
La salle des conférences du ministère de la culture et des arts a accueilli, le 8 juillet 2016 à Brazzaville, la cérémonie de présentation et de dédicace de la première œuvre littéraire de Prince Arnie Matoko, un recueil de poèmes intitulés «mélodie des larmes», paru aux éditions Chapitre.com à Paris en France en mars 2016.
Prince Arnie Matoko met en exergue des thématiques de la littérature panafricaine
Le concept «poésie», il sied de le rappeler, renvoie à l’art du langage traduisant des sentiments, des émotions et des images au moyen de cadences, de sonorités et de figures de style. Le recueil de Prince Arnie Matoko met en exergue des thématiques de la littérature panafricaine. Il dénonce les injustices sociales, les inégalités sous toutes leurs formes.
«Mélodie des larmes». Un simple ensemble de trois mots : Mélodie, renvoie à une suite de sons formant une phrase musicale et qui peut être mémorisée ; une suite de mots ou de phrases harmonieuses et modulées ou encore une pièce vocale composée sur un poème et interprétée avec accompagnement.
Des n’est autre que cet article défini, hermaphrodite, qui est à la fois masculin et féminin.
Larme, c’est ce liquide transparent et salé qui s’écoule de l’œil et qui est secrété par les glandes lacrymales. Le tout mis ensemble par l’auteur donne le titre de cette œuvre : Mélodie de larmes. On croit percevoir que c’est la manière de Prince Arnie Matoko d’exorciser la douleur et la joie qui l’étreignent. Une manière de se réconforter et de dire sa part de souffle comme le dit Mwéné Okoundji qui affirme que le poète n’est qu’un passeur de souffle. Si tel est le cas, la Congo vient d’ajouter à sa liste un autre passeur de souffle en la personne de Prince Arnie Matoko.
Le mot poésie vient du grec et signifie «faire, créer». Le poète s’appuie sur ses souvenirs, la tradition poétique et les renouvelle par sa vision personnelle. La poésie se définit également comme un langage approprié de la transcendance.
Soixante-cinq poèmes
Le recueil de Prince Arnie Matoko est un ensemble de 65 poèmes en vers libres mais différents les uns des autres avec une différence au niveau des formes et de la nature. Certains ont une forme fixe ou une succession de strophes régulières. Tous les poèmes sont datés et écrits à des heures et à des minutes précises. Le dernier a été écrit le vendredi 11 novembre à 21 heures.
Le rythme des vers est basé sur une succession d’accents toniques. Le recueil de poèmes de ce jeune auteur est assis sur une couverture et une quatrième de couverture de couleur blanche, en haut et au centre de cette couverture se trouve l’identité de l’auteur. Au milieu est inscrit le titre de l’œuvre. Plus bas, une belle carte postale de la côte sauvage à Pointe-Noire. La photo montre un beau paysage huit cocotiers dont les feuilles dansent aux rythmes du vent marin.
Les cocotiers non visibles sur cette image sont présents à travers leurs ombres. Un autre apparait presque dans l’eau bleue. Puis l’océan atlantique qui renvoie des vagues qui viennent mourir sur la berge et célèbre un mariage au large avec le ciel.
Au bas de cette couverture se trouve la signature de l’éditeur.
C’est pour rejoindre une fois encore Jean Baptiste Tati Loutard qui affirme que «le poète ne regarde jamais les choses ; il se regarde dans les choses». C’est Sur l’Afrique ; Poèmes divers ; Sur la mer ; A ma mère ; Sur le pays ; Sur l’enfance et la jeunesse. C’est dans ces choses que le nouveau poète se regarde.
Dans ce recueil de 118 pages, Prince Arnie Matoko fait asseoir effectivement son ouvrage sur six parties portant chacun un titre. Sur l’Afrique ; Poèmes divers ; Sur la mer ; A ma mère ; Sur le pays et Sur l’enfance et la jeunesse.
Dans les deux premières parties, – Sur l’Afrique et Poèmes divers – le poète sort ses griffes en faveur de cette Afrique toujours soumise et exposée à des guerres fratricide, des guerres civiles à n’en point finir. Ces guerres qui ne font que la misère des enfants de ce continent. Le jeune poète se veut militant d’arrière-garde de la cause du peuple, un peuple désabusé pendant des siècles, un peuple trainé dans la boue.
Cette Afrique qui n’est connue qu’à travers ses images d’enfants malnutris affichant des ventres bedonnants, des enfants aux regards vides avec la langue pendante et un filet de salive au coin de la bouche. L’Afrique, vue comme le berceau de la misère et du mal-être.
