
TRIBUNE. Les trois heures d’échange entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur une base militaire en Alaska n’ont abouti à aucun « deal » ou avancée concrète. C’est en tout cas ce qu’a affirmé le président américain au sortir de la réunion avec son homologue russe. « Il n’y a pas d’accord », a-t-il déclaré. Volodymyr Zelensky et ses soutiens européens, qui craignaient que Russes et Américains décident du sort de l’Ukraine sans eux, ont poussé un ouf de soulagement. « C’est une très bonne nouvelle qu’il n’y ait pas eu d’accord, pour l’Ukraine et pour les Européens », estime Alberto Alemanno, professeur de droit européen à HEC Paris.
De mon point de vue, il y a eu accord de principe entre Trump et Poutine sur la question ukrainienne. C’est dans l’ambiguïté du langage diplomatique utilisé par les deux présidents (surtout Donald Trump) que niche le diable.
Eh oui ! En diplomatie, il ne suffit pas d’écouter ce qui est dit pour comprendre. Il est crucial d’examiner ce qui n’est pas dit dans les propos afin d’identifier les sous-entendus et les implicites. L’utilisation des termes volontairement vagues, polysémiques ou ouverts à interprétation multiple est essentielle quand on veut transmettre des messages délicats ou critiques.
Deux aspects sont à considérer dans l’examen de la position russe : 1) la détermination de la Russie à conserver les territoires partiellement ou totalement conquis ; 2) les raisons profondes du conflit. Selon le Kremlin, il n’y aura pas d’accord avec les États-Unis sur la fin du conflit si les parties ne s’accordent pas sur ces questions fondamentales. Or à en croire Vladimir Poutine, Donald Trump désire « contribuer à la résolution du conflit ukrainien » et affiche « son désir d’en comprendre l’essence et d’en saisir les origines ». Autrement dit, Trump comprend mieux la position de la Russie, sans nécessairement la partager.
Mais le meilleur est à venir. Dans son allocution, Poutine a également dit espérer que «L’ENTENTE» trouvée, selon lui, avec Trump puisse ouvrir « la voie à la paix en Ukraine », sans en préciser la teneur. « Nous espérons que Kiev et les capitales européennes prendront tout cela avec un esprit constructif et ne créeront pas d’obstacles ni ne tenteront de saper les progrès escomptés par des provocations ou des intrigues en coulisse », a poursuivi le président russe. Mais de quelle «entente» parle-t-il ?
En tout cas, on comprend mieux les propos de Poutine en écoutant Donald Trump. Ce dernier a déclaré lors de la même conférence de presse : « Nous n’y sommes pas, mais nous avons fait des progrès », avant d’ajouter vaguement : « Il n’y a pas d’accord jusqu’à ce qu’il y ait un accord ». Cette phrase, à elle seule, dit tout et rien. L’ambiguïté du langage diplomatique n’est pas un simple défaut de communication, mais bien une stratégie délibérée qui permet de préserver des marges de manœuvre, d’éviter des ruptures brutales et de maintenir le dialogue entre acteurs dont les intérêts sont parfois irréconciliables.
Mais le président américain ne s’arrête pas là. Il ajoute qu’ils (Poutine et lui) se sont « mis d’accord sur de nombreux points » sans livrer plus de détails. « Il n’en reste que très peu, certains ne sont pas très importants, mais l’un d’entre eux est probablement le plus important », a-t-il ajouté, tout aussi énigmatique. Pour couronner le tout, il a mis la pression sur Volodymyr Zelensky en déclarant sur Fox News qu’un accord pour mettre fin à la guerre « dépendait vraiment du président » ukrainien. Autrement dit, ce n’est plus Poutine le problème, mais Zelensky qui est invité à la Maison-Blanche ce lundi. Voilà pourquoi les principaux dirigeants de l’Union européenne sont en panique et ont décidé d’accompagner « bébé » Zelensky à Washington. Une «panique» qui en dit long sur la réalité de ce qui se passe en coulisse.
Pour Donald Trump, qui est accusé injustement de tout concéder à la Russie, à défaut d’être un «agent russe», annoncer l’existence d’une entente ou même d’un accord de principe, au sortir de la réunion avec Poutine, aurait été imprudent, voire improductif. Il fallait donc montrer que les États-Unis n’ont rien cédé et entendent mêler l’Ukraine aux discussions. Ce lundi, on en saura davantage.
Petite réflexion pour conclure : quand on est petit, voire insignifiant, on ne se mêle pas des linges sales des deux grandes puissances en jouant le sous-traitant de l’une au détriment de l’autre.
Par Patrick Mbeko