Un grand peuple est un peuple qui se souvient de ses morts, de ses braves, martyrs, génies et héros. Un peuple qui oublie ses morts est un peuple d’office mort et exclu de l’histoire des peuples et des nations libres et prospères. Le Mouvement pour la Paix et le Développement du Congo (MPDC) et son Président Armand MAVINGA TSAFUNENGA rendent un vibrant hommage au poète et grand artiste musicien congolais Simon LUTUMBA NDOMANUENO, communément appelé LUTUMBA Simaro Masiya, décédé le samedi 30 mars 2019 à Paris en France à l’âge de 81 ans. Ce grand monument de la culture congolaise a marqué son temps de son empreinte et entre dans le panthéon de notre histoire commune. Il nous quitte au même moment que l’autre grand monument de notre culture, nous citons le sculpteur Alfred LIYOLO LIMBE M’PUANGA.
Le poète et artiste musicien LUTUMBA Simaro Masiya est né le 19 mars 1938 dans la Commune de Lingwala à Kinshasa (alors Léopoldville) en République Démocratique du Congo. L’illustre disparu est un grand guitariste, un auteur compositeur prolixe, vraie poule aux œufs d’or.
La profondeur et la subtile sensibilité de ses chansons lui valent la reconnaissance d’un grand poète. Il est initié à la guitare par Kalonji, un guitariste congolais adepte du « zebola » (un possédé), un rythme et une danse des cérémonies d’exorcisme du peuple Nkundu de l’Equateur en République Démocratique du Congo. Ainsi, en 1958, il débute professionnellement à la guitare rythmique dans l’Orchestre Micra Jazz où il rencontre notamment les compatriotes Tuka, De Piano et Menga. Il y fait un passage éclair sans rien produire.
En 1959, il rejoint l’orchestre Congo Jazz du célèbre artiste interprète congolais Gérard MADIATA. Il y produit trois titres à succès, à savoir : « Simarocca », « Muana etike » (enfant prodige) et « Lisolo ya ndaku » (causerie de la maison). Fort de ses trois titres, il trouve sa place en 1961 au sein du Groupe OK Jazz où il rencontre en particulier le monument Franco LUAMBO MAKIADI. Il reste à côté de ce dernier jusqu’à sa mort en octobre 1989. Sa grande carrière a été construite dans cet orchestre où il a assumé très longtemps les fonctions de chef d’orchestre. En, 1994, il crée son groupe “Bana OK” qui va connaître aussi un grand succès. Et comme toujours, le slogan est resté depuis l’OK Jazz, on entre OK et on sort KO.
LUTUMBA Simaro Masiya, un grand artiste de talent et un auteur compositeur hors pair
L’artiste musicien LUTUMBA Simaro Masiya, véritable virtuose de la guitare, était un compositeur riche, prolifique et talentueux de la musique congolaise et africaine. Il était une véritable école pour les nouvelles générations. Il a su identifier régulièrement de nouveaux talents et les promouvoir. Avec sa guitare, il a créé un rythme de la rumba propre à lui LUTUMBA qui inspire et fait danser toutes les générations. Il a inspiré des artistes comme Carlito Lassa qui s’en est inspiré pour créer la « Rumba po na Yesu », pour ainsi dire la « Rumba pour la louange de Jésus-Christ » dans le cadre de la musique chrétienne.
Le poète et auteur compositeur LUTUMBA NDOMANUENO Simaro Masiya nous laisse un patrimoine riche qui restera à jamais gravé dans notre histoire collective, nationale et africaine. Plusieurs de ses chansons sont des chefs d’œuvre de la musique congolaise de valeur mondiale. Nous pouvons citer notamment ses tubes comme « Fifi nazali innocent », « Ma Hélé », « Ebale ya Zaïre », « Mabele », « Verre cassé », « Maya », « Affaire kitikwala », « Cedou », « Faute ya commerçant », « Mandola », « Testament ya Bowule », « Kadima », « Ophela ». Son répertoire est très riche et nous ne pouvons citer tous les titres ici. Toutefois, il y a lieu d’en citer aussi quelques autres : « Na lifelo bisengo bizali te », « Okokoma Mokristo », Masuwa, « Où est le sérieux », « Mbanzi ya kamundele », « Vaccination », « Diarrhée verbale », « Mwana ndeke », « Layile », « On ne vit qu’une seule fois », « Muya », « Tala merci bapesa na mbwa », « Trahison », « Eau bénite », « Cœur artificiel », « Maclebert », « Mangasa », « Dati pétrole », « Aminata nazangi visa ».
Artiste de talent, il était un bon coach qui, sans placer sa voix dans ses chansons, savait choisir et orienter les interprètes de ses chansons. Il a notamment utilisé la voix des artistes ci-après : Sam Mangwana, Pépé Kallé Yampania, Madilu Système, Carlito Lassa, Djo Mpoyi, Malage De Lungendo. Il a aussi utilisé les voix de : Josky Kiambukuta, Ndombe Opetum, Kiesse Diambu et Ntesa Dalienst. Il a su dénicher et promouvoir de jeunes talents comme les Carlito Lassa, Malage et autres.
LUTUMBA NDOMANUENO Simaro Masiya, un grand poète qui nous laisse orphelin
Il était surtout connu et reconnu comme un grand poète. Il savait jouer sur la variation subtile des sentiments et des sensibilités. Il cherchait toujours comment toucher la profondeur des cœurs de tout le monde par la profondeur de ses mots, de ses images et de ses expressions. Il savait jouer de manière sublime sur les registres de la joie et de la mélancolie, de l’amour et de la haine, de la jalousie, des querelles, des divisions, des séparations, de la solidarité et de la trahison. Il savait trouver des mots et des expressions pour toucher les cœurs durs et sensibles, pour fortifier les cœurs fragiles. Quel grand poète des relations amoureuses et sociales qui savait toucher les cœurs de toutes les générations !
Il était un poète pour contribuer à guérir les cœurs sensibles et blessés et pour maintenir et renforcer la joie de vivre. LUTUMBA Simaro Masiya était un poète aux hymnes magnifiques d’amour. En tant que vrai croyant, sa poésie touchait aussi les points sensibles de la spiritualité, des valeurs à observer. Son
amour était aussi empreint de l’amour de la Sainte Vierge Marie, amour que nous qualifions d’amour marial. Il était aussi un poète aux messages d’espoir et d’espérance pour son peuple et son pays. Nous perdons un poète messager du peuple congolais et de l’Afrique dont la profondeur et la richesse de la parole et de la pensée resteront un patrimoine à protéger. Dans la profondeur de son thème d’amour, il était un poète de la justice, de la paix, de la liberté, de la solidarité et de la fraternité.
LUTUMBA NDOMANUENO Simaro Masiya, un acteur social de son temps
Il est important de souligner que LUTUMBA est resté un fidèle compagnon de Franco LUAMBO MAKIADI de 1961 jusqu’à sa mort en 1989. Cette qualité de fidélité que nous retrouvons rarement chez nos artistes musiciens. Il était très longtemps chef d’orchestre OK Jazz. Avec le grand monument Franco LUAMBO, il était un acteur de la grande école « OK Jazz » qui était restée toujours le miroir de la société congolaise. Comme l’inépuisable Franco, grand peintre de notre société, il était un lecteur assidu des valeurs et antivaleurs de la société congolaise. Sa poésie tirait beaucoup sa sève de cette analyse sociale.
LUTUMBA était un homme de son temps, de son milieu et de son peuple. Le peuple congolais perd un grand sage qui n’a cessé de partager sa sagesse aux autres, un vrai conseiller social. Il est né dans la Commune de Lingwala à Kinshasa et y a vécu toute sa vie. C’est le signe de stabilité et surtout de son ancrage dans sa communauté. Il était un vrai fils de Lingwala. En lingala, nous disons : « aza muana ya Lingwala ya solo ». Il tenait toujours sa place dans la société et sa grande célébrité ne pouvait pas le faire sortir hors de lui.
LUTUMBA était aussi dans le combat pour la défense des droits des artistes, notamment des droits d’auteur et des droits voisins. Il a participé à ce combat difficile qui nous ramène au grand questionnement de l’ancien Président Mobutu Sese Seko qui se demandait en 1980 pourquoi nos créateurs intellectuels et notamment nos artistes ne vivaient que d’expédients ? La piraterie des œuvres, accrue de manière terrible aujourd’hui par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, prive les créateurs intellectuels et notamment les artistes de leurs ressources nécessaires. La volonté politique est très importante pour protéger et promouvoir la créativité intellectuelle, pour ne pas dire artistique et littéraire.
Le passage de la Société Nationale des Editeurs, Compositeurs et Auteurs (SONECA), créée en décembre 1969, à la Société Congolaise des Droits d’Auteurs et des Droits Voisins (SOCODA), qui l’a remplacée en septembre 2010, n’a pas résolu, comme il est vivement souhaité, ce problème de la protection efficace des droits d’auteur et des droits voisins dans notre pays. Il faut une formulation large et globale de la politique culturelle pour le développement de notre pays, en tenant compte de l’environnement international et technologique où les droits d’auteurs sont désormais liés au commerce.
J’ai noté le souci de l’artiste LUTUMBA pour la protection des droits des artistes, surtout quand j’étais consultant de la SONECA pour la mise en place du Centre Zaïrois d’Information sur le Droit d’Auteur (CZIDA) (1981-1986) dans le cadre du Service commun UNESCO-OMPI pour l’accès facile des pays en développement aux oeuvres protégées d’origine étrangère, pouvant aider au progrès de l’éducation, de la science et de la culture pour le développement. Travail qui nous a amené à contribuer modestement à la rédaction de la Loi portant protection des droits d’auteur et des droits voisins qui a été promulguée le 05 avril 1986.
Le grand artiste musicien LUTUMBA tenait beaucoup aux valeurs. Il est resté un fervent croyant toute sa vie. Il vivait sa vie à l’image de la famille des enfants de la Sainte Vierge Marie et sur le chemin de son Seigneur Jésus-Christ. Sa grande célébrité ne l’a pas détourné de sa foi. C’est ainsi qu’il conseillait à tous les artistes, notamment de nouvelles générations, d’éviter des paroles et des scènes obscènes ainsi que des pratiques douteuses.
L’artiste et poète LUTUMBA Simaro Masiya a reçu la reconnaissance et les honneurs officiels avant sa mort. En décembre 2015, il était du nombre d’environ 90 opérateurs culturels, parmi lesquels des artistes musiciens, plasticiens, comédiens, écrivains et autres de la République Démocratique du Congo qui ont été décorés de médailles du mérite des arts, science et lettres par le Président de l’Assemblée nationale, au nom du Président de la République, grand Chancelier des ordres nationaux.
L’année 2018 a été l’année de la reconnaissance des plus officielles de l’oeuvre accomplie par le poète et artiste musicien LUTUMBA NDOMANUENO Simaro Masiya. C’est l’année où il fêtait à la fois ses 60 ans de prestation comme artiste musicien et son 80ème anniversaire de naissance. Des hommages nationaux sont organisés par les pouvoirs publics. Il est élevé au grade de Commandeur. Le gouvernement baptise de son nom la plus grande avenue de la Commune de Lingwala. Un buste est érigé en son honneur au croisement des avenues Libération et Nyangwe dans la Commune de Lingwala. Il faut le souligner que notre illustre disparu avait lui-même demandé la reconnaissance de son œuvre pendant qu’il était encore vivant. Ce qui lui a été accordé. Moi je l’ai fait bien avant en 2008, 2010 et 2012. Distingué Aimé Césaire disait que le poète est comme un prophète à qui il appartient de diriger l’humanité, il ne s’est pas trompé. Certaines chansons du poète ont toujours eu des allures prophétiques et spirituelles. En 1974, dans sa chanson « Mabele », le poète LUTUMBA évoque le buste qui sera érigé en son honneur. Cela s’est accompli 44 ans après en 2018. En voici les extraits en langue lingala :
Mokolo nakokufa nkake ekobeta (Le jour de ma mort, la foudre va rétentir)
Djitatima yo olobelaka bato maloba na nga ya suka (Toi Djitatima,, tu diras aux gens mes derniers mots, ma dernière parole)
Moto na nga bakamata basala monument (Qu’on prenne ma tête pour dresser un buste sur le lieu public)
Soki mopaya aye balobela ye sango (Si un visiteur vient, vous lui direz de qui il s’agit). Une vision de tourisme culturel.
Le poète LUTUMBA décide de passer le flambeau à la nouvelle génération en 2018. Il surprend tout le monde quand il confie la direction de son groupe musical Bana Ok à Manda Chante, le talentueux chanteur connu du grand public grâce au groupe Wenge Musica. Tous les chroniqueurs ont retenu sa déclaration et sa recommandation émouvantes lors de ce passage de flambeau : « J’ai accompli ma mission. Que les autres suivent mes pas et qu’ils n’empruntent pas des voies immorales. Je me considère comme un professeur de musique. Ce que je demande aux jeunes c’est de bannir des insanités dans les chansons et la danse. Nous ne devons pas imiter aveuglement les cultures des autres. On doit être capable d’enseigner à travers la musique ».
Vous pouvez lire avec intérêt les poèmes ci-après dédiés en son temps au poète et artiste musicien LUTUMBA Simaro Masiya par l’écrivain poète Armand MAVINGA TSAFUNENGA :
- Poème « Bon anniversaire LUTUMBA Simaro Masiya » tiré du recueil « Cimetière de vivants » (MAVINGA TSAFUNENGA Armand, Cimetière de vivants, Editions L’Harmattan, Paris, 2010, pp.93-94) ;
- Poème « Procès d’anniversaire de LUTUMBA Simaro » tiré du recueil : « Sombritude et Justice » (MAVINGA TSAFUNENGA Armand, Sombritude et Justice, Ceprocom-Afrique, 2012, pp.195-211).
Il ne nous reste qu’à dire bravo au poète et artiste musicien Simaro LUTUMBA NDOMANUENO et bon voyage à la rencontre de tes ancêtres et de ton Dieu que tu aimes tant et que Lui aussi t’aime plus. Repose en paix le grand artiste et poète de la République Démocratique du Congo, messager de l’Afrique.
Paris, mardi le 30 avril 2019
Armand MAVINGA TSAFUNENGA
Président National du MPDC
Ecrivain poète.