TRIBUNE. Ce matin j’ai entendu l’hymne national chanté par les élèves d’une école à 200m de chez moi et j’ai eu la chair de poule d’entendre la voix de ces enfants innocents criant de manière stridente la fin de l’hymne national « Allah Alwatane Almalike » « Dieu, la Patrie, le Roi ».
Mais en errant dans mes réflexions psychanalytiques, j’ai eu de nouveau la chair de poule malaxée à une terreur froide. En fait je me suis rendu compte que par cette activité du salut au drapeau, l’école « schizophrénise » davantage ces petits citoyens. Je m’explique.
Hélas, à la maison l’enfant apprend l’hymne de l’immigration légale ou illégale « la’7 ‘rik », l’hymne de « quel pays ! Tu crèves, tu meurs, personne ne te vient en l’aide », l’hymne de « par Dieu si je pouvais quitter ce pays je le ferais immédiatement et je n’y remettrais plus jamais les pieds », l’hymne de « je préférerais vivre avec les juifs plutôt que dans ce pays », l’hymne de « pourquoi Dieu m’as-tu fais naitre dans ce pays ?», l’hymne des insultes à l’encontre des politiciens et des administrations et de tout le pays, l’hymne de « qu’il n’est ni aimé ni protégé par son pays ».
En fait l’enfant entend chez lui un autre hymne marocain dont le texte est totalement opposé à celui qu’il vient de chanter à l’école. Un hymne qui ancre en lui la haine et le mépris de sa société et de son pays. Il entend l’hymne de la réalité, l’hymne de l’injustice, l’hymne de la disparité richesse/pauvreté, l’hymne du désespoir, l’hymne de la hogra, l’hymne de la violence, l’hymne de l’impuissance, l’hymne de l’irrespect, l’hymne de « citoyens privés de leurs droits de citoyenneté », l’hymne de son inexistence, l’hymne de la misère, l’hymne de la faim, l’hymne de « l’incapacité de l’accès aux soins lorsqu’il est malade ». Il vit l’hymne de la toxicomanie, l’hymne de la violence parentale, l’hymne de sa propre violence, l’hymne de l’indifférence.
Déjà l’enfant est complètement dissocié et « schizophrénisé » par les paradoxes de l’éducation des parents, l’éducation religieuse, l’enseignement scolaire et la schizophrénie sociale. Déjà il a appris à ne pas aimer son pays et qu’il doit le quitter le plus rapidement possible. Alors, l’école vient, dans tout ce contexte de paradoxes, bouleverser l’esprit de l’enfant et lui apprendre à aimer son pays !
Je me demande si l’école et ses cadres aiment leur pays et ne seraient-ils pas prêts eux-mêmes à le quitter s’ils en avaient la possibilité ?
Docteur Jaouad MABROUKI
Psychiatre, Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe