Mbuùta Ntoni Manuele Dia Vunda ou Antoine Emmanuel DE Vounda : Premier Ambassadeur du Roi du Congo auprès du Saint Siège à Rome (1607)

Dans les années 1600, le royaume du Koôngo est fortement touché par la traite négrière. Une traite négrière de grande envergure dans tout le royaume où traditionalistes comme chrétiens sont déportés massivement en Amérique.

L’esclavage existe partout, comme le relève à juste titre Martial Sinda, mais l’Eglise n’intervient jamais soit pour aider à la libération de ces pauvres Noirs, soit pour édicter une loi interdisant la pratique d’un commerce aussi lucratif qu’ignoble. [ Sinda (M) in « Le messianisme congolais et ses incidences politiques » Payot 1972 P.31.]

Dans ce contexte fort difficile du royaume, tous les souverains congolais se succédant n’hésitent guère à dénoncer haut et fort la traite négrière notamment par des lettres adressées directement à leurs homologues européens et au souverain pontife. Les souverains congolais, qui voyaient dans ce brigandage une des principales causes de la désagrégation du royaume, se sont souvent plaints, écrit Martial Sinda, dans des lettres émouvantes adressées à leurs collègues d’Europe, y compris au Pape, pour faire cet état de choses.

En son temps déjà le plus monarque qu’ai connu le royaume du Congo avec pratiquement quarante ans de règne, le roi Zinga Mbemba ou Afonso 1er (1506-1543) de son nom chrétien en fit part à son homologue portugais, le roi Jean III du Portugal en ces termes :

« Nous demandons en grâce à son altesse de ne pas croire le mal que disent de nous ceux qui n’ont d’autre souci que leur commerce de vendre ce qu’ils ont acquis injustement, qui ruinent par leur traite notre royaume et la chrétienté qui s’y trouve établie depuis tant d’années et qui coûta tant de sacrifices à vos prédécesseurs. Ce grand bien de la foi, les rois et princes travaillent à le procurer à de nouveaux peuples. Nous sommes tenus à le conserver à ceux qui l’ont acquis. Mais cela se peut difficilement ici où les marchandises européennes exercent une fascination telle sur les simples et les ignorants qu’ils laissent Dieu pour les accaparer. Le remède est la suppression de ces marchandises, qui sont un piège du démon pour les vendeurs et les acheteurs. L’appât du gain et la cupidité amènent les gens du pays à voler leurs compatriotes parmi lesquels les membres de leur propre parenté et de la nôtre demandons en grâce à son altesse de ne pas croire le mal que disent de nous ceux, sans considération qu’ils soient chrétiens ou non. Ils les capturent, les vendent, les troquent. Cet abus est si grand que nous ne pouvons y remédier sans frapper fort et très fort. Et l’innocent souffrira avec le coupable. »

Compte tenu d’un climat sociétal tourmenté par ce qu’on appelle aujourd’hui le crime contre l’humanité portant sur la traite négrière, et dont certains missionnaires étaient aussi complices, les souverains Koôngo cherchaient à redéfinir leur relation de coopération avec le Saint Siège et les autres Etats européens comme le Portugal, l’Espagne et la Hollande.

C’est dans ce contexte que le roi Alvaro II (1587-1614) envoya des ambassadeurs à Madrid et à Rome pour une meilleure collaboration dans les relations diplomatiques.

Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda ou le marquis de Vounda et Grand Electeur fut nommé ambassadeur extraordinaire de sa Majesté le roi Alvaro II du royaume Congo auprès du pape.

Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda qui atterrit à Rome, à la fin du mois de décembre 1607 était porteur d’un profond message du roi du Koôngo pour le pape Paul V que l’on peut définir en des termes que voici :

– Le renforcement de l’appartenance du royaume Congo à la communauté chrétienne, en l’occurrence catholique vaticane.

– Remerciements du roi du Congo au souverain pontife pour la création de l’évêché de San Salvador ou Mbaanza Koôngo nécessitant par voie de conséquence l’envoi des missionnaires et la formation des prêtres autochtones.

– Le mécontentement du roi du Congo et de son peuple sur le comportement dévoyé de certains missionnaires européens sur leur sol encourageant de près ou de loin la pratique de l’esclavage.

– La prise en compte de certaines institutions spirituelles congolaises comme le rôle joué par le détenteur du pouvoir religieux au moment de l’intronisation des rois, le Maàni Nsaku Ne Vunda, considéré à tort par l’autorité vaticane comme un personnage diabolique.

– L’instauration d’une franche et directe collaboration entre l’Eglise du Congo et le Saint Siège récusant ainsi sur ce point le patronage portugais ou l’ardeur des espagnols à vouloir faire du royaume Congo un Etat tributaire et non un royaume indépendant.

Ici, il y a lieu d’indiquer que les Portugais s’opposaient à de telles initiatives au nom du « Padraodo » ou droit de patronat. En effet, le « Padroado » était constitué par un ensemble d’accords intervenus entre le Saint-Siège et le Portugal pour assurer la collaboration entre l’Eglise et l’Etat, dans les entreprises de découverte et d’évangélisation des pays d’outre-mer. [ Mgr J. Cuvelier in « L’Ancien royaume de Congo » Desclée De Brouwer P.335.]

C’est ni plus ni moins ce qu’il convient d’appeler en termes contemporains le pacte colonial.

Ainsi, en vertu du « Padraodo », les Portugais s’opposaient toujours à l’envoi des ambassadeurs Koôngo même s’agissant de ceux d’origine européenne.

C’est dire que l’arrivée de Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda ou du Marquis de Vounda fut un triomphe du roi Koôngo sur le plan diplomatique.

Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda arriva à Rome pratiquement affaibli en raison de son voyage périlleux par voie de navigation et au cours duquel, il perdit plusieurs membres de sa délégation.

Diplomate né, très intelligent et cultivé, pétri de beaucoup de sagesse et fin connaisseur des traditions de ses ancêtres, parlant, entre autres, le portugais, l’espagnol et le latin de façon remarquable, Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda impressionna la curie romaine par sa bonhomie, son calme et son sens aigu de la présentation au pape du message dont il était porteur du roi du Congo. Il fut véritablement considéré comme un digne fils tant de la nation africaine que chrétienne.

A son propos, dans « L’Ancien Congo d’après les archives romaines (1518-1640) », Monseigneur Cuvelier et l’Abbé Jadin rapportent qu’il était « âgé d’environ trente ans, noir de couleur, mais de manières nobles et posées. Par-dessus tout, il était pieux et dévôt. Il ne lui manquait pas de valeur et de prudence dans les affaires. Le roi…donna beaucoup d’avis confidentiels concernant les choses dont il devait parler de vive voix avec Sa Sainteté. ».

Baesten cité par les deux derniers auteurs rapporte quant à lui que : « Il avait peu de barbe, était bien proportionné, paraissait âgé d’environ 35 ans. Il parlait très bien le portugais et l’espagnol. »

En fait les qualités humaines et spirituelles de Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda sont comparativement identiques, par exemple, à celles du vénéré pasteur Emile cardinal Biayenda. Il apparaît comme un véritable muùntu épris de paix et respectueux des valeurs universelles.

Comme le Cardinal Emile Biayenda, Mbuùta Ntoni Dia Vunda a souffert, au cours de son long voyage à destination de Rome, dans sa chair, victime du banditisme des pirates hollandais. Le marquis de Funta (Vunda), à trois reprises, fit, rapportent Monseigneur Cuvelier et l’abbé Jadin la rencontre de vaisseaux hollandais, qui enlevèrent tout ce qu’il avait de meilleur, de sorte que par le fait de ces pirates, il fut blessé, et presque entièrement dépouillé de vêtements. [ Mgr Cuvelier et l’Abbé Jadin Op.cit P.287.]

En somme, Mbuùta Ntoni Manuelé Dia Vunda est mort à Rome le 6 janvier 1608. Son mausolée dont les héritiers Bakongo et par delà eux tous les Congolais peuvent encore, écrit Martial Sinda s’enorgueillir aujourd’hui, portait cette première inscription du Pape Paul V :

« Paul V souverain pontife à Antoine Emmanuel marquis de Vounda, premier ambassadeur du roi du Congo auprès du Siège apostolique, auquel il a été rendu visite après que, malade et affaibli par son voyage périlleux, abattu par la perte de ses compagnons, il se fut alité en arrivant au Vatican ; qu’il a écouté avec bienveillance pendant qu’il exposait le but de sa mission : le don au nom de son roi, du royaume du Congo du siège apostolique ; qu’il a muni au moment de sa mort de la bénédiction apostolique, qu’il a fait porter dans sa chapelle avec un appareil digne d’un roi, pour lequel enfin il a fait ériger ce monument, preuve de son amour paternel. En l’année 1609, la troisième de son pontificat ». [ Martial Sinda Op.cit P.30.]

RUDY MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU
Koôngologue

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *