Penser la poésie de Neil Davis Batchi revient à l’appréhender comme l’extériorisation lyrique d’un élan, d’une pensée ; ce par quoi le poète investit le monde pour comprendre le monde tout en s’installant dans une posture de quête de l’altérité. Tout se passe comme si, nourri de cette communion dans le temps et dans l’espace, le poète qu’il représente tendait à s’accommoder d’une existence humaine qu’il se veut totalement aimée et aimante, et naturellement « poreuse à tous les souffles du monde » comme dirait Aimé Césaire. Tant il est vrai qu’ « il n’y a d’élévation de soi qu’à partir du moment où notre propre existence est tout entière saisie de la présence de l’Autre ou du monde en tant que réalité essentielle » (Antoine Yila). Et le poète ne réalise et n’accède à cette vérité des choses que par son attachement et son immersion dans l’humus du verbe créateur.
Tout procède ainsi d’une connivence poético-sacerdotale qui place l’homme en soi et l’alter ego comme sujet d’évangélisation littéraire ou poétique. Neil Davis Batchi nous entraine ainsi dans une sorte de spiritualité d’amour et une « hymnologie » d’émancipation fusionnelle ou de fusion émancipatrice. C’est sans doute pourquoi l’ancrage mythologique dont se nourrit le titre son recueil appelle de ses vœux une vision dynamique de toute ontologie. Bien que cette entité séductrice, c’est-à-dire Vénus, induit dans sa présence une jouissance de la vie, se méprenant à quelques endroits à l’urgence épicurienne, vivre et aimer exigent tout au moins de l’homme qui s’y consacre un certain sens de la mesure.
Mais, si le poète Neil Davis Batchi évoque et convoque Vénus en tant qu’entité médiane et transcendantale qui fonde et doit féconder toute existence, la sienne propre et celle d’autrui, c’est avant tout pour marquer sa présence au monde et célébrer sa triple identité aimante, c’est-à-dire l’attachement de l’homme à l’homme, l’attachement de l’homme à son terroir nourricier et l’attachement de l’homme à Dieu. Cette célébration ternaire secrète en fait une certaine alchimie qui sacre l’amour comme valeur suprême et unique possibilité d’exister. Car, dit-il : « L’amour c’est la vie/Vivre sans aimer/Déshumanise » (p. 17)
Ici apparaît en effet l’absolue essentialité de la parole divine, d’autant plus que l’idéal humain voulu par le Divin Créateur est de se réaliser et de s’accomplir dans l’acte d’amour. L’amour devenant pour ainsi dire, sinon une urgence existentielle, du moins et tout au plus une source vitale. Celui-ci prend d’abord forme chez le poète dans l’ardent désir qu’il éprouve de faire corps avec son prochain, son alter ego, actualisé ici dans l’évocation des personnages illustres (écrivains et penseurs) qu’il nous donne à découvrir comme ses principales « voix alliées » (Omer Massoumou).
Le jeu référentiel auquel il se plaît à jouer avec des auteurs passés et contemporains, connus et inconnus dont il admire la verve et le talent, inscrit d’emblée sa démarche créatrice dans un processus d’immortalisation des liens et de communion perpétuelle. Comme le souligne Omer Massoumou, Neil Davis Batchi « s’invite [ainsi] auprès d’autrui et invite autrui dans son œuvre dans le but d’y marquer des bornes valorisantes ». Cette coprésence onomastique, mieux, ce cosmopolitisme littéraire instaure dans un élan d’ouverture une dynamique relationnelle. C’est une confraternité et une phratrie littéraires, pour reprendre le mot cher à Sylvain Bemba.
