Si en langue française, la vérité est définie comme une idée ou une proposition que l’esprit reconnaît comme vraie ou qui s’accorde avec le sentiment que quelqu’un a de la réalité, dans la langue Koòngo, différentes expressions sont utilisées pour décrire une chose ou un fait revêtu du sceau de la vérité.
A titre principal, c’est le mot très ancien kie-leka (ou tsie-leka) queon les Koòngo emploient pour traduire la réalité d’une chose, d’un fait voire d’un sentiment.
Ainsi « muùna kieleka » est cette expression qui tend à décrire l’exactitude ou la réalité d’une chose qui, somme toute, est reconnue comme telle en raison de son rattachement aux choses dites vraies que l’on situe dans le Nza ou l’univers de kie-leka.
Ici, kie-leka du fait de son attachement au vocable de muùna devient conceptuellement parlant comme un lieu de localisation de la vérité. Ce n’est pas la vérité en tant que telle, mais beaucoup plus, un lieu dans lequel la vérité est censée être se situer.
Quant à l’expression « ni buùna », contrairement à celle de kie-leka, elle tend à consolider la vérité sur un ton affirmatif qui, par la même occasion, récuse toute contradiction sur la réalité des faits mis en cause. Elle est employée pour exprimer l’idée de justesse, d’exactitude et de parfaite conformité qui, à ce titre ne souffre d’aucune remise en cause.
A titre d’exemple, l’Être Suprême NzaMbi MpuNgu est défini comme le Tout puissant, créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui existe.
A cela l’homme Koòngo répondra naturellement « ééé ni buùna ! wa ma kie-leka ! », c’est-à-dire, qu’il en est ainsi très exactement.
Par ailleurs, l’expression « bwisi bwa maàmbu bukiele (ou butsiele) » est celle que les Koòngo emploient pour traduire la manifestation d’une vérité qui se fait jour ou apparaît au grand jour dans le règlement d’une affaire ou d’un litige.
Ici, le vocable bukiele n’est, linguistiquement parlant, qu’une transcription évolutive du mot tsia (ou tiya) qui, en l’espèce revêt la signification d’éclats de lumière.
C’est dire que, chez les Koòngo, la vérité est aussi lumière et est définie comme telle en raison de sa manifestation qui s’opère sous forme d’éclats de lumière ou de concrétisation d’un fait voire d’exactitude d’une cause dans le règlement d’un litige ou d’un différend.
Outre le mot kie-leka, il existe un autre terme dans les parlers Koòngo pour exprimer l’idée de vérité.
Il s’agit de nguùla, lequel mot associé au mot muùntu donne nguùla muùntu et qui tend à désigner, l’homme juste, honnête et qui, par ses faits et gestes témoigne parfaitement de l’idée que l’on se fait de la réalité ou de la vérité en matière d’humanité ou ki-muntu.
C’est ainsi par exemple Emile cardinal BIAYENDA dans les parlers Koòngo est un nguùla muùntu, c’est-à-dire un être spirituel de haut rang qui, par son vécu a su montrer la réalité même de ce que doit être un muùntu, c’est-à-dire cet être véritablement intelligible qui aspire à la tranquillité, à la paix des hommes vivant dans une communauté qui leur permet de s’épanouir d’une manière ou d’une autre. Il est, par définition, l’être intelligible mais qui l’est encore davantage parce qu’il porte en lui la vérité. C’est ce qui lui confère au final la qualité de nguùla muùntu.
Emile cardinal BIAYENDA est un nguùla muùntu parce qu’il est parvenu, par son discours, ses faits et gestes donc par sa façon d’être, au stade social ou socialisant du savoir vivre tel qu’il devrait être selon le muntuïsme ou le ki-muntu, c’est-à-dire la philosophie existentielle bantoue.
C’est à ce titre qu’il est, d’après le muntuïsme, un nguùdi, c’est-à-dire une haute autorité humaine ayant, peut-on dire, force de loi en matière spirituelle, religieuse, morale et sociale. Il est le modèle même de cette définition du muùntu tel que le conçoit le muntuïsme.
Emile cardinal BIAYENDA est, peut-on dire, le nguùdi’a kaànda, c’est-à-dire le représentant, l’ancien et le témoin agréé par la conscience sociale dans la manifestation des principes de Ki-muntu qui sont à la fois, ordre, exemplarité, développement et épanouissement tant de l’individu que de la société.
C’est en cela qu’Emile cardinal BIAYENDA apparaît comme le nguùla muùntu, ce témoin de la socialité, de la justice et de la vérité parmi les hommes, celle qui refuse le mépris, l’aliénation de l’être parce qu’il doit être seulement ce, à quoi, il est destiné par l’Eternel, son Dieu créateur NzaMbi MpuNgu, c’est-à-dire au bonheur et à la paix.
Au regard du muntuïsme, Emile cardinal BIAYENDA est véritablement un nguùla muùntu et un nguùdi’a kaànda, parce qu’il est la réalité même de cette dimension humaine qui œuvre intégralement pour le développement de l’être, la paix ou ki-oòngo et le dialogue et c’est au nom de tous ces principes auxquels, il croyait très fort qu’il est allé jusqu’au sacrifice suprême pour ceux qu’il aimait à savoir : les hommes et uniquement les hommes.
