L’autorité chez les Koôngo
Des mots et de la conscience sociale en matière d’autorité ou de commandement chez les Koôngo D’un point de vue définitionnel, l’autorité est le pouvoir de commander, de prendre des décisions, ou de se faire obéir. C’est aussi, le fait d’exercer un pouvoir, étant entendu que, celui-ci est l’ensemble des prérogatives qui permettent aux hommes et femmes appartenant à un groupe humain donné d’agir, de décider, d’une manière ou d’une autre, et ce, en accord avec les recommandations sociales communément admises par le groupe. Dans la société Koôngo, c’est le mot ki-mfumu qui renferme toutes les prérogatives afférentes à la notion d’autorité. C’est à ce titre que, le détenteur de toute autorité au sein de cette communauté Koôngo est appelé Mfumu. Lorsqu’il s’agit d’un détenteur de l’autorité dont la fonction est celle de diriger le village, on l’appelle communément Mfumu n’gâta, ou Mfumu nsi c’est-à-dire, le chef du village. A dire vrai, le mot Mfumu dérive du nom d’un arbre que les Koôngo désignent par le terme mu-fuma. Il s’agit d’un fromager lequel est, selon les croyances spirituelles bantoues et particulièrement Koôngo, un arbre sacré. Arbre géant et fascinant par sa taille, le mu-fuma ou le fromager africain, se reconnaît par sa taille de 40 mètres voire de 60 mètres. Il est particulièrement reconnu par ses énormes épines qui parent son tronc. Cela dit, un fort mysticisme entoure le mu-fuma ou fromager qui en fait un arbre respecté et protégé. En Afrique et particulièrement chez les Koôngo, le mu-fuma ou fromager est considéré comme un arbre sacré tout comme le baobab ou mu-koôndo en occupant notamment un rôle central dans beaucoup de contes où il aide le personnage principal, en se posant comme intermédiaire entre le monde sacré des humains et le monde des défunts. C’est l’arbre qui abrite, dit-on les esprits des ancêtres. De plus, le mu-fuma est un arbre médicinal qui, à ce titre comporte des propriétés anti-inflammatoires et hypoglycémiantes. Par exemple, la décoction de son écorce est utilisée pour traiter les coliques abdominales et le décocté des feuilles est utilisé contre les aptes, la gingivite, les diarrhées, les troubles intestinaux, les maux de ventre. Par ailleurs, le mu-fuma ou fromager est, aux Antilles, lié à l’histoire de l’esclavage où, il a servi , de par sa solidité, aux esclaves désireux d’échapper aux conditions de vie inhumaines, du fait donc de l’esclavage, de se pendre. C’est ainsi que les esclaves étaient, dit-on persuadés que s’ils se pendaient aux branches de mu-fuma ou de ce fromager leur âme parviendrait à voyager au-dessus des mers et de retrouver celles de leurs ancêtres. Cela dit, chez les Koôngo, et ce, analogiquement parlant, l’arbre de mu-fuma, est en étroite relation avec le devenir existentiel de l’être ou du Muuntu. Autrement dit, comme le rapporte, à juste titre le père Van Wing, pour le Muntu, « Nzambi Mpungu uyidika beto minti dimoya », c’est-à-dire Nzambi Mpungu, l’Être suprême, le créateur de tout l’univers, le maître souverain nous a façonnés, arbres vivants. [ Van Wing in « Etudes Bakongo sociologie, religion et magie » 2ième édition 1959 P.298.] C’est dans cet ordre des choses que, le chef plus précisément le chef du village est assimilé chez les Koôngo, à l’arbre de mu-fuma ou fromager qui est, par excellence l’arbre symbolique du principe même de l’autorité. D’où l’étymologie du nom qui lui est attribué, celui de Mfumu ( qui n’est autre qu’un condensé du mot mu-fuma) par référence à l’arbre de mu-fuma lequel arbre est, entre autres, beaucoup apprécié par l’aigle pour établir son nid. En effet, l’aigle a un goût assez prononcé pour construire son nid d’un mètre cinquante sur des mi-fuma ou fromagers (ou bombax) à une hauteur de 30 à 50 mètres. C’est là où, il pond ses œufs en les couvant pratiquement pendant près de deux mois. Il peut voler sur de longues distances en s’écartant de son nid, mais il finit toujours par y revenir. D’où le proverbe Koôngo selon lequel : « Mbemba ka zungana tululu tsiandi mu-fuma », c’est-à-dire, l’aigle peut quitter son univers résidentiel qui est établi sur les branches de mu-fuma en allant très loin, cependant il finit toujours par y retourner. Ce qui, sur le plan analogique, signifie qu’un ressortissant Koôngo peut sortir de son territoire en voyageant, à travers le monde, ici et là, n’empêche qu’il ne doit jamais oublier le Koôngo de ses ancêtres, la mère-patrie. Cela sous-entend que, l’exercice de l’autorité par le chef requiert, pour qu’il devienne effectif ou raisonnablement social et humain, la force, la justesse, la sagesse, l’habileté et le bon sens. Il s’agit là, peut-on dire, des qualités que lui reconnaissent ses sujets et en vertu desquels, ils se sentent en sécurité, à l’instar de Mbemba ou l’aigle qui n’hésite guère à retourner sur son nid construit sur des branches de mu-fuma tant pour sa sécurité que pour celle de ses petits que sont, les aiglons. C’est dans cette optique que, le représentant de l’autorité, chez les Koôngo est, en quelque sorte, un mu-fuma, c’est-à-dire, cet arbre robuste dont les racines sont solidement et durablement enfouies sous terre. Il est, somme toute, un mfumu, en raison des prérogatives qu’il détient et en vertu desquelles, il est, le référentiel, le pilier social sur lequel repose les espoirs de tout un peuple, le justicier, le protecteur, le gardien de l’ordre social de son village. Le chef est, chez les Koôngo, un mu-fuma, c’est-à-dire un Mfumu parce qu’il jouit, comme le rappelle si bien le vénéré Emile cardinal Biayenda « d’une très haute autorité morale, politique et social. Il inspire crainte et confiance aux yeux des membres du clan et des alliés. Il est le symbole vivant du clan et de son unité. Il est celui qui est le dépositaire des insignes, biens familiaux et claniques laissés par les ancêtres : souvenirs, fétiches, etc… C’est l’intercesseur et le défenseur selon le cas du clan devant les vivants et les défunts. Il veille sur
Emile Cardinal Biayenda et les douze (12) clefs de la conscience socio-culturelle des [ba]-Koongo
Loin des considérations traditionnelles du peuple Koôngo auquel j’appartiens, je n’ai jamais saisi les notions d’appartenance familiale que ma mère aimait bien faire l’étalage, durant mon enfance, ma jeunesse voire au tout début de ma vie adulte. Ces mots de ma mère résonnent encore en moi, lorsqu’elle clamait haut et fort qu’elle était « mwana koongo, mushi ngoma mwana mvimba, mu tekolo mpanzu….. » C’est en lisant la toute récente et dernière publication de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU sur le Cardinal Emile Biayenda et les 12 clefs de la conscience socio-culturelle des Bakoongo, à l’occasion du quarantième anniversaire de son assassinat (22/03/1977-22/03/2017) publié aux éditions ICES au mois de septembre dernier que j’ai finalement compris le sens profond de ce qui me paraissait être autrefois, une sorte de mystère. L’ouvrage de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU m’a ouvert les yeux et, comporte deux parties. La première partie porte sur la définition du clan, ses traits caractéristiques et les lois fondamentales qui le régissent. La seconde partie consacre les douze (12) clans qui définissent la Famille Koôngo qui sont l’expression même de sa conscience socio-culturelle. L’originalité du livre de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU a été de présenter la famille Koôngo, au travers de ses clans, pas tout simplement comme une parenté essentielle et fondamentale qui domine et ordonne toutes les relations des Koôngo avec leurs semblables, mais en plus de cela comme un espace d’expression professionnelle [Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.25.] Etant la collectivité de tous les descendants par filiation utérine, d’une aïeule commune, et qui portent le nom de cette collectivité, comprenant, entre autres, tous les individus des deux sexes qu’ils vivent en dessous ou au-dessus de la terre…les défunts et les vivants, le clan ou Kanda se révèle aussi comme étant un espace sacré de socialisation ou d’insertion professionnelle de