Des noms d’écrivains, comme ceux de Saint Augustin, Jean Malonga, Martial Sinda, Joachim du Bellay, Pierre de Ronsard, Tchicaya U Tam’si, Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Florent Sogni Zaou, Ernest Bompoma, Rosin Loemba, Ramsès Bongolo et Pierre Ntsemou, que le poète donne à découvrir et à lire dans son poème humaniste intitulé « Je marche… » (pp. 61-62), bien qu’ils apparaissent de plus en plus comme l’expression d’une littérature-monde, ont ceci de particulier qu’ils témoignent de la volonté manifeste de Neil Davis Batchi à co-naître et à se réaliser dans leur présence, et eux, dans la sienne : une véritable symbiose et une belle osmose qui, plutôt que de ne consister qu’en une seule et unique « poétique d’hommage », s’appréhendent surtout comme un devoir de mémoire qu’exemplifie l’image de la femme, cet « éternel féminin », en tant qu’elle exprime cette gémellité insondable et donne sens et vie à la « polarité Vénus », comme dirait Senghor.
En effet, chez Neil Davis Batchi comme chez la plupart des poètes romantiques, l’hymne à la femme est un pas vers l’accomplissement de soi. La femme, femme-mère, femme-muse et femme-hypostase que le poète se met à célébrer, apparaît ainsi comme « une métaphore obsédante » qui assiège son imaginaire. C’est par exemple Edline, « belle Edline », Maiva que nous découvrons dans ses textes précédents ; mais c’est beaucoup plus encore Belvina dont on découvre l’existence dans le présent recueil, qui atteste sa présence dans la vie du poète et que ce dernier sollicite dans un élan fusionnel avec un certain amant : « Dans sa parure nuptiale/Belvina la charmante/Avec son caractère/Si particulier/S’étonne et s’émerveille/D’un appel si fréquent/Qui n’est qu’une mélodie//Mélodie qui l’invite/A un rendez-vous/De cœur à cœur/Prévu par Vénus//Cette mystérieuse mélodie n’est/Que celle d’un jeune corbeau/Chantant sans se lasser/En attente d’une âme sœur » (p. 23). Mais l’exaltation et la restitution de la splendeur attachante de la femme exclut, chez le poète, il faut en convenir, toute dimension érotique ou toute participation charnelle.
De fait, la lyrique batchienne, comme l’affirme le poète René Depestre, se construit au fil des pages comme « une incandescente aspiration à la fraternité humaine » et un dialogue avec les différentes composantes de l’univers : elle s’ouvre ainsi au monde en parlant du monde, et se ressource dans l’humus nostalgique de Ndjindji et de Mandigo-Kayes, terre mythique et terre d’élection dont il est originaire. Ici, l’attachement aux valeurs ancestrales induit en soi le sens d’une filiation ethnique qu’actualise et réactualise l’emploi des mots du terroir tels que « fumu bwal », « ndungu », « ndundji », « mbatshi », « tshikumbi » et tutti quanti. L’alternance codique dans laquelle baignent ces poèmes et dont fait montre le poète tout au long de son homélie poétique, s’inscrit dans une dynamique de valorisation de la tradition et de conciliation du passé et du présent. C’est l’enracinement d’une parole qui se fait héritage, et l’héritage d’une parole qui se veut universelle.
Somme toute, l’altérité plurielle est, dans la poésie de Neil Davis Batchi, celle d’un monde dont le présent et le devenir sont structurés et restructurés par l’Amour, car comme le dit si bien Pierre Ntsemou dans la préface à Gerbes de fleurs, « Etre sans les autres n’est pas être puisque l’univers est bien un lien qui nous unit au prochain » (p. 9). Et c’est en cela que réside tout l’humanisme de l’auteur. Dans un monde de plus en plus gagné par la mauvaise foi, évangéliser et semer partout l’amour s’offre à nous comme un impératif catégorique. Neil Davis Batchi en a la claire conscience, tant il s’érige en poète-démiurge, celui-là même qui porte « le faix de la rédemption » et dont la parole poétique s’accomplit dans l’unité des mondes. Et l’humanisme qu’il prône et auquel aspire tout esprit éclairé commande en substance que « ce qui est de Dieu soit également de l’homme ». C’est le sens d’un accomplissement dans l’éternité.
Ourbano MBOU-MAKITA
ourbanombou@gmail.com