Symposium international à Rabat: L’administration publique entre maux et progrès

MAROC. Plus d’une centaine d’experts et chercheurs de différents horizons ont pris part à la 11ème édition du Symposium international «Regards croisés sur les transformations de la gestion et des organisations publiques» qui s’est tenu du 3 au 4 juin à Rabat.

Placé sous le thème «Un demi-siècle de réformes administratives : Quels effets sur la gouvernance des organisations de l’Etat?», cet important rendez-vous – initialement prévu pour avril 2020 et reporté d’une année en raison de la situation sanitaire qui prévaut dans le monde depuis le début de l’année 2020,  a été organisé par l’Institut supérieur du commerce et d’administration des entreprises (ISCAE-Rabat) en partenariat avec le Policy Center for the New South.

Animée par plus d’une soixantaine de panélistes, la nouvelle édition du Symposium a coïncidé cette année avec le cinquantenaire du groupe ISCAE, premier établissement d’enseignement supérieur public en management.

Autre coïncidence et non des moindres : l’édition se tenait quelques jours seulement après la présentation par la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) à S.M. le Roi Mohammed VI du rapport sur le nouveau modèle de développement (NMD) dont la mise en œuvre doit s’appuyer sur un certain nombre de leviers tels que la réforme de l’administration publique et de l’Etat en général.

« Ce 11ème Symposium sur le management public intervient dans un cadre assez particulier. Tout d’abord, il porte sur les 50 ans de réformes de l’administration publique au Maroc et dans d’autres pays et sur leur impact  sur la gouvernance des organisations de l’Etat. Ensuite, c’est une organisation inédite dans la mesure où elle l’est en mode hybride (distanciel ou présentiel) compte tenu du contexte sanitaire », a indiqué Tarik El Malki, président de l’édition 2020-21 dudit Symposium et, par ailleurs, directeur de l’ISCAE-Rabat.

«Cette nouvelle édition s’inscrit modestement dans la réflexion autour de la manière dont l’administration publique doit accompagner le processus de développement de notre pays parce que c’est un outil extrêmement important pour atteindre les objectifs fixés par le nouveau modèle de développent», a-t-il souligné.

Secrétaire général du Département de la réforme de l’administration au ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration, Ahmed Laâmoumri a, pour sa part, ajouté que « l’objectif de ce symposium est d’avoir des regards croisés entre les pays et les experts en matière de réforme de l’administration. En 50 ans, quelles réformes ont été faites, que faut-il garder, revoir, réinventer ou développer davantage en matière de capital humain, de système de digitalisation, etc.  », s’est-il interrogé.

Au cœur des travaux de ce 11ème Symposium international, l’administration publique « a joué un rôle déterminant dans le progrès socioéconomique du Maroc, à travers notamment l’impulsion qu’elle a su donner à l’extension des services publics, au montage des projets d’infrastructures routières, ferroviaires, maritimes, au développement de programmes sociaux, etc. », a déclaré Tarik El Malki.

Il a, en outre, rappelé qu’un grand nombre de réformes ont été adoptées depuis le lancement du nouveau concept d’autorité, notamment ces 20 dernières années, pour rendre opérationnel le cadre constitutionnel  de 2011 qui impulse une nouvelle vision du rapport entre l’administration et le citoyen.

Il est important de préciser que « la Constitution a défini un rôle pour l’administration mais aussi des obligations ; lesquelles appellent à assumer les responsabilités des décisions publiques notamment en termes d’opérationnalisation des politiques publiques sur le territoire », comme l’a relevé Tarik El Malki dans son mot d’ouverture.

Au cours de son intervention, le directeur de l’ISCAE-Rabat a également fait remarquer que la Charte nationale des services publics adoptée en 2019 « définit les règles de la bonne gouvernance dans la gestion des administrations publiques, dans les régions, les collectivités territoriales et les organismes publics ».

Membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Moncef Ziani a abondé dans le même sens, estimant que le rôle de l’administration marocaine a été essentiel dans les progrès socioéconomiques du Maroc. Et ce, « à travers l’impulsion qu’elle a su donner à l’extension des services publics, au montage des projets d’infrastructures (routières, ferroviaires, maritimes), au développement des programmes sociaux ainsi qu’à l’installation des grands projets d’investissement ».

Selon lui, depuis le lancement du nouveau concept d’autorité, un grand nombre de réformes ont été adoptées, que ce soit au niveau de l’administration centrale, des administrations territoriales, des instances de contrôle et de gouvernance, notamment lors des deux dernières législatures pour opérationnaliser le cadre constitutionnel de 2011 qui a instauré une nouvelle vision du rapport entre l’administration et les usagers.

Sur le vaste chantier de réformes de l’administration publique ayant vu le jour, Moncef Ziani, par ailleurs, représentant de la catégorie des organisations et associations professionnelles au sein du Bureau du CESE, a relevé cinq éléments.

Sur le plan stratégique, il a noté que le Maroc a mis en place un plan national de réforme de l’administration qui se base sur quatre vecteurs de transformation : organisationnelle, managériale, éthique et numérique.

Sur le plan législatif, il a rappelé que le Royaume a adopté la loi n° 31-13 relative au droit d’accès à l’information.

Soulignons à ce propos que « c’est un aspect fondamental pour, d’une part, inciter l’administration publique à procéder à une large diffusion des informations présentant un intérêt public et d’autre part pour rendre opérationnelle la participation du citoyen à la gestion de la chose publique », selon l’interlocuteur qui estime que les dispositions de cette loi méritent toutefois d’être révisées en y introduisant des dispositions qui consacrent davantage le plein exercice de ce droit et en abrogeant certaines dispositions limitant sa portée.

Sur le plan institutionnel et réglementaire, Moncef Ziani a attiré l’attention des participants sur  le processus en cours de simplification des procédures et formalités administratives et l’amélioration de la transparence.

En matière de promotion de la bonne gouvernance, il a rappelé que « des instances indépendantes ont été mises en place, réactivées ou renforcées comme le Conseil de la concurrence, l’Instance nationale de probité et de lutte contre la corruption et l’Autorité marocaine des marchés des capitaux ».

Enfin, s’agissant du système fiscal du Maroc, force est de constater que « les mesures de facilitation et de dématérialisation des procédures mises en place ces dernières années marquent une avancée appréciable dans la relation du contribuable avec l’administration fiscale », a-t-il souligné notant que depuis le 1er janvier 2017, toutes les entreprises marocaines ont l’obligation d’adopter la déclaration et le paiement en ligne pour procéder au télépaiement de plusieurs impôts et taxes.

Insistant sur l’importance de la transformation numérique, considérée comme un levier indispensable pour le développement de tout pays, notamment le Maroc, A. Laamoumri a fait remarquer que « le rapport sur le nouveau modèle de développement remis à Sa Majesté le Roi fait ressortir cet important levier. Il est un facteur également d’éthique, de transparence dans les administrations et dans les relations entre elles et avec le privé et le citoyen. La transformation numérique est aussi un outil de réduction des délais de traitement de dossiers très chers au citoyen ».

Si le Maroc peut se réjouir d’avoir mené à bien nombre de réformes au cours des cinq dernières décennies, il reste néanmoins vrai que l’administration marocaine souffre encore de plusieurs maux. Et le rapport du NMD présenté au Souverain est loin d’être avare en exemples.

En effet, il met en lumière les capacités limitées du secteur public en matière de conception et de mise en œuvre des politiques publiques et de services publics accessibles et de qualité dans les domaines essentiels à la vie quotidienne et au bien être des citoyens ; la persistance dans l’administration d’une culture de la conformité plutôt qu’une culture de leadership et de la performance ; ce qui produit de la démotivation et dissuade la prise d’initiative ainsi que le manque flagrant de cohérence et de coordination.

Autre constat relevé : la mise en œuvre des stratégies et politiques publiques semble s’opérer principalement par l’allocation de moyens et insuffisamment par le suivi des résultats. Ce qui relègue au second plan la préoccupation d’impact et de performance tant sur le plan économique et social que sur le plan environnemental.

Bien d’autres maux qui minent l’administration ont été mis en lumière lors de cette rencontre internationale sponsorisée par la BMCE Bank for Africa. Lors de son intervention, Tarik El Malki a en effet insisté sur « la question de la lourdeur bureaucratique, de l’absentéisme, de la faible qualité de certains services publics, de l’absence d’efficacité de certains services publics et de l’absence de reddition de compte dans la fonction publique qui sont également régulièrement décriées par nos concitoyens ».

Des maux que connaît bien le représentant du CESE qui a ainsi saisi cette occasion pour exhumer les « contraintes et faiblesses dont certaines sont structurelles, et qui ont trait à la bureaucratie, à l’absentéisme, à la faible qualité de certains services publics, aux carences en matière de lisibilité de l’orientation publique, à la cohérence des politiques sectorielles et à l’exécution des réformes engagées », a-t-il fait savoir.

Les maux étant connus de tous, le plus important est que toutes les parties prenantes les analysent ensemble afin de trouver des pistes de solution à même d’améliorer la qualité des services dans l’administration et satisfaire les citoyens. C’est en tout cas  l’une des voies préconisées par Latifa  El Abida, ex-secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement scolaire.

Pour cet ancien membre du gouvernement El Fassi, le temps n’est plus aux critiques mais à l’analyse et au diagnostic des maux qui minent l’administration marocaine. « Il faut arrêter de taper sur les administrations et les acteurs de la fonction publique, mais plutôt voir quels sont leurs besoins et essayer de régler ce qui ne va pas. Nous devrons voir ensemble ce qui ne  marche pas afin de trouver les solutions aux problèmes qui se posent à notre administration. Ce n’est ainsi que nous allons nous réconcilier avec elle ».

Quoi qu’il en soit, et en dépit des efforts fournis pour changer la donne, la situation de l’administration marocaine demeure préoccupante d’autant plus que « la crise sanitaire que nous vivons depuis plus d’année, malgré un engagement exemplaire de l’Etat afin d’en limiter l’impact négatif sur le plan sanitaire, économique et social, nous a montré les limites et les insuffisances de ce dernier, notamment sur le plan social », a souligné Tarik El Malki.

Ainsi, pour contribuer à améliorer l’efficacité des services publics, le CESE prône une vision intégrée, participative et multidimensionnelle reposant sur quatre leviers essentiels : généralisation et amélioration de la digitalisation des services publics pour atteindre l’équité, la transparence et l’efficacité ; la redynamisation de l’action des services publics territoriaux ; le renforcement des capacités des acteurs de l’administration publique et la participation des citoyens ainsi que le renforcement et la délimitation des responsabilités pour rendre effective la reddition des comptes.

Tarik El Melki a appelé l’Etat à se réformer en profondeur pour devenir un Etat visionnaire et stratège ; protecteur et régulateur et, enfin, efficace.

Afin d’accompagner efficacement la mise en œuvre du nouveau modèle de développement, il estime que les défis qui se posent actuellement peuvent être abordés à travers trois séries de réformes transversales :

Tout d’abord,  la problématique de l’efficacité de l’administration doit être traitée à travers les transformations juridiques et statutaires de l’administration dans les territoires.

Ensuite, la réponse à des besoins sociaux grandissants (que la crise de la Covid-19 a mis en exergue) : à travers notamment la réforme du système de santé, le  chantier de l’extension de la couverture médicale, des filets de protection sociale pour les plus démunis, la prise en charge de la vieillesse et l’amélioration du système d’éducation-formation.

Enfin, l’accompagnement de l’accélération de la croissance économique notamment à travers la rationalisation des dépenses de l’Etat et des administrations pour un meilleur pilotage de la dépense publique et la refonte de la fiscalité ensuite, à travers notamment la mise en œuvre des recommandations des troisièmes Assises de la fiscalité (2019) avec comme objectifs principaux l’élargissement de la base fiscale de l’Etat, la justice et l’équité fiscale.

Du côté du ministère des Finances, tout est fait pour faire avancer les choses : «On a changé complètement d’approche et de démarche. On s’est fixé un objectif : mettre le citoyen au centre des préoccupations de l’administration et répondre à ses besoins et attentes. Et il  est apparu que les seuls moyens pour répondre à ce dernier, c’est la transparence et la simplification des procédures», a affirmé Ahmed Laamoumri.

Ainsi, selon lui, « on a recensé 3400 procédures qu’on est en train de simplifier conformément à la loi : le nombre de documents a été réduit,  les procédures et actes qui n’ont pas de soubassement juridique ont été complètement  supprimés, le nombre de pièces a été également réduit».

Soulignons que ce symposium a été ponctué par trois tables rondes et 14 ateliers animés par des experts de renom en provenance de plusieurs pays. Il a été marqué par des échanges nourris et très instructifs confirmant l’intérêt des participants pour cette thématique très actuelle.

Alain Bouithy

ILS ONT DIT

Moncef Ziani, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Un effort de communication et de sensibilisation

« Les réformes engagées et les mesures d’amélioration mises en place, aussi importantes et déterminantes soient-elles, ne peuvent donner l’impact souhaité sans un véritable effort de communication et de sensibilisation, régulier, pertinent et adapté à l’égard des agents de l’Etat et des usagers. Cette communication persuasive doit mettre l’accent sur la conscientisation, l’éducation et le changement des comportements envers le service public et la chose publique en général. L’effort de communication doit s’inscrire dans la durée et rompre avec la communication ponctuelle de circonstances ».

Latifa El Abida, Ex-secrétaire d’Etat chargée de l’Enseignement scolaire

Il faut arrêter de taper sur l’administration publique

« La crise sanitaire a montré que c’est en nous mobilisant que nous parvenons à faire des choses merveilleuses. Il ne sert donc à rien de taper sur les acteurs de la fonction publique. Le mieux est d’analyser, se préoccuper davantage de ce qui ne marche pas, déterminer les besoins et voir ensemble comment nous pouvons régler les défaillances, notamment en termes de moyens de travail et de développement des capacités. »

Ahmed Laâmoumri, secrétaire général du Département de la réforme de l’administration au MEFRA

Nous avons changé d’approche

« Nous avons lancé une nouvelle approche basée sur la simplification. Une loi vient d’être adoptée dans ce sens, elle est actuellement en train d’être mise en œuvre. Nous avons recensé à peu près 3400 procédures en cours de simplification conformément à la loi. Un ensemble de principes a été édicté à travers cette loi et nous examinons actuellement au niveau de notre département, dans le cadre d’une commission technique, toutes les procédures en relation avec le citoyen et l’entreprise ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *