Le Mariage interdit d’Edouard Kali-Tchikati : Une tangibilité sociologique bien définie dans le temps et dans l’espace

Véritable témoignage poignant du mariage légal et illégal, et écrit de bout en bout dans un style clair et lucide, ce roman d’Edouard Kali-Tchikati s’inscrit dans des réalités sociologiques bien définies dans le temps et dans l’espace.

Publié en 2013 aux éditions l’Harmattan-Congo, le roman d’Edouard Kali-Tchikati, intitulé Le Mariage interdit, compte 120 pages et se subdivise en douze chapitres. La page de couverture est illustrée d’une sorte de signalisation empruntée au code routier, plaçant au centre un couple. Cette illustration traduit une interdiction formelle, voire une rupture entre les deux entités représentées, contraintes à s’unir. Ce livre de l’écrivain congolais, livre dès l’appareil titulaire, une réalité socioculturelle inhérente à la problématique du mariage légal ou illégal. La thématique du mariage, ses perspectives, ses fondements ainsi que les écueils auxquels sont confrontés les mariés, sous-tendent cet ouvrage, et grâce à elle, celui-ci perpétue dans une certaine mesure la tradition du roman congolais, suivant « une poétique de la socialité », tant exploitées par les premières générations de ce patrimoine culturel. Autrement dit, ce deuxième roman d’Edouard Kali-Tchikati est teinté de réalisme qui s’inscrit dans l’univers africain en général et congolais en particulier.

En effet, ce roman s’articule autour d’une relation de type triangulaire (pas forcément au sens racinien) entre d’une part, deux femmes dont la rivalité semble meurtrière, Zibline et Landou ; et de l’autre, Houyivane, un haut cadre des sociétés nationales du pétrole de Ndjindji, le pays imaginaire du récit, mais qui s’apparente ici par un jeu de décorticage onomastique et linguistique, à Pointe-Noire.

Après douze ans de vie commune, d’empathie et de sympathie conjugales avec Zibline, sanctionnée par quatre « beaux enfants dont deux filles et deux garçons », Houyivane se détourna des motivations de départ, celles axées sur la fidélité, la sincérité et l’harmonie, pour s’enfoncer dans la perversion, où l’hédonisme accélère la compréhension de l’existence, emprisonnant ainsi la raison devant tout. Il reprit donc ses habitudes d’antan, telles que décrites dans l’incipit du roman, une parfaite démarcation de la raison à la déraison, un non-sens de l’identité propre de l’être. Comme qui dirait : « celui qui veut noyer son chien l’accuse de rage », il profita de quelques errements de Zibline, sa conjointe légale, pour rompre à brûle-pourpoint et de manière déraisonnable avec celle-ci ; dans l’idée de jouir de la liberté en tant que célibataire, et s’arrimer à ce snobisme de comportement déviant comme caractéristique propre à certains habitants de Ndjindji. C’est ce qu’on peut lire dans cet extrait :

« À Ndjindji, l’argent dictait le mode de vie. Les mariages se faisaient et se défaisaient à coup de billets de banque. Plusieurs divorces étaient prononcés et des femmes divorcées se remariaient avec des hommes d’un standing toujours plus élevé. »(P.6)

Bien que séparé de Zibline, Houyivane ne réussira pas à engager la procédure de divorce, cependant l’absence de celle-ci le profita à croquer à pleine dent les délices de l’existence, où l’alcoolisme devenait à n’en point douter une doctrine. Car Ndjindji est ici perçue comme la symbolique même de la luxure où la « quête, enquête et conquêtes de plaisirs », étaient de mise pour tout grand fonctionnaire. Elle est ainsi considérée comme la ville où :

« Il y avait des fortunés qui rythmaient la vie(…) Quand ils se retrouvaient ensemble, l’alcool se mettait à couler à flots(…) » (p.5).

