ARTS. Dans les œuvres de l’artiste-peintre pakistanaise Faiza Khurram, le geste est chant, la couleur est rythme et les nuances des fragments de mémoire, de récit et de poème en pleine genèse. Ce plasticienne à la touche impressionniste, néo-figuratif, abstraite lyrique, entre autres styles, qui vit et travaille à Karachi, la capitale économique et financière du pays, a choisi dans ses travaux récents d’exprimer sa perception du monde avec beaucoup de rhétorique et de métonymie, avec un goût prononcé pour la spiritualité.
De même que dans l’écriture, les lettres de l’alphabet constituent un outil de communication avec l’intellect, dans les compositions picturales de Faiza Khurram, ce sont les formes et les couleurs. Cette composition a le pouvoir de parler à l’âme de celui qui la regarde en silence et sans l’intervention inutile de l’artiste. Elle porte en elle sa signification authentique; il suffit à celui qui la regarde de comprendre cette vérité. En témoignent ses œuvres « Amour spirituel», « Histoire d’Adam et Eve», entre autres portraits et récits picturaux littéraires et philosophiques…
Au cours de la réalisation de l’œuvre, la seule préoccupation de l’artiste Faiza est la recherche de l’équilibre. Dans ses peintures, les figures de base ont toujours été intégrées à l’esquisse d’un paysage donné, avec des constructions qui essaient de mettre de l’ordre dans le chaos du monde tel qu’elle le perçoit. Les couleurs dominantes se marient aux multiples nuances des autres couleurs, créent des compositions aux multiples surfaces contrastées, avec une mise en lumière parfaite et maîtrisée. Le principal changement de rythme est dans la structuration même de l’espace: ses évasions ultra-romantiques occupent désormais la place centrale de l’espace pictural.
La réflexion technique de notre artiste-peintre se métamorphose ainsi en méditation spirituelle. Le peignage des plages colorées rappelle les pratiques des miniaturistes et le sillonnement des jardins zen, lieux de méditation par excellence. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, Faiza reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique au-delà de la finalité qu’elle lui assigne. L’espoir existe donc, en dépit de tout, au sein de la plus obscure des nuits.
C’est normal : l’art n’exorcise-t-il pas, ne conjure-t-il pas les démons, ne sauve-t-il pas la plasticienne, n’est-elle pas l’un des exercices majeurs des hautes traditions spirituelles ? Mais, en tout cas, pour cette artiste- peintre, c’est l’espoir d’une évasion de la peinture: comme le poète n’habite pas une terre mais une langue, l’artiste-peintre n’habite pas le monde mais la peinture. C’est la seule mère-patrie dont personne ne peut l’expulser. La peinture est son territoire inaliénable, son paradis retrouvé. Faiza s’inspire ainsi de sujets oniriques, ou fantasmagoriques mais ses œuvres restent cependant fidèles à la réalité de formes. Elles déroutent, interrogent, dégagent de la poésie. La splendeur et l’élégance de ses œuvres sont le fruit d’un travail particulièrement humain. Sa sensibilité aiguë à l’atmosphère, la sûreté de la composition, le contrôle exceptionnel de la palette caractérisée par une tonalité sourde, contrebalancée par les couleurs, sont tout simplement magnifiques.
Le chromatisme vif et contrasté de ses peintures ne dépend que des rapports des tons entre elles, selon les surfaces qu’elles animent, de manière totalement subjective. Sur le plan sémiologique, la peinture de Faiza n’est pas de l’art brut, mais une peinture ressaisie par le savoir de ses éléments les plus fondamentaux. Elle nous fait alors voyager à travers ses œuvres presque sans mot dire, pour nous faire découvrir le monde tel qu’elle le ressent, pense, voit et perçoit. Le regard à l’œuvre découvre alors des silhouettes suggérées qui évoluent si librement dans l’espace. Suggérées car les formes restent avant tout allusives, comme si les êtres devaient se fondre avec la nature, dans une harmonie qui exclurait toute vaine tentative de domination.
Bref, l’art que Faiza Khurram nous donne à voir et à apprécier est en mouvement, en ébullition constante sans règles établies. Ici, chaque tableau est une découverte, mais aussi une nouvelle expérience picturale pour son créateur. Son processus prend source dans la mémoire. Et les émotions sont presque palpables. C’est dans son silence acharné, sa mystique abrupte et l’instinct de la transcendance que notre artiste a su puiser dans son génie, sa passion du jaillissement et son sens inné de créer l’union dans la diversité. Aboutissement : une œuvre riche qui dépasse le jeu des formes, des apparences, pour recueillir ce qui est au cœur des choses, l’esprit du concret.
Ayoub Akil