TRIBUNE. A chaque conflit de couples pour une raison ou une autre, ou dans un divorce, j’entends souvent ce propos « Que Dieu punisse celui qui a été la cause » ou plus authetiquement en darja « qu’Allah yakhoud alhak fi alli kane lina 7ila w sbabe » prononcé ainsi par l’un des deux mariés marocains. Ceci veut dire qu’Allah punisse la personne intermédiaire pour le mariage ou bien pour le divorce.
Quel est donc le sens de ce propos et quelles sont ses conséquences sur les enfants ?
- Dans les conflits conjugaux
Lorsqu’un couple marocain entame un gros conflit avec dispute, hurlement, insulte, menace de divorce, cela se termine fréquemment par « Que Dieu punisse celui qui a été la cause ».
a-Les messages cachés de ce propos
- L’irresponsabilité
Le marocain se voit toujours victime de tout et de tout le monde et ce n’est jamais de sa faute. Bien qu’il ait lui-même accepté ce mariage et signé son accord devant les autorités, il met ici en cause la personne intermédiaire de la rencontre du couple et par conséquent le mariage. Cette personne intermédiaire n’est toutefois coupable en rien de l’échec du mariage, d’autant plus que ce n’est pas elle qui a signé l’acte de mariage. Le marocain est toujours démissionnaire devant sa responsabilité et rejette la faute sur l’autre.
- L’absence de la remise en question
De par son immaturité émotionnelle, la marocain ne se remet jamais en question dans un conflit conjugal pour repérer ses erreurs. Au contraire, pour lui, c’est toujours de la faute du conjoint et de la personne intermédiaire.
- Ignorance de ses devoirs dans l’institution du mariage
Le marocain est toujours dans l’attente de ce qui peut lui faire plaisir, ainsi il est toujours insatisfait. De même, le mari réduit son devoir conjugal à nourrir sa femme, satisfaire ses besoins sexuels et lui faire des enfants. La femme à son tour réduit son devoir à préparer le repas, nettoyer la maison et être disponible au lit. Il ne s’agit là que d’infimes devoirs dans l’institution du mariage. En revanche, le véritable devoir de l’un et de l’autre est d’aider le conjoint à s’épanouir et lui offrir de la joie dans le but de participer au développement de la société. Évidemment ceci demande un travail laborieux, une bonne préparation personnelle et une meilleure connaissance de soi et de l’institution du mariage.
b- Conséquences de ce propos sur l’enfant
C’est une phrase dévastatrice et destructrice pour l’enfant, la véritable victime. Lorsque l’enfant entend de ses parents ce propos « Que Dieu punisse celui qui a été la cause », il déduit que ses parents ne se sont pas mariés par amour et par conséquent qu’il est né accidentellement et sans amour. Aussi, il ne comprend pas comment ces adultes se sont mariés à cause d’un intermédiaire, ainsi il voit ses parents immatures et irresponsables. Il s’inquiète énormément car il ne se sent plus en sécurité. Il devient anxieux et probablement dépressif avec des répercussions dangereuses sur le développement de sa personnalité, de sa confiance en soi et sur ses apprentissages scolaires.
2- Dans le divorce
Souvent les enfants me rapportent que lors de la visite de leur père ou de leur mère, ils entendent l’un et l’autre répéter le propos « Que Dieu punisse celui qui a été la cause ».
a-Les messages cachés de ce propos
Le désengagement
Dans le divorce, le marocain ne se voit jamais responsable de la fracture de l’institution du mariage, de son échec dans son devoir conjugal et de l’éclatement de la famille. Plutôt, il se voit victime et que son divorce résulte de la faute de l’autre partie oud’autres personnes comme les beaux-parents d’où le propos « Que Dieu punisse celui qui a été la cause ».
- L’immaturité émotionnelle et de la personnalité
Le marocain divorce souvent à cause de l’arrogance des parents de l’un ou de l’autre. Il se sent alors lésé dans sa dignité et se venge en divorçant pour punir ceux qui, selon lui, ont été la cause. Le marocain est incapable d’assumer sa responsabilité et de mettre en priorité son couple et ses enfants. Au contraire, il est immature et met son égo en premier. En d’autres termes, il ne règle pas le problème avec les personnes concernées par peur et manque de confiance en soi, ainsi il se venge sur celle qui considère plus faible que lui, en l’occurrence l’épouse !
b- Conséquences de ce propos sur l’enfant
L’esprit contradictoire
Lorsque l’enfant entend son père ou sa mère répéter ce propos, il déduit que ses parents n’ont jamais voulu le divorce. Il se demande alors ce qui les empêche de reprendre la vie commune puisqu’ils sont tous les deux victimes et qu’ils ont divorcé à cause de quelqu’un « que Dieu punisse celui qui est la cause ». Il ne comprend rien, si ce n’est l’esprit de contradiction. Ainsi les parents brisent la logique de l’enfant et déforment les mécanismes de ses réflexions cérébrales.
- Prise de conscience de l’immaturité de ses parents
Par ce propos l’enfant déduit que ses parents sont inconscients de ses propres intérêts et de son bien être et le privent d’une vie de famille unie. Il se demande alors comment ses parents ont permis à d’autres personnes de les séparer et de briser une famille entière ? Sont-ils si faibles à ce point ? Sur qui alors peut-il compter dans sa vie ? Sur des personnes incapables de le protéger lui et leur famille ? Ainsi il devient anxieux et incapable d’avoir confiance en lui et en ses parents.
- La fragilité de l’institution du mariage « un jeu d’enfant »
Par ce propos, l’enfant perçoit que le mariage est très fragile, ou bien un simple jeu d’enfant « Je me marie, je divorce ».
Docteur Jaouad MABROUKI
Psychiatre, Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe