Au cours d’une rencontre fortuite au salon du livres de Paris de 2013, Huppert Malanda m’offrait ce recueil de poésie avec la dédicace suivante : « Au grand-frère Kodia-Ramata. Ce cri de cœur et d’âme pour nommer la folie qui habite nos entrailles… ». Quatre ans après, je retrouve l’ouvrage dans ma bibliothèque de Brazzaville, moi qui le cherchais dans celle de Paris. Plongée dans cette écriture césairienne où les mots bousculent l’interprétation de la critique littéraire. Et il n’est pas étonnant que la poésie de Malanda surprenne le conscient et le subconscient du lecteur.
La poésie d’Huppert Malanda se moque de la ponctuation (exception faite à la page 54) comme si elle voulait définir ses propres accents toniques, comme si le poète était prisonnier de son inspiration qui le mène, tantôt dans le paradis du pays, tantôt dans les méandres du paradis de la femme aimée, tantôt devant le Christ qu’il interpelle, tantôt sur les traces d’autres grandes figures de la poésie.
Le pays, un paradis malade
L’image du pays apparait dans « Le tour du monde en 80 péchés » où le poète manifeste déjà son inquiétude, pays où il ne fait bon vivre : « Ce pays moribond ouvert / comme un cimetière vivant / comme une haie qui donne sur l’absurdité » (p.11). Aussi, dans ce « tour du monde en 80 péchés » dédié au poète Matondo Kubu Turé, Huppert Malanda nage dans le pessimisme, dans un pays malade dont il fait partie, peut-être par amour de la patrie de ses ancêtres kongo : « Je suis de ce pays grabataire soleil saignant ronflant empesant / indemnisant sa fièvre scarlatine » (p.13). Le pays d’Huppert Malanda, un univers où la guerre est venue à lui, aussi supporte-t-il, malgré lui, l’atmosphère malsain dans lequel il est baigné, la guerre étant devenue sa compagne : « Et nous avançons la guerre et moi / la main dans la main / comme deux potes inséparables » (p.15). Le poète plonge alors sa plume dans l’horreur que lui présente, à certains moments, son pays. Et l’inspiration du poète prends racine dans ses souffrances morales : « J’écris / quand l’angoisse au chevet du lit me berce / comme une taie d’oreiller / (…) J’écris sous les rayons fielleux du soleil / (…) pour écrire CONGO par l’encre des veines » (p.17).
Dans ce recueil, le Congo apparait comme un pays où rien ne va pour le poète, un pays maudit où la mort est omniprésente : « pays éclamptique épicé jusqu’à l’épicentre des mots / pays sudorifère / pays anophèle / qui marche des paradis mortels / aux enfers immortels » (p.33). Et ces paradis qu’il a annoncés, lui font revivre les images de quelques héros immortels du continent, tant du monde de la politique que celui de a culture : « (…) notre rêve passait depuis des décennies / à déclamer les grands sangs : / Médi Ben Barka, Marien Ngouabi / Franklin Boukaka / Ken Saro Wiwa…plus une aumône de sang du cardinal / pour donner au déluge / une écume de Noé » (p.54). Aussi remarque-t-on dans ces vers qui chantent le pays, une poésie triste et lugubre où n’apparait aucun sourire du poète, aucun éclat de lumière optimiste. D’ailleurs comment pourrait-il sourire dans un pays malade de son propre destin ? Un seul refuge pour le poète : la femme.
L’image de la femme dans Les Paradis fragiles
La femme qui trouve souvent une place prépondérante dans le cœur de tout poète n’a pas échappé à l’inspiration d’Huppert Malanda . Contrairement à la plupart des poètes qui chantent aussi l’amour maternel comme Jean Baptiste Tati Loutard dans ses Racines congolaises, on remarque chez Huppert Malanda l’absence notoire de l’image de la mère. Seule la femme aimée, la femme-amour se dessine dans Paradis fragiles.
Chez Huppert Malanda, la femme est présentée avec son côté fétiche de charme qui transcende ses sentiments : « Femme abyssale / aux yeux d’algue de mer / femme feu d’artifice / qui enjambe la kermesse du cœur » (p.78). Le poète se voit obnubilé par la beauté physique de la femme dont il se met à chanter l’hymne. Aussi replonge-t-il dans ses souvenirs, revivant les moments passés avec la femme aimée : « Redis moi l’homélie des deux nègres / qui transformaient les figues en lampadaires » (p.82). Plus loin, l’amour idyllique atteint le côté presque érotique quand « ces temps qui s’embrassent / renforcent [sa] jubilation de soleil / [sa] survivance virile » (p.84). Aussi voit-on le poète communier avec l’être aimé car du « je » égoïste», il passe au « nous » pour mettre en exergue l’amour qui les unit : « Je me défais d’une âme repue (…) / Nous irons traduire les sanctus des masques » (p.89). Dans sa « Lettre ouverte à l’obscur Galicien », nous avons un poète chrétien qui interpelle le Chris Un poète chrétien révolté : « Ô Christ / sur ton sang / germe les pêchés du monde / nous sentons le roussi » (p.106). Huppert Malanda dans la peau du poète chrétien, se rappelle l’Eglise Saint Charles Lwanga de Mouyonzi suspendue à ses souvenirs d’enfance, lui qui « voulait briser les fémurs de la croix / boire le nectar d’Israël »
Huppert Malanda, le poète des poètes
Au carrefour des écritures, les poètes se rencontrent souvent implicitement sans s’en rendre éventuellement compte Et c’est au niveau du lecteur averti que cette rencontre devient explicite. La poésie d’Huppert Malanda n’échappe pas à cette règle. On y découvre de grandes figures tel Jean Baptiste Tati Loutard dans « Elégie tropicale pour le temps de vaches maigres » avec l’image de la mer, une spécificité de la poésie loutardienne : « Nous voici chauds des nymphes australes / noyés en mer » (p.66). De Tchicaya U Tam’Si et de Maxime Ndébéka, le poète Huppert Malanda s’est réchauffé au près de « Feu de brousse » de l’un et des rayons des « Soleils neufs » de l’autre, pour accoucher à son tour ces beaux vers couleur Césaire ci-après : « nous serons atomes cassés / dans chaque particule d’explosion / les cendres des feux de brousse feront de nous / l’esprit des soleils fumants » (p.99).
La poésie d’Huppert Malanda, par son hermétisme fondé sur un vocabulaire recherché qui contribue à la beauté scripturale du texte, ne se lit pas, mais se vit, à l’instar des textes d’Aimé Césaire. Avec Malanda, chaque mot est comme une noix qui renferme en elle une dynamique sémantique, noix qu’il faut casser pour sa substantifique moelle afin de comprendre l’ordre établi de sa poésie, une poésie qui construit un pont entre l’hermétisme de Césaire et de Tchicaya U Tam’Si et la beauté des images de Tati Loutard et Maxime Ndébéka. Et c’est sur ce pont qu’il faut chercher l’originalité de la poésie d’Huppert Malanda, un poète plus connu au niveau international que dans son pays, un poète qui, depuis 1987 a été distingué par moult prix de poésie dans l’espace francophone.
1 Huppert Malanda, Les Paradis fragiles, éd. Flammes Vives, Paris, 2013.