« Ils sont arrivés tels sont des loups affamés […]»… Ainsi commence ce recueil, un long voyage poétique vers un univers lyrique, marqué par la nostalgie d’une affection filiative, le frémissement et les intempéries de l’existence et la douleur perpétuelle. Le poète répond de ce fait, à l’appel de son cœur fébrile et soucieux, voire affligé par la fatalité de certaines réalités macabres de la vie.
Sa poésie est une urgence face aux maux et mots du temps présent, en conjonction avec les méandres du passé, et surtout l’air voilé du futur. C’est ce que nous percevons ici : je parle désormais le verbe des dieux / Pour un cœur et un esprit nouveaux (p.45). L’acte de parler se perçoit comme l’extériorisation d’une idéologie, et d’un désir de liberté qui, finalement se transmute dans l’acte d’écrire. Ce qui revient à dire qu’il deviendrait poreux à tous les vents, porté par cette idée de liberté.
Prince Arnie Matoko fait voyager dans les profondeurs d’une blessée, mais qui n’est pas fatiguée de maintenir le magma du verbe. L’Afrique qu’il personnifie dans ce texte, est celle des libertés. Sans envisager un penchant panafricaniste, dans le sens plein du terme, il témoigne son attachement à ce continent, en restant réaliste aux grands problèmes qui la parsèment : Détache-toi Afrique/ Détache-toi des chaînes de la haine / Car je suis attaché depuis l’aube (p.27).
La notion d’engagement que soulèvent plusieurs écrivains depuis le XVIIIème siècle, se traduit ici comme un vague de lumières qui arrive pour briser l’obscurité. Défenseur de la liberté de tous, Prince Arnie Matoko marche sur les sentiers des grands poètes comme Tchicaya U tam’si, J.B. Tati Loutard, J.P. Makouta Mboukou, Léopold Sedar Senghor, Maxime N’Debeka, Gabriel Mwèné Okoundji, Jean Blaise Bilombo Samba, Huppert Malanda, pour ne citer que ceux-là, sur cette question de la liberté humaine. Sa poésie s’inscrit dans ce combat des lumières, ce combat pour le jaillissement sur tous les plans de la raison humaine. Le souci de voir ainsi l’Homme au sens plein de ce vocable, passe avant tout, d’après sa conception de la littérature.
Outre l’engagement soulevé, le poète prétend également guider ses contemporains et les éclairer par rapport à la marche sociale actuelle. Son appel devient plus que signifiant dans ce sens qu’il suggère la question de la culture comme l’épicentre de toute humanité. Une humanité qui surpasse le champ egocentrique, pour s’accrocher aux ailes de l’humanisme, dans un double rapport entre soi et les autres, entre le « je » et le « tu », dans une synergie des cultures. Dans ce sens, il est très proche de Victor Hugo, quand ce dernier affirme :
Quand je vous parle de moi, je parle de vous./Comment ne le sentez-vous pas ?/Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi.
Ce souffle poétisé dans Mélodie de larmes se présente pour le lecteur averti, comme un remède puissant pour panser et penser les blessures dont souffre l’Afrique en général et le Congo en particulier. Sur ces entrefaites, le poète jette également son regard mûri sur le Congo, plongé depuis belle lurette, dans la quête et la conquête de la paix : Mon pays a trop saigné / Quand cessera-t-il de saigner ? (p.93).
Le poète n’est pas loin de la tragédie poétique développée par Tchicaya U Tam’si dans bon nombre de ses textes. Comme nous le savons, ce dernier a forgé une plume bouleversante et truculente sur la situation de l’homme en société. Sa poésie a été une grande interrogation sur la condition humaine et son évolution en société.
En fait, Prince Arnie Matoko veut réinventer la conscience de l’Homme noir, afin de libérer le continent Africain de toutes formes de carcans, tout en faisant de son écriture une part d’ouverture vers l’universel. C’est notamment par les images, qu’il nous révèle ce qu’on ne voit pas ou ce qu’on ne veut pas voir suivant une approche inconsciente. Le grand poète Léopold Sédar Senghor, parlait en son temps, à propos de Tchicaya U Tam’si de cette ligne de conduite. En spécifiant que, l’image est le seul fil qui conduise le cœur au cœur, la seule flamme qui consume l’âme. De la tête de Tchicaya, de sa langue, de sa plume, de sa peau jaillissent donc les images… » (Quatrième de couverture de J’étais nu pour le premier baiser de ma mère)
Le poète caresse les doux mots comme pour donner le sourire à sa tendre mère dont le vœu est arraché : Ne pleure pas, mère !/ Ne pleure pas/ Car si tu pleures ma douleur redoublera belle/ Ecoute ! Déjà la pluviosité de mes yeux osseux/ Traverse en gros ruisseaux les égouts/ Je te dis lève-toi, lève-toi mère/ Il est vrai que/ Depuis longtemps, je ne sais rien de ce que tu es devenue » p72 / « Je te confirme sèche (p.73).L’auteur est écœuré par les larmes de sa mamelle nourricière, Prince Arnie Matoko, maître de la parole, lance un appel douloureux à cette somme de vie : Dîtes à ma mère, je vous en conjure/ Dîtes à ma mère/ Que son fils souffre/ Qu’il traverse un calvaire/ Dîtes-lui sans ambages/ Qu’il ne fait pas bon vivre / Pour un enfant comme moi/ Pour un orphelin comme moi (p.67).
Il n’est pas facile de lire et relire sa poésie en profondeur sans se fondre en larmes. C’est le cas par exemple de Papa Wemba, musicien de la rive gauche du fleuve Congo, dans sa célèbre chanson Maman. Il évoque sa tristesse liée à la mort de sa mère à travers justement une symbolique musicale puissante : Maman même si je pleure il n’y a personne pour me consoler / voilà pourquoi j’ai chanté cette chanson pour toi/ Je mange pour satisfaire juste la bouche. Maman si tu étais encore en vie, j’allais proposer qu’on te nomme ministre de l’éducation […](traduction en langue française de la version Lingala).L’esthétique de la douleur chez Prince Arnie Matoko se marie d’un côté à l’expression de la désespérance et de l’autre, de l’espérance. Il le précise en ces termes :
Lorsque mes mots auront les pieds/Sur les nuages épais des maux/Et que mes dents auront la blancheur/Des monts les plus hauts du monde/Je vivrai (p.113).
En définitive, il apparaît indispensable à la nouvelle génération des poètes francophones, de lire et relire cette somme poétique, afin que demain, comme le souligne Amadou Lamine BA : De nos bras enlacés s’entremêlent nos mains/ Et que nos cœurs viennent / A voyager ensemble[1] ».
Tristell Mouanda Moussoki.