
La République du Congo demeure un gisement littéraire indéniable, les œuvres parues retentissent comme des ressacs, des vagues de lumières ; l’apologie du sens littéraire donne lieu à une forme d’existence qui ne s’affirme que par l’écriture : « j’écris donc j’existe ». Depuis l’année derrière, Monsieur Ferréol Gassackys s’est illustré grâce à son roman (Les Hasards du destin), comme un écrivain. A cet effet, il participe pleinement à la construction des valeurs nationales de cette littérature congolaise, comme le confirme davantage la parution en cette année de ses deux autres ouvrages, Frikia, pèlerin des âges (Roman, L’Harmattan-Congo) et La foi de Ferréol (Poésie), aussi bien de l’anthologie sur le Covid-19 qu’il a cordonné en collaboration avec Exaucé Elvez Ngaba.
La foi de Ferréol qui nous intéresse particulièrement maintenant, est un recueil de 41 poèmes pour un volume de 66p, publié aux Editions Renaissance Africaine en France. « La parole poétique » de Ferréol Gassackys ainsi que l’appréhende le préfacier du livre, notamment Exaucé Elvez Ngaba, est digne d’intérêt de par la diversité et l’actualité des thèmes qu’elle exploite, la recherche ou la quête de soi, de l’autre et les interrogations sur l’existence.
Le titre est à première vue interpellateur. Il est le dévoilement direct du sujet, selon que le poète affiche une forme de mythologie personnelle qui l’implique explicitement dans le texte au travers de son prénom, Ferréol, et sert de désignation précise d’une donnée spirituelle, à savoir sa foi. L’énoncé titrologique connote donc une sorte d’humilité et de sermon poétique, ou d’affirmation de soi dans la simplicité ou la simplicité affirmée sans ambages. Cette même parole poétique devient moins vacillante et moins hésitante, il s’agit de s’identifier personnellement, de se remettre en question ou d’exprimer une marque de fierté et de courage. Cependant, loin d’afficher une posture de cloisonnement ou de proposer une démarche arrogante et exhibitionniste, cette foi de Ferréol réinvente un paradigme hymnaire sur les valeurs foncièrement humaines, sur l’établissement d’une conscience historique, comme nous le découvrons dans certains poèmes de l’œuvre. Qu’est-ce à dire réellement ?
Dès le premier poème du recueil, à savoir « La Pluie », on ressent le désir du poète de dessiner l’imaginaire social du poète et de rendre compte de son réalisme devant l’ampleur des catastrophes naturelles. L’auteur s’initie à une esthétique stendhalienne, en considérant l’écriture ou la parole comme un miroir, une image ou un calque. C’est ce qui fait que devant le spectacle de la pluie, de ses « désolations et périls funestes », qu’il s’engage dans une démarche écologique ou environnementale, comme nous le découvrons de façon aussi singulière dans le théâtre de Henri Djombo.
De ce même réalisme, se définit une volonté primesautière de rebondir sur l’immortalité de ses « chers disparus » et de montrer son attachement au passé, aux ancêtres, disons à toutes les valeurs enfouies et qui méritent d’être ressassées. La quête profonde de cette immortalité le plonge dans une obsession, ce qui fait que le rappel à ces lumières éteintes et qui demeurent de façon tacite, soit une forme d’hommage. Il affirme à juste titre :
« Ce sanglot invisible ne cesse de me poursuivre
Me rappeler combien vous demeurez en moi
Statues pleurant de douleurs mais sans larmes
Je ne vous oublie point » (« A nos chers disparus », p.18)
L’auteur implore la présence de ses « chers disparus » comme pour galvaniser la mémoire collective. Ce ressassement de la mémoire permet de mieux comprendre sa conception des morts, ce qui en revanche vitalise sa marque d’ancestralité. La poésie de Ferréol Gassackys devient alors le lieu et le moment du resurgissement et du renouvellement de la parole ancienne. Comme dirait Mukala Kadima-Nzuji, il s’agit de Redire les mots anciens, mieux, dire et redire des mots pour les anciens, mais toutefois avec un penchant rationaliste. Cette même ancestralité sous forme d’attachement et de mémoire valorisante, engage tantôt le poète dans une démarche historique, surtout quand il est question d’exhumer la pensée panafricaniste au-delà de la « mélancolie incurable ». Ce qui par ailleurs l’amène à promouvoir certaines figures mythiques de cette Afrique profonde. La promotion de ces figures titulaires appelle sans cesse à une prise de conscience collective, à l’imprégnation rationnelle de la mémoire ou de l’histoire collective. Le rappel historique engrange une saisie de l’héritage idéologique afin de renforcer les socles de la postérité.
La poésie est conçue de ce fait, comme le lieu de rendre un hommage mérité à des martyrs de la liberté, de propulser la fierté nationale et de promouvoir l’espace humain ou géographique. Comme bon nombre de poètes et chanteurs congolais (rive gauche et droite), Ferréol Gassackys chante Le Fleuve Congo comme non seulement la symbolique de l’immensité, de l’infinité, mais aussi de la richesse et la mémoire. C’est ainsi qu’il écrit :
« Dans ta profondeur insondable
Tu es refuge et autre
Sur les hauts plateaux
Tu regorges de tant de trésors et souvenirs » (Cf. « Fleuve Congo », p.46)
La proximité de Ferréol Gassackys avec certains poètes congolais se dévoile surtout dans cette dimension onirique et symbolique du Congo, et plus particulièrement en ce désir nationaliste et l’exploration, néanmoins, d’une conscience historique.
Nous avons là un poète qui se veut avant tout observateur de la société, avant de l’exploiter dans une optique interpellatrice, même quand il s’agit d’exprimer son « moi lyrique » ou de jeter les bases de sa foi. Certains poèmes dévoilent la foi du poète, sa croyance religieuse, son rapport à la religiosité, à la piété et à la morale. Ferréol Gassackys ne s’empêche pas également d’exalter la femme dans une dimension senghorienne, celle qui, par métonymie, désigne un microcosme planétaire. Les poèmes comme « Comment te dire ? », « Les fruits défendus », « Toi », « Ma Nymphe » et « Ma belle plante » sont un véritable hymne à l’amour.
En définitive, La foi de Ferréol de Ferréol Gassackys s’appréhende comme un sermon poétique où la filiation débordante du moi ravive tantôt la mémoire collective, rend hommage aux figures tutélaires et à la parole libératrice, sans toutefois oublier la quête d’un nationalisme constructeur. En dépit de quelques peccadilles qui parsèment de bout en bout le texte, ce recueil de poèmes inaugure une parole vivante, une manière pour le poète de se construire un univers mythologique par le biais de l’écriture.
Rosin LOEMBA
Ecrivain et critique littéraire
rosinloemba@gmail.com