De là se dégage même, le genre de vie auquel Houyivane était accroché .C’est ce qui sous-tend même cet anthroponyme dans l’une des langues du Congo. Ce nom du personnage principal, exprime une anxiété, une dépendance à quelque chose ou à quelqu’un, c’est-à-dire vivre dans un pied de plaisir et de désir, en s’y donnant corps et âme ; dans d’autres sens, cela signifie, se donner soi-même en holocauste (ou même le suicide). Dans le contexte romanesque, on peut affirmer qu’il s’agit de l’ébriété et du penchant luxurieux de ce personnage.

Après un long vagabondage et une errance sentimentale délibérée, cependant il retrouvera par la suite, le sourire conjugal perdu grâce à sa rencontre avec Landou, une fille en quête perpétuelle du mariage après avoir fait chou blanc dans une première relation immature et pleine de naïveté. Leur relation fut donc scellée par les liens religieux (puisque Landou désira à tout prix d’un homme vivant dans la crainte du Très Haut). Malheureusement, la conversion de Houyivane au christianisme n’avait servi que de stratégie d’approche et de malice d’attaque pour mieux atteindre la cible convoitée. C’est ainsi qu’il réussira non seulement à captiver le cœur de son amante, mais aussi à se mettre en ménage avec cette dernière. Landou de sa part, s’interposa à tout avis contraire à ce concubinage forcé, mieux, ce mariage forcé, sans au préalable mieux connaitre l’homme qui nouvellement se présentait à ses yeux comme un ange tombé du ciel, alors que ce dernier était un simple monstre vêtu de peau d’agneau. Seul le mariage l’importait et non le contraire. C’est ce que semble donner le narrateur en filigrane, lorsque parlant de cette dynamique du mariage légal ou illégal, affirme : « À cause de cela, tous durent alors accepter ce concubinage notoire, car on préférait la voir mariée, mais vivante, plutôt que morte.» (p.30).

Ce concubinage, dans un premier temps améliora quelques routines impudiques et indécentes de Houyivane ; il sembla panser ses ulcères et apaiser son ébriété. Au fil du temps, ce bonheur conjugal sera compromis à cause, d’une part, de l’indécision de Houyivane, qui nourrit sa concubine des velléités (Landou n’avait qu’un seul objectif : se marier avec), son irresponsabilité parentale ; et de l’autre part, par la jalousie incessante de Zibline qui réussit à troubler ce nouveau couple par l’entremise de sa fille ainée, Nathalie. Une sorte de rivalité naquit alors entre Landou et cette dernière, s’expliquant ainsi par un complexe œdipien. C’est ce qu’on peut lire dans cet extrait :

« Quelques années s’écoulèrent et des choses bizarres commencèrent à rythmer la vie du couple. L’harmonie dans la famille recomposée fut de courte durée(…) Les enfants de Zibline, qui jusque-là vivaient tantôt chez leur maman, tantôt chez leur père, commencèrent à avoir des disputes avec Landou, leur belle-mère. » (P.49)

Cet extrait expose en quelque sorte les incidences du divorce. L’auteur montre à quel point le divorce est au centre de certains troubles familiaux et mettrait en causse l’avenir de la progéniture, laquelle serait inéluctablement partagée entre deux univers, deux sources d’éducation. Le problème de la rivalité est ici développé dans tous ses contours, à la fois entre les enfants de la première épouse avec leur belle-mère et entre les épouses du même lien marital.

Ce réalisme de l’auteur, déjà esquissé dans son premier roman « Le fonctionnaire naguère respecté et envié… », trouve effectivement écho dans le cadre social congolais. Le déchirement du couple ainsi que ses nombreuses répercutions sont autant de réalités macabres qui parsèment ce social congolais, nous semble-t-il. Et à l’auteur, de montrer à quel point le mariage, constituant le point saillant de toute existence ,devrait être un lien sacré, un acte que nul ne devrait poser sans au préalable interroger sa conscience, et s’en rassurer.