Ainsi, comme le relève à juste titre l’ancien recteur du grand séminaire de philosophie de Brazzaville, vice recteur et maître de conférence à l’université catholique d’Afrique centrale à Yaoundé, l’abbé Olivier Massamba-Loubelo dans « Les Nouveaux Enjeux Pastoraux entre tradition et modernité Hommage au Cardinal Emile Biayenda Editions ICES Novembre 2012 P.19-40 » :
« Chez Emile, les qualités ne sont pas en demi teinte, elles apparaissent dans toute leur maturité et ne s’éclipsent pas, car cet homme est entier et constant. Parmi ses qualités, je voudrais relever spécialement son humilité qui est à la fois déroutante et fascinante. « Il a toujours été comme cela », disent ceux qui l’ont connu depuis les années de formation au séminaire jusqu’à la fin de sa vie. Mais pour le commun des fidèles, c’est la tranche de vie de l’épiscopat et du cardinalat qui marque les esprits. En Afrique ( mais ce n’est pas une spécificité africaine), il n’est pas rare que les prêtres, à plus forte raison les évêques et les cardinaux sont mis sur un piédestal quand ce ne sont pas eux-mêmes qui invitent les fidèles à les hisser sur le pavois ; en effet, ces hommes de Dieu ont le privilège d’être manipulateurs du sacré et donc détenteurs de pouvoirs magico-religieux que sollicitent ceux qui sont dans les embarras de tous genres ; c’est pour cela qu’on leur donne le respect et les honneurs dus à leur rang de notables et de faiseurs de sacré. Emile Biayenda, évêque et cardinal, méritait ces honneurs en toute logique. Il avait conscience d’être un chef, un grand chef, il n’était pas seulement ngaanga nzambi, le féticheur de Dieu (c’est ainsi qu’on désigne le prêtre au Congo-Brazzaville), mais plus encore il était Mfumu ngaanga (appellation de l’évêque en pays koòngo), le chef des féticheurs. Cependant il n’utilisait jamais son statut de chef pour se pavaner ; c’était vraiment un prince à l’esprit noble et élevé qui savait que sa véritable grandeur ne lui venait pas de ce que les hommes l’encensaient, mais plutôt de son élection par Dieu au rang de serviteur des fidèles chrétiens. »
Sous un angle socio-humain ou socio-judiciaire, le nguùla ou nguùdi est la traduction même des affaires qui sont censées revêtir l’autorité de la chose jugée du fait de leur vérité ou de leur réalité.
Ainsi, le nguùla samu ou nguùdi’a samu est cette chose ou cette affaire qui est reconnue comme vraie du fait de son analyse qui, au final fait ressortir la réalité ou la vérité telle qu’elle est conçue ou telle qu’elle doit être.
Ici, force est d’indiquer que dans la tradition Koòngo le mot nguùdi n’est pas que réservé pour désigner une mère. Il est aussi institution voire expression qui prend corps pour revêtir en même temps force d’autorité sociale ou institutionnelle.
En fait, nguùdi apparaît comme la matrice ou l’origine de ce qui est censé se révéler être la vérité.
A titre d’exemple, le nguùdi teemo, le responsable ou le chef organisateur de cette tontine est l’expression même de cette autorité à laquelle il doit se tourner intelligiblement et raisonnablement pour la faire prévaloir en son sein aux fins d’une meilleure organisation et d’un bien être des membres qui le constituent.
Il s’agit ici, d’une autorité manifestement intelligible qui, en l’espèce apparaît sous l’angle de la féminité donc de la fécondité, du développement et d’épanouissement, c’est-à-dire de nguùdi.
C’est à ce titre qu’elle se distingue de celle qui relève du dictat en s’exprimant ou en se situant dans le domaine de la vérité ou ma-kieleka, c’est-à-dire par une adhésion raisonnable des membres à tous les principes d’organisation et de fonctionnement d’un teemo sans lesquels, il n’a lieu d’être.
Pour ce faire le nguùdi teemo veille ainsi méthodiquement et intelligemment au bon fonctionnement de l’institution.
En somme, nguùdi est vérité ayant force de loi ou d’autorité qui est reconnue comme telle du fait de sa manifestation intelligible qui s’opère par l’amélioration des conditions d’existence de l’être ou du muùntu. C’est dans cet ordre d’idées qu’un chef de village chez les Koòngo apparaît comme un nguùdi n’gaàta ou un mpfumu n’gaàta (voire nguùdi’a kaànda) par ce qu’il apparaît aux yeux de ses concitoyens et ce, à la fois comme un fin connaisseur des principes qui concourent au bien être du muùntu, à la stabilité de son village et donc « naturellement » un garant privilégié des institutions publiques voire un précieux gardien de la moralité publique.
Rudy MBEMBA-Dya-Bô-BENAZO-MBANZULU ( TAÀTA N’DWENGA)
Koòngologue