l’individu qui en est membre. [ Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.21.] Ainsi, autrefois, chez les Koôngo, on était disposé dès le jeune âge à être un juge, un forgeron, un artiste, un médecin selon que l’on appartenait à tel ou tel clan ou Kanda. Selon l’auteur Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU, les douze (12) clans de la conscience socio-culturelle Bakoôngo auraient constitué une grande famille quadripartite en matière de division de travail. Autrement dit, les clans, objet du dernier ouvrage du kongologue auraient eu : Une appartenance politique et judiciaire : c’est le cas du clan kimpanzu qui, dans l’ancien Congo intervenait dans l’élection des nouveaux rois. [Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.70.] Une appartenance religieuse ou spirituelle : c’est le cas du clan nsaku qui, selon Raphaël Batsikama rapporté par Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU constitue la famille des Lévites congolais, c’est-à-dire de ceux dont la fonction est tournée vers le sacerdoce ou à la mission de prophète. [Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.75.] Une appartenance technologique et industrielle : c’est le cas du clan sundi qui, dans le Koôngo dia Ntootela jouira d’une grande renommée pour le travail de la forge. [Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.83.] Une appartenance artistique et « hospitalistique » : ce fut le cas du clan kimbanda dont les métiers en ce domaine eurent un écho outre-atlantique plus exactement au Brésil et aux Antilles. [Le cardinal Emile Biayenda et les 12 clans…P.90.] En résumé, à travers cet ouvrage dont le travail est « techniquement bien fouillé et d’une grande portée scientifique », le kongologue Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU a réussi à faire ressortir la dimension intellectuelle du Cardinal Emile BIAYENDA, en prenant appui sur sa thèse de doctorat intitulée : Coutumes et développement chez les Bakongo du Congo-Brazzaville.Un ouvrage fort intéressant que je recommande volontiers aux lecteurs et lectrices amoureux de l’histoire du royaume Congo que très peu d’héritiers dudit royaume connaissent. C’est fort dommage !Réapproprions-nous notre histoire, tel est l’un de mes plus précieux vœux de l’année 2018, à l’endroit de mes compatriotes, en l’occurrence, de ceux de culture Koôngo qui s’y intéressent vraiment. Joyeuses fêtes et BWANANA 2018 Eliezere BAHADILA Licenciée en psychologie
Le Mbongi et le devenir du Muuntu chez les Koöngo
Le « Mbongi et le devenir du Muuntu chez les Koôngo » est le titre d’un bel ouvrage que le kongologue Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU vient de publier en ce début d’année 2016, aux Editions les Impliqués-L’Harmattan. Comme le mentionne parfaitement bien son préfacier, l’Abbé Olivier Massamba Loubelo, l’auteur a fait « une descente initiatique dans les entrailles de la culture-mère, pour la présenter aux générations d’aujourd’hui et de demain … ». C’est vraiment, une des rares études, qui traite du Mbongi de façon très approfondie et qui, longtemps durant, a été le lieu idéal dans la société Koôngo pour se retrouver, se rencontrer, partager et régler les différends de toute sorte.L’étude de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU a ce mérite particulier de mettre en lumière les différents rôles que joue le Mbongi et lesquels au final contribuent, d’une manière ou d’une autre, à la formation du MUUNTU. Le Mbongi apparaît comme une haute institution d’éducation et de formation de l’être ou du MUUNTU. Le jeune garçon y est reçu dès l’âge de 5 ans pour apprendre le sens organisationnel de la parole qui passe avant tout par un apprentissage fort nécessaire de la loi de l’écoute, c’est-à-dire le WA. C’est comme si, chez les Koôngo, le devenir de l’être, passe par l’adoption de deux principes de vie que sont : le WA et le BA. Le BA, est expression du devenir de l’être ou du MUUNTU et il ne peut être que, si dès le jeune âge l’enfant ou mwaanaest absolument astreint à la loi d’écoute, d’observation ou d’analyse autrement dit soumis à la loi de WA. Dans la langue Koôngo, l’on dira, mwaana muuntu fweti wa ngatu ka ba autrement dit, dans le devenir de l’être ou du MUUNTU, l’écoute est d’une importance capitale d’autant plus qu’elle est un des éléments indispensables de l’intégration chez l’être du principe de respect ou de BU-ZITU. NTU BUZITU, MPU BUZITU dispose un adage Koôngo, ce qui veut dire que le respect et le rayonnement de la couronne dépendent intimement de la personnalité et de la sagesse de l’être qui en est investi. C’est ce que l’on apprend, entre autres, au Mbongi. Quelle belle école ancestrale ! L’éducation de la jeune fille étant assurée dans d’autres instances éducationnelles, celle du jeune garçon ou mwaana bakala passe par le Mbongi qui, en plus de cela joue d’autres fonctions pour son plein épanouissement existentiel. L’ouvrage de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU est fort intéressant car on y découvre les analyses des Sages ou des Anciens comme le vénéré pasteur Emile Cardinal BIAYENDA sur le Mbongi et on ne peut que regretter le fait que les autorités chargées de l’Education Nationale au Congo n’aient pas pu exploiter les bienfaits de cette haute institution. La dépravation des mœurs, tous les maux qui rongent la jeunesse congolaise qui est en perte de vitesse doivent en principe être la cause d’une renaissance tant souhaitée par beaucoup de Congolais du Mbongi. Le Mbongi est, peut-on dire, l’avenir et le devenir de la jeunesse congolaise de demain. C’est ainsi qu’on nous a toujours appris au village, comme le rapporte si bien le professeur Justin-Daniel GANDOULOU « Lorsqu’on se trompe de chemin, il vaut mieux de repartir au point de départ (ou à la première intersection) pour se retrouver. Pendant longtemps, sous l’égide de l’éducation traditionnelle et notamment de mboongi, notre société avait maintenu son équilibre. Mais les changements intervenus à tous les niveaux (socioculturels, économiques et politiques) ont eu des incidences profondes sur les attitudes, les comportements et les mentalités des Congolais. Sur ce point, un consensus se dégage chez les observateurs et les éducateurs. Tous s’accordent donc pour dire que le pays est sur une mauvaise voie… » in « Les Nouveaux Enjeux pastoraux entre tradition et modernité hommage au cardinal Biayenda » Editions Ices 2013 P.109 et s. Au final, un bel ouvrage sur le Mbongi qui nous est offert par le kongologue Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU en ce début d’année 2016, qu’il convient bien évidemment de lire et de faire découvrir autour de soi pour une meilleure connaissance de celui-ci. ELIEZERE BAHADILA Licenciée en Psychologie
De la définition du Principe de la volonté d’après la tradition Koongo
Est appelée volonté toute faculté de déterminer librement et donc sans contrainte ses actes et de les accomplir. C’est, peut-on dire, l’expression de l’être dans son désir du vouloir faire ou de ne pas faire. Pour le philosophe allemand Schopenhauer, la volonté, plus précisément la volonté de vivre est le principe universel de l’effort instinctif par lequel tout être réalise le type de son espèce, et lutte contre les autres êtres pour maintenir la forme de vie qui est la sienne. C’est ainsi que la volonté individuelle n’est pour lui qu’une manifestation de ce vouloir vivre. Dans le même ordre d’idées, dans « Par de-delà le Bien et le Mal » Nietzche, considère que dans toute volonté il y a d’abord une pluralité de sentiments, le sentiments de l’état dont on veut sortir, celui de l’état où l’on tend, le sens de ces directions elles-mêmes, « à partir d’ici », « pour aller là-bas », enfin une sensation musculaire accessoire qui, même sans que nous remuions bras ni jambes, entre en jeu comme machinalement sitôt que nous nous mettons à « vouloir ». A ce propos, il existe diverses expressions dans la Tradition Koòngo, pour exprimer l’idée de volonté, du désir ou du vouloir être. Au sens strict du terme, la volonté est, à la fois, d’après la linguistique Koòngo, mouvement et liberté que recouvre la notion de Nda. En effet, le Nda est mouvement ou expression du mouvement dans l’être. Ainsi, We-Nda, exprime le mouvement de l’être ou son déplacement psychique ou corporel d’un endroit à l’autre mais une telle faculté n’est toutefois accessible qu’en l’absence de toute contrainte de sorte que la volonté, chez les Koòngo n’est concevable que, quand elle rime avec l’idée de liberté. Par exemple, Ku-Nda Nzaàmbi, marque ou exprime en Koòngo toute volonté de l’être dans son désir d’élévation ou d’union avec Dieu ou la conscience universelle. Ici, le préfixe de ku est la désignation du lieu d’accomplissement de la volonté de l’être qui, en l’occurrence est le nda, c’est-à-dire, l’univers de la pensée du désir ou de la volonté. Toutefois, dans la linguistique ou tradition Koòngo, la volonté au sens profond du terme est bien plus qu’un effort instinctif qui découlerait chez l’être. Ce n’est pas seulement une sensation musculaire qui entrerait machinalement en jeu. En tant que Être ou Muùntu, toute volonté humaine obéit à une sorte de commandement qui relève de l’ordre des choses qui sont sous l’empire de la loi de l’amour ou du désir de quelque chose. D’où d’ailleurs la traduction de cette notion de volonté en langue Koòngo par le mot Luzolo ou Zola. Mu zola ku zwa kima yayi, dira-t-on en langue kikoòngo, c’est-à-dire, je désire être en possession de cette chose, je la veux, je tiens absolument l’avoir ou l’obtenir. C’est comme si, dans la Tradition Koòngo, toute volonté est désir d’accomplissement et consisterait en une expression du mouvement ou de l’action dans l’être à l’effet d’être en possession de ceci ou de cela. C’est, peut-on dire, une direction ou un but tendant en la réalisation d’une chose en passant plus précisément d’un endroit à l’autre. Dans son lexique « Français-Kikongo » publié aux imprimeries Gounouilhou en 1914, Henri Galland, n’a pas tout à fait tort en définissant la volonté, le vouloir et le désir par Luzolo et Zola lesquels termes en langue Koòngo, traduisent l’idée générale de la volonté mais qui, toutefois n’est concevable que, si elle est en rapport avec la notion de liberté ou de bien-être. Au fait, en langue Koòngo, le désir ou volonté s’inscrit dans l’espérance ou l’amour de quelque chose que l’on veut. C’est ainsi que, le terme Nzo-lolo qui, étymologiquement décrit la maison de l’amour ou du désir voire du vouloir être traduit philosophiquement en langue Koòngo, le sentiment du désir d’accomplissement qui s’opère dans « l’agir » ou mouvement en l’absence bien évidement de toute contrainte. En somme, la volonté est, dans la tradition Koòngo, la mise en jeu de cette puissance dont est dotée un être ou le Muùntu et qui, en se situant dans le Nzo ou espérance lui permet de disposer ou non de quelque chose au final pour le bien de soi ou de l’autre voire pour l’environnement dans lequel on est situé. Par exemple, Luzolo lwa nsi ou Luzolo ya bwala ! est bien plus que l’amour que l’on a pour son pays ou sa patrie. Il est aussi volonté qui s’inscrit dans la dynamique du désir ou du bien-être voire du développement sans cesse de celle-ci. C’est à ce titre que la conception de la volonté chez les Koòngo se rapprocherait de celle du philosophe allemand Emmanuel Kant, d’après laquelle, la volonté s’inscrit dans la tendance de l’être vivant à agir, dans son caractère dynamique et désirant : elle relève, dit-il, de la faculté de désirer, c’est-à-dire d’être par ses représentations cause des objets de ses représentations, faculté qui, dit-il encore, « s’appelle la vie ». Rudy MBEMBA-Dya-Bô-BENAZO-MBANZULU (alias Taàta N’dwenga) Koòngologue
Des mots, d’Emile Cardinal Biayenda et de la définition du principe de Vérité dans la coutume Koòngo
Si en langue française, la vérité est définie comme une idée ou une proposition que l’esprit reconnaît comme vraie ou qui s’accorde avec le sentiment que quelqu’un a de la réalité, dans la langue Koòngo, différentes expressions sont utilisées pour décrire une chose ou un fait revêtu du sceau de la vérité. A titre principal, c’est le mot très ancien kie-leka (ou tsie-leka) queon les Koòngo emploient pour traduire la réalité d’une chose, d’un fait voire d’un sentiment. Ainsi « muùna kieleka » est cette expression qui tend à décrire l’exactitude ou la réalité d’une chose qui, somme toute, est reconnue comme telle en raison de son rattachement aux choses dites vraies que l’on situe dans le Nza ou l’univers de kie-leka. Ici, kie-leka du fait de son attachement au vocable de muùna devient conceptuellement parlant comme un lieu de localisation de la vérité. Ce n’est pas la vérité en tant que telle, mais beaucoup plus, un lieu dans lequel la vérité est censée être se situer. Quant à l’expression « ni buùna », contrairement à celle de kie-leka, elle tend à consolider la vérité sur un ton affirmatif qui, par la même occasion, récuse toute contradiction sur la réalité des faits mis en cause. Elle est employée pour exprimer l’idée de justesse, d’exactitude et de parfaite conformité qui, à ce titre ne souffre d’aucune remise en cause. A titre d’exemple, l’Être Suprême NzaMbi MpuNgu est défini comme le Tout puissant, créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui existe. A cela l’homme Koòngo répondra naturellement « ééé ni buùna ! wa ma kie-leka ! », c’est-à-dire, qu’il en est ainsi très exactement. Par ailleurs, l’expression « bwisi bwa maàmbu bukiele (ou butsiele) » est celle que les Koòngo emploient pour traduire la manifestation d’une vérité qui se fait jour ou apparaît au grand jour dans le règlement d’une affaire ou d’un litige. Ici, le vocable bukiele n’est, linguistiquement parlant, qu’une transcription évolutive du mot tsia (ou tiya) qui, en l’espèce revêt la signification d’éclats de lumière. C’est dire que, chez les Koòngo, la vérité est aussi lumière et est définie comme telle en raison de sa manifestation qui s’opère sous forme d’éclats de lumière ou de concrétisation d’un fait voire d’exactitude d’une cause dans le règlement d’un litige ou d’un différend. Outre le mot kie-leka, il existe un autre terme dans les parlers Koòngo pour exprimer l’idée de vérité. Il s’agit de nguùla, lequel mot associé au mot muùntu donne nguùla muùntu et qui tend à désigner, l’homme juste, honnête et qui, par ses faits et gestes témoigne parfaitement de l’idée que l’on se fait de la réalité ou de la vérité en matière d’humanité ou ki-muntu. C’est ainsi par exemple Emile cardinal BIAYENDA dans les parlers Koòngo est un nguùla muùntu, c’est-à-dire un être spirituel de haut rang qui, par son vécu a su montrer la réalité même de ce que doit être un muùntu, c’est-à-dire cet être véritablement intelligible qui aspire à la tranquillité, à la paix des hommes vivant dans une communauté qui leur permet de s’épanouir d’une manière ou d’une autre. Il est, par définition, l’être intelligible mais qui l’est encore davantage parce qu’il porte en lui la vérité. C’est ce qui lui confère au final la qualité de nguùla muùntu. Emile cardinal BIAYENDA est un nguùla muùntu parce qu’il est parvenu, par son discours, ses faits et gestes donc par sa façon d’être, au stade social ou socialisant du savoir vivre tel qu’il devrait être selon le muntuïsme ou le ki-muntu, c’est-à-dire la philosophie existentielle bantoue. C’est à ce titre qu’il est, d’après le muntuïsme, un nguùdi, c’est-à-dire une haute autorité humaine ayant, peut-on dire, force de loi en matière spirituelle, religieuse, morale et sociale. Il est le modèle même de cette définition du muùntu tel que le conçoit le muntuïsme. Emile cardinal BIAYENDA est, peut-on dire, le nguùdi’a kaànda, c’est-à-dire le représentant, l’ancien et le témoin agréé par la conscience sociale dans la manifestation des principes de Ki-muntu qui sont à la fois, ordre, exemplarité, développement et épanouissement tant de l’individu que de la société. C’est en cela qu’Emile cardinal BIAYENDA apparaît comme le nguùla muùntu, ce témoin de la socialité, de la justice et de la vérité parmi les hommes, celle qui refuse le mépris, l’aliénation de l’être parce qu’il doit être seulement ce, à quoi, il est destiné par l’Eternel, son Dieu créateur NzaMbi MpuNgu, c’est-à-dire au bonheur et à la paix. Au regard du muntuïsme, Emile cardinal BIAYENDA est véritablement un nguùla muùntu et un nguùdi’a kaànda, parce qu’il est la réalité même de cette dimension humaine qui œuvre intégralement pour le développement de l’être, la paix ou ki-oòngo et le dialogue et c’est au nom de tous ces principes auxquels, il croyait très fort qu’il est allé jusqu’au sacrifice suprême pour ceux qu’il aimait à savoir : les hommes et uniquement les hommes. Ainsi, comme le relève à juste titre l’ancien recteur du grand séminaire de philosophie de Brazzaville, vice recteur et maître de conférence à l’université catholique d’Afrique centrale à Yaoundé, l’abbé Olivier Massamba-Loubelo dans « Les Nouveaux Enjeux Pastoraux entre tradition et modernité Hommage au Cardinal Emile Biayenda Editions ICES Novembre 2012 P.19-40 » : « Chez Emile, les qualités ne sont pas en demi teinte, elles apparaissent dans toute leur maturité et ne s’éclipsent pas, car cet homme est entier et constant. Parmi ses qualités, je voudrais relever spécialement son humilité qui est à la fois déroutante et fascinante. « Il a toujours été comme cela », disent ceux qui l’ont connu depuis les années de formation au séminaire jusqu’à la fin de sa vie. Mais pour le commun des fidèles, c’est la tranche de vie de l’épiscopat et du cardinalat qui marque les esprits. En Afrique ( mais ce n’est pas une spécificité africaine), il n’est pas rare que les prêtres, à plus forte raison les évêques et les cardinaux sont mis sur un piédestal quand ce ne sont pas
De la définition du principe de ma-yela, d’après l’ordre philosophique de l’intelligence chez les Koôngo
Dire d’une personne qu’elle est intelligente, c’est lui reconnaître explicitement la faculté de comprendre facilement et d’agir avec discernement. L’intelligence est ainsi définie comme étant l’aptitude d’une personne à comprendre et à découvrir des relations entre les faits et les choses. Quoiqu’universelle, cette définition de l’intelligence relève de la culture occidentale, plus exactement de la culture, peut-on dire, gréco-romaine. Dérivé du latin intelligere« faculté de comprendre », le mot intelligence décrit, somme toute, un ensemble de facultés mentales permettant de comprendre les choses et les faits, de découvrir les relations entre eux et d’aboutir à la connaissance conceptuelle et rationnelle (par opposition à la sensation et à l’intuition). Chez les Bantous, en l’occurrence chez les Koòngo, c’est le mot mayela que l’on emploie pour parler de l’intelligence. Ainsi, le muùntu we na mayela, est cette personne qui, chez les Koòngo, jouit de la capacité de comprendre et d’analyser les faits qui lui sont soumis pour en découvrir si possible une corrélation. Ici, l’analyse tant étymologique que sémantique du mot Mayela est fort évocatrice car elle permet de relativiser la notion de l’intelligence telle qu’elle est définie dans la culture gréco-romaine. A dire vrai, le mot mayela comporte le vocable de yela auquel on associe le préfixe de ma. En langue Koòngo, yela signifie croître, mûrir, germer, grandir et le préfixe de ma en l’espèce exprime le pluriel. Muùntu wu mayela ma mingi menandi, dira-t-on en Koòngo, c’est-à-dire cette personne est vraiment intelligente au sens où elle est détentrice de plusieurs aptitudes intelligibles. Ceci dit, ma-yela, contrairement à la définition habituelle qui lui est conférée, ne fait guère allusion, de façon singulière, à une seule et unique intelligence mais beaucoup plus à plusieurs intelligences de l’être dans sa façon de faire, de répondre et d’être face à tous les problèmes de l’existence. Ainsi, est intelligente, chez les Koòngo, toute personne qui, a non seulement la faculté de comprendre en analysant les faits et de pouvoir en découvrir une relation, mais également celle qui est pourvue de plusieurs aptitudes reconnues comme étant intelligibles. D’où la signification littérale du mot ma-yela. lequel mot en réalité, traduit la possession de plusieurs intelligences et donc à ce titre le fait d’être détenteur de plusieurs aptitudes intelligibles. Autrement dit, le muùntu we na mayela fait allusion à la personne qui est dotée de plusieurs intelligences, c’est-à-dire de plusieurs aptitudes qui lui permettent non seulement de comprendre les faits et d’être en mesure de les analyser mais également de disposer par ailleurs de celles qui, inexorablement, le mettent en phase d’adaptation face à différentes situations données. Sa capacité d’appréhender les faits, objet, d’analyse, de façon subtile, peut lui conférer, la qualité d’un ngaàngula, c’est-à-dire de cette personne qui, par sa façon de faire ou d’être fait preuve de beaucoup d’ingéniosité ou ngaàngu. Il devient, somme toute, un forgeron ou ngaàngula. Telle est d’ailleurs la qualité première du roi Ntotela, le roi du Koòngo, le ngaàngula, le maître-initié qui, par sa finesse d’esprit, sa perspicacité ou son intelligence dispose de nombreuses aptitudes pour unir et rassembler ses sujets, en contribuant, entre autres à leur épanouissement existentiel. Le roi du Koòngo est, par définition intelligent puisqu’il est, analogiquement perçu comme étant la rivière parlante, c’est-à-dire (nto) (ya tela). Détenteur de plusieurs intelligences, mayela ma mingi, le Nto-tela jouit, en principe, de la capacité d’unir, de rassembler, de sécuriser, de perpétuer, de cultiver etc. C’est-à ce titre même qu’il est le maître de l’arc-en-ciel, c’est-à-dire de koòngolo, le domaine ou l’univers (nza) des lumières. Du verbe koònga qui veut dire chercher, rechercher, se mettre en quête de, explorer, cueillir, récolter, moissonner, rassembler, tranquilliser. Celui qui est porteur de ngaàngu qui fait donc preuve d’ingéniosité peut être aussi un ngaànga, c’est-à-dire, un expert dans un domaine nommément désigné. Tel est le cas du ngaànga buka, le médecin ou du ngaànga ngoòmbo, le détecteur de mensonges ou l’enquêteur des crimes d’empoisonnement ou de sorcellerie. Mwaàna (enfant) we na mayela est appelé à devenir un muù-ntu, c’est-à-dire cet être qui est ou et doit être intégralement intelligible, l’être complet, peut-on dire, du fait de ses multiples facultés, de nature à le mettre par conséquent en situation ou en phase de comprendre, de savoir faire et de savoir être. Il est, entres autres, mwaàna we na bu-yelele, cet être ou enfant qui, peut-on dire, est constamment en quête du savoir et de l’intelligence, quelle que soit, la situation à laquelle, il est confronté. Ici, le bu-yelele extension de yela est, dans une certaine mesure, le processus d’humanisation et de socialisation de l’être dans l’univers de l’intelligence. C’est le processus même de son mûrissement ou de son développement « psycho-intelligible ». Le courage, la volonté, le sens de l’écoute, l’esprit d’initiative et d’entreprise sont autant de caractéristiques de mwaàna we na bu-yelele ou de mwaàna we na mayela. Le muùntu we na ma-yela, chez les Koòngo, c’est-à-dire l’être intelligible ne peut véritablement l’être que s’il fait l’objet d’une invitation ou d’une introduction sociale dans le Ntu, qui est l’univers même de l’intelligence voire de la sagesse qui diffère, quelque peu, à ce titre, de l’univers de la connaissance ou du savoir, c’est-à-dire, celui de Nzaàbulu. Ici, Nzaàbulu est un dérivé de Zaàba qui est un extrait verbal du mot Nzaàmba. Il décrit le fait de connaître ou celui de savoir en s’inscrivant dans le Nzaàmba, le domaine infini de NzaàMbi MpuNgu ou Dieu lui-même. C’est ainsi que, chez les Koòngo, la connaissance peut parfaitement être dissociée de l’intelligence dont peut être dotée une personne. Cependant, elle s’acquiert par le jeu de l’intelligence dans le Nzaàmba, le domaine de NzaàMbi MpuNgu, l’être suprême qui, à ce titre est le détenteur même de la connaissance absolue. Cependant, l’introduction de l’être dans le Nzaàmba, l’univers de la connaissance s’exprime par le Ntu, le récipient ou ndoònga, c’est-à-dire, le canal d’expression et de dynamisation du savoir et de la connaissance et ce, par le biais de la réflexion ou Baànza. Ainsi l’intelligible naît de Ntu par une dynamisation