Dans la peinture de la plasticienne marocaine Dounia El Hajjaji, le geste est chant, la couleur est rythme et les nuances des fragments de mémoire, de récit et de poème en pleine genèse. Cette doctorante, native de Fès en 1987, a choisi dans ses travaux récents d’exprimer sa perception du monde avec beaucoup de rhétorique et de métonymie. Cette frénésie se manifeste de façon palpable dans l’ensemble de ses travaux qui sont aussi et surtout le fruit de plusieurs décennies de recherches picturales focalisées notamment sur la lumière, les formes, les couleurs et le trait.
Observatrice attentive du monde, Dounia El Hajjaji a su progressivement se libérer du poids des choses, dépasser le jeu des formes, des apparences, pour recueillir ce qui est au cœur des choses, choisir l’esprit du concret. Mais ses œuvres n’en ont jamais pour autant perdu leur saveur, cette véracité qui fait le regard toujours complice des choses avec lesquelles, elle entre en contact. C’est même l’origine et la raison d’être de son travail pictural dénonçant implicitement le matérialisme de notre ère provoquant la perte de notre âme.
C’est dire que l’œuvre de Dounia favorise à la fois l’aspect extérieur par son harmonie des formes et des couleurs, et la résonance intérieure, celle de l’âme. Elle s’appuie sur son propre terrain fertile en thèmes et en sujets et fait appel à l’imagination, son précieux outil, lui accordant le premier rôle et l’autorisant à s’ébattre en toute liberté et fantaisie. Elle fait confiance également à ce riche substrat de matières variées qui couvent en elle dans les tréfonds de sa psyché et qui est fait de souvenirs, d’expériences marquantes, de rêves, d’idéaux, de toute une symbolique personnelle, nourrie de ses expériences.
De l’existence de l’homme à sa condition, en passant par sa place dans l’univers, sa finitude, sa disproportion, se manifeste l’immense filet de son expression artistique philosophique, spirituelle et poétique. Tout cela se bouscule sur la toile en voisinages inattendus, suscitant chez le spectateur la surprise et le questionnement. Son œuvre prend alors un caractère contemplatif tout à fait prémonitoire. Ces derniers travaux sont à l’image de la palette riche de cette artiste qui a depuis toujours inscrit son œuvre dans un processus favorisant l’évolution des mentalités, de la réflexion et donc de la spiritualité.
Dans son univers, Dounia ressent ce besoin incessant de s’élever et d’avancer, lentement mais sûrement. Il est question d’une recherche perpétuelle de la profondeur de l’œuvre qui permet l’éveil spirituel. L’œuvre de Dounia ressemble le plus à son âme comme à ses émotions, qui sont toujours à fleur de peau. La superposition des couches de couleurs, les nuances des tons insufflent un effet magique à ses œuvres. Des contrastes forts et harmonieux, distribués en équilibre sur la surface des toiles chargées de détails, surprennent le regard et participent à la singularité de l’ensemble.
La réflexion technique de Dounia El Hajjaji se métamorphose ainsi en méditation quasi-spirituelle. Le peignage des plages colorées rappelle les pratiques des miniaturistes et le sillonnement des jardins zen, lieux de méditation par excellence. Qu’on le veuille ou non, bien qu’elle soit toujours dans la recherche et l’expérimentation, Dounia reste fidèle à son vocabulaire formel et chromatique très signifiant en dépit et au-delà de la finalité qu’elle lui assigne. L’espoir existe donc, en dépit de tout, au sein de la plus obscure des nuits.
Pour cette artiste- peintre, l’espoir d’une évasion de la peinture : comme le poète n’habite pas une terre mais une langue, le peintre n’habite pas le monde mais la peinture. C’est la seule mère-patrie dont personne ne peut l’expulser. La peinture est son univers inaliénable, son paradis retrouvé. A ce titre, il est très important de rappeler que, dans ce processus de réalisation, Dounia est une artiste, comme une voyageuse qui, pour la première fois, effectue un voyage vers une destination inconnue, via un certain itinéraire, elle sait qu’elle est sensée marcher, mais ne sait pas ce que le voyage lui réserve comme paysages. C‘est seulement, une fois que le voyage est terminé qu’elle peut décrire ce qu’elle a fait et ce qu’elle a découvert durant son itinéraire. Ainsi l’autonomie et l’indépendance de son œuvre lui permettent de s’exprimer indépendamment de sa peinture elle-même.
Il faut dire en fin que dans l’univers pictural de Dounia El Hajjaji, cette approche esthétique devient un rituel et un acte de représentation. C’est une approche critique de l’art contemporain, inséparable de la réalité et de son humanisme, contrairement aux représentations orientalistes qui ne voyaient pas l’humain et qui se préoccupaient surtout de leurs propres projections et de leur désir.
Ayoub Akil
Magnifique ! Bonne continuation