Plutôt que d’être source de bonheur, ce mariage fut pernicieux et Landou se trouva dans une sorte de spirale infernale ; elle fut victime de plusieurs menaces à la fois naturelles et surnaturelles. Ce mariage forcé fut alors un calvaire qui aurait plongé son existence dans la sépulture du regret, du désamour et même du deuil. En réalité, elle joua à un jeu amoureux dont elle ignorait les règles ; elle usurpa un foyer qui n’était que l’arène d’une lionne. Toute sa personnalité fut détruite par tant d’humiliations causées par sa rivale en tant qu’épouse légitime, en passant par le cœur haineux de sa fille, pour aboutir à l’inoffensivité et l’indécision de Houyivane.

Les trente six années passées dans ce foyer ne furent pour elle qu’une ‘’saison en enfer’’. Et cette descente en enfer, puisque le mariage tant promis ne se réalisa pas, la conduira à une longue morbidité jusqu’à jeter l’éponge grâce à l’implication ferme de ses sœurs. Elle démissionnera après avoir tout perdu, son charme, sa beauté et même son destin. C’est évidemment ce que constate le narrateur, lorsqu’il affirme :

« La douloureuse parenthèse de Landou dans sa vie se reforma ainsi, leur mariage ne put jamais se réaliser. Des chrétiens auraient dit que cette union n’était pas dans la volonté de Dieu. C’est un mariage interdit » (p.119)

Sa démission profita donc à sa rivale de retrouver son bonheur d’antan. Cette dernière regagna son foyer sans aucune forme protocolaire, bien que Houyivane ne fût plus le haut cadre d’antan, il devint admis à la retraite. Par ce retour, elle confirma que ce mariage lui était destiné, et que Landou était juste un cheveu dans la soupe. D’ailleurs, pendant ses trente six ans passés dans ce foyer, elle ne donna aucune maternité à Houyivane ; toutes les portes du destin lui étaient hermétiquement fermées. C’est sans nul doute dans ce sens que se résume la trame de ce récit à l’allure pathétique.

Au-delà des enjeux imaginaires que regorge ce roman, il sied de voir en cette fonction romanesque une part assez importante et l’hardiesse de peindre avec exhaustivité les réalités sociales. Cette peinture que fait l’auteur est une invite à mieux cerner les enjeux du mariage. La problématique relative à celui-ci est actuelle. L’auteur tend à montrer justement d’une part, les incidences du mariage précipité, sans au préalable une certaine connaissance de l’un pour l’autre ; et d’autre part, les risques et puérils du divorce dans l’avenir de la progéniture. Très souvent, et c’est ce que l’auteur démontre dans ce roman, les enfants après le divorce des parents sont dans une sorte d’impasse au risque d’une éducation exécrable.

En d’autres termes, l’auteur, dans ce roman, montre à quel point le divorce peut détruire une famille. Et à travers ce titre se dégage une part de religiosité, de principes divins. L’interdiction du mariage ici se résume dans le fait que toute volonté serait d’ordre céleste. Si Landou mettant du doigt entre la racine et l’écorce dans un couple non divorcé légalement, et que le bonheur miroité et convoité par elle, a germé en elle que malheur et tristesse, c’est parce qu’elle n’aurait pas été destinée à cette union, d’où ‘’le mariage interdit’’. L’interdiction ici, c’est parce que son pasteur très clairvoyant sur l’avenir de ce concubinage forcé, sut le mauvais présage et la désolation à laquelle elle serait confrontée en intégrant un tel foyer. La preuve de cette interdiction d’ordre céleste peut s’expliquer par son infécondité.

Rappelant en passant qu’Edouard Kali-Tchikati est né en 1955, à N’yaya, dans le district de Hinda, tout près de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Il est marié et père de trois enfants. Ingénieur des eaux et forets, spécialiste en aquaculture, il occupe actuellement les fonctions de directeur de l’aquaculture marine du Congo. Il est aussi pasteur dans une communauté évangélique de Brazzaville et auteur de plusieurs livres.

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