : « Tel était le Congo ! Plus jamais ça ! Nous l’avons dit Plus jamais ça Nous l’avons hurlé Et pourtant Pères et mères se livrent encore aux mains Ils engagent dans la bataille le sang de leurs fils Et se renouvellent les mêmes luttes fraternelles » (p.27) La dimension onirique de sa poésie fait entrevoir sa foi en l’avenir. Ce qui nous amène à réfléchir sur les jalons de la bonne gouvernance et la mise en place d’une conscience citoyenne et nationalitaire, par exemple, lorsqu’il parle de son « rêve [pour] le Congo », comme nous pouvons le découvrir à la page 25.  Cette poésie est expressive d’une forme de patriotisme que nous découvrons dans le poème « la congolité mon rêve ». Ce qui revient à dire que Jean-Pierre Heyko Lekoba nous propose là, une forme d’écriture salvatrice qui s’appuie sur les valeurs humanistes pour poser et définir l’avenir du Congo. Parlant de cette « congolité », il aspire à la promotion d’une unité nationale comme véritable pilier du développement. Il écrit à propos :             « La Congolité ! Notre identité partagée De génération en générations Un sillon profond sur le chemin De l’unité Le défi des filles et fils » (p.24, « La Congolité mon rêve ») Par ailleurs, il évoque dans le poème « jours d’avant », la tragédie du 04 mars 2012, et de ses répercussions dans la mémoire collective des Congolais. Ainsi écrit-il :                 « l’instant d’après étouffe la danse Le soleil se pare de noir Et mon pays, dans les ténèbres Tonnerres de feux éclatants Maisons éventrées ruelles désertées » (pp.19-20 « Jours d’avant ») Le poète tend également à immortaliser les lieux mythiques de sa jeunesse, comme pour les rappeler à ceux de sa génération, notamment le quartier Poto-Poto, considéré comme symbole du syncrétisme culturel. Il affirme à propos : « Poto-poto Mon quartier de notre enfance Comme tu nous manques » (« Poto-poto », p.35) En dernière instance, Ainsi faite, la vie s’appréhende dans sa tangibilité poétique et thématique, comme une véritable quête des origines, car le texte signe l’avènement d’un ancrage ancestral. Ainsi donc, ce recueil se donne à lire comme « une défense et illustration » de l’âme ancestrale de l’auteur, tout en révélant une conscience sociale, historique et citoyenne. Ce qui par ailleurs traduit l’optimisme de notre poète face à l’avenir, d’où son affirmation : « j’ai foi en l’avenir de mon pays. Cela m’aide à nommer les choses telles qu’elles sont » (p.15) Rosin Loemba Ecrivain et critique littéraire rosinloemba@gmail.com

Littérature congolaise : La Colère du fleuve (1) de Prince Arnie Matoko

Littérature congolaise : La Colère du fleuve (1) de Prince Arnie Matoko

L’œuvre narrative de Prince Arnie Matoko, La Colère du fleuve, intègre, sur le plan titrologique, un dispositif thématique en vogue dans la littérature congolaise contemporaine. Le concept du « fleuve », ou tout simplement cette poétique fluviale, comme nous pouvons le découvrir avec force et intérêt dans l’écriture poétique de Jean-Baptiste Tati Loutard, propose des significations variées, tout en posant à grand trait cette problématique de l’économie bleue, dans un cadre beaucoup plus littéraire. Il s’agit ici d’un assemblage de sept nouvelles, qui servent de miroir dans l’ensemble aux sociétés africaines en général et congolaise en particulier. Il est bel et bien question de tout un imaginaire sociologique, anthropologique et culturel, dans lequel l’auteur plonge sa plume, afin de dessiner l’âme de tout un peuple. La socialité du texte ponctue un discours de la flagrance, de la démystification de certaines réalités, de la désillusion, ou encore du respect des traditions ou de l’enracinement culturel. Mais avant tout, il semble important de voir ce qui se donne véritablement à lire dans cette métaphore du titre. 1. La colère du fleuve ou le triomphe de la rationalité L’auteur circonscrit la thématique centrale de ce titre et du texte, nous semble-t-il, dans le même sillage que l’écrivain français Jean Giono, d’après sa pensée qui stipule : « un fleuve est un personnage, avec ses rages et ses amours, sa force, son dieu hasard, ses maladies, sa faim d’aventures », qu’il utilise d’ailleurs comme épigraphe à son œuvre. Une telle conception personnifie le fleuve, en l’attribuant toutes les composantes humaines, et en épinglant toutefois la question du paradoxe, de l’ambiguïté et de l’antinomie. « La Colère du fleuve », en effet, pour Prince Arnie Matoko, c’est ce renouvellement de la pensée rationnelle, le rétablissement de la vérité et de la logique. S’il y a colère, c’est qu’au départ il y a forcément sérénité, voire douceur. L’énervement du fleuve ici se résume en la réhabilitation des valeurs par les forces naturelles. La nature devient ce symbolisme de la raison devant l’excessivité des comportements humains. Le fleuve, dans sa nature première, d’« écoulement des eaux », devient une réponse aux actes insensés, ou à toute entreprise qui condamnerait l’être humain à la bassesse morale, au ridicule, ou au non-respect de l’autre. Voilà, en quelque sorte, ce qu’il y a lieu de lire dans ce discours métaphorique du titre. Au fond, en abordant cette question du rapatriement, et même de la xénophobie entre deux peuples, séparés par l’élément naturel qu’est le fleuve, l’auteur veut à tout prix revisiter les notions du bon voisinage en droit international. Une telle réalité fictionnalisée nous rappelle sans nul doute, le choc diplomatique entre les peuples ou les nations, avec pour motif essentiel, la montée en puissance du banditisme à cause d’une régulation adéquate des frontières. Le texte nous permet de s’apercevoir réellement du rapport qu’entretient l’auteur avec les problèmes cinglants de son temps, les sujets qui minent sa société. Un tel rappel historique peut servir aux pays frontaliers, dans la redynamisation des relations bilatérales, afin d’éviter le pire ou le déchirement. La question du fleuve, ou des eaux tout simplement, se découvre également dans la nouvelle « Le soleil de Fleuville ». Ce micro-texte peut se lire comme un hymne à la préservation de la nature. Voilà une participation importante de l’écrivain, aux grandes questions que pose actuellement l’humanité, notamment la grande question de l’environnement. Prince Arnie Matoko fait ainsi de l’écriture, un vecteur de progrès mondial, en proposant sa partition dans ce combat mondial sur l’économie bleue et verte. Par ailleurs, toujours est-il que sa démarche, porte en son flanc les bases de l’illusionnisme. Dans l’ensemble, les personnages sont limités dans le temps et à travers moult circonstances.  2.Le champ de la désillusion Prince Arnie Matoko revisite également la question de l’immigration des Africains en Europe. Le réel problème qu’il pose ici, comme nous pouvons le remarquer dans la littérature déjà existante, c’est la désillusion des personnages sur l’avenir, et le rêve des horizons lointains. Dans « l’expulsé », comme on peut le lire dans Bleu-Blanc-Rouge d’Alain Mabanckou, il se dessine une quête du bonheur, l’ailleurs perçu comme le lieu de la réalisation de cette quête. Mais hélas, les personnages finissent par être confrontés à des horizons meurtriers, et tous leurs rêves se diluent dans l’amertume. C’est le sens de l’étonnement du personnage central de « l’expulsé » ici: « Et le bonheur, oui le bonheur, l’immense bonheur d’être enfin en France. Moi retourner encore, se disait-il, vivre chez les parents, partager la même chambre que mes trois cadets devenus adultes, et attendre une assiette pour manger ? Etre encore à la merci des gens ? » (p.19). Au départ, l’Europe semble miroiter une certaine possibilité de réussite sociale, et une adhésion à l’universel. La désillusion est également peinte dans « Demain je suis riche », mais dans une dimension beaucoup plus psycho-sociale. L’auteur présente une société en proie à la corruption, à la précarité et aux injustices. Il y a également un manque de valorisation des mérites, pour laisser place à la médiocrité. C’est ce qui occasionne ce rêve brisé de Tanga Mingi, qui sera pris au piège par un ancien ami, qui lui aurait miroité ciel et terre en vue de son épanouissement social. En plus, ses diplômes ne seront qu’un prestige inopérant, jusqu’à susciter désolation et étonnement pour son épouse. Cette dernière, dans cet esprit de stupéfaction, affirme : « On végète trop. Quand même, on n’est pas bardés de gros diplômes pour rien, à quoi ça sert, finalement, d’avoir des diplômes sans travailler ? » (p.48). Une telle question décrit le mode de société et de système politique dans lequel ces personnages évoluent. 3.L’imaginaire sociologique africain Deux nouvelles nous renvoient foncièrement aux aspects socio-culturels africains, notamment « la rue des sorciers » et « un fou pas comme les autres ». Elles s’articulent sur les notions de croyance superstitieuse, de spéculation, du fétichisme, voire de sorcellerie. La particularité de ce recueil, dans ce contexte, est justement de dévoiler les profondeurs de « l’âme noire », en portant principalement sur des sujets fantastiques et fantasmagoriques. Il y a, à partir de ce moment, un héritage loutardien que nous