Il le dit si bien dans cette partie du poème «Longue marche de l’Afrique à la page 23» :
«Afrique, tu as marché
Marché pendant très longtemps
Marché mille et une fois
Sur des chemins d’épines
Sue des sentiers de fers
Douloureusement langoureusement»
Dans la première partie, l’auteur exclut l’utilisation des premières personnes du singulier et du pluriel. Les poèmes sont à la forme impersonnelle. Prince Arnie Matoko voudrait, dès ce vagissement poétique, sans gants ni complexe, s’en prendre à ces kidnappeurs d’âmes, ces pillards de richesses. Le magistrat-poète n’hésite à mettre en accusation à travers ces huit vers du poème «Fraternité incolore» à la page 17 :
Ils sont arrivés tels des loups affamés
Cherchant en pleine nuit des proies
Sous nos cieux où nous restions
Apeurés, ahuris et même sans voix
Arrivés et armés jusqu’aux dents
Avec leurs marmailles de fers
A peine l’ancre jetée sur nos plages
A nos riches frontières convoitées
Dans cette partie, le poète se donne pour objectif de vaincre les maux qui minent son continent, le continent qui lui a donné la vie, qui l’a vu vivre et lui a apporté l’éducation dont il dispose aujourd’hui. Il saisit les mots dans leur état, les maux comme, haine, pillage, spoliation.
Nous les retrouvons dans le poème : «Les armes de l’amour» sur la page 18, il écrit dans cette strophe :
«Sur le bucher de haines et de guerres
De pillage et de spoliation
O vieux bucher de déracinement»
Le rôle macabre de la traite négrière et du colonialisme
L’auteur déplore avec ses larmes, la traite négrière et le colonialisme ayant joué un rôle hautement négatif et macabre ainsi que tout ce qui s’est ourdi avant les indépendances.
Prince Arnie Matoko s’impose une espèce de cure de désintoxication sinon de rancœur pour essayer de redonner le jour à la fraternité, tout en essayant de se surpasser de la couleur noire, des chercheurs d’or noir, du bois noir, de l’ivoire noir, du caoutchouc noir, de la main d’œuvre noire dans un monde où même la lune est noire pour certains et ce qu’elle est pour les autres.
C’est ainsi qu’il écrit à la page 113, intitulé «Je vivrai» :
Lorsque mes mots auront les pieds
Sur les nuages épais des maux
Et que mes dents auront la blancheur
Des monts les plus hauts du monde
Je vivrai».
Pour le poète, l’Afrique n’est pas seulement à plaindre mais également à blâmer du fait de ses indignes fils qui ne vivent que de complicité de l’inénarrable tragédie que seules les armes de l’amour peuvent arrêter.
Sur la mer et A ma mère sont les troisième et quatrième parties de ce recueil de poèmes. On a l’impression d’être tombé pieds joints dans le monde des Poèmes de la mer de Jean Baptiste Tati Loutard. Il se plonge quelque peu dans un monde projeté de la Meritude à l’image de ce courant naissant de la fleuvitude. Voilà une danse de «Itude» avec négritude, fleuvitude et Meritude.
Le jeune poète aux pieds encore fragiles occupent une place dans ces «Itudes».
«Sur la mer» et «A ma mère» ressemblent à deux amours qui s’imbriquent. La mer et la mère cohabitent si bien dans le cœur de l’auteur. A la page 59, le poème est intitulé : la mer.
«Mer, douce mer !
Bijou inestimable de la nature généreuse
Tu es, évidemment, l’une des merveilles du monde
La plus grande peut-être
La plus précieuse»
Et
«Douce mère !
Je sais bien en t’écrivant ces mots
Ta joie n’est parfaite comme jadis comme hier
Je sais que depuis cette gigantesque ville d’exil
Tu ne plies sous l’empire de la douleur».
« Mélodie des larmes» ou l’amour maternel
La mère occupe une place de choix dans ce recueil. «Mélodie des larmes» à la page 75 est celui qui a donné le titre à l’œuvre. L’auteur exprime l’amour pour sa mère à la manière de Camara Laye dans son célèbre Femme noire, ô femme africaine…
Voici les larmes de Prince Arnie Matoko.
«Mère !
Interroge un peu le ciel
Pour avoir le cœur net sur le cours de ma vie
Savoir si mon destin souhaiterait
Que je souffre la martyre»
L’enfance et la jeunesse, deux moments d’intense joie, deux moments impérissables dans la mémoire, deux moments de bonheur, d’innocence, de naïveté et de non-être. Des moments fantastiques de la vie de l’homme sur cette terre.
A la page 103, la strophe de ce poème «Etoile du mauvais jour»
«Je te dois beaucoup chère tendre enfance
De tout mon cœur, et d’un cœur bon et sincère
Tout ce que j’ai appelé premier bonheur
Des jeux et lieux inoubliables en ma conscience»
Prince Arnie Matoko, je veux te dire, pour ma part que tes vomissures poétiques ne sauraient laisser personne indifférent parce qu’ils revisitent des problèmes quotidiens qui ont perturbé sinon perturbent encore la vie de l’homme noir. Ce recueil de poèmes revêtus de sonorités musicales, dramatiques mais également joviales, est un extraordinaire cri de douleur continental et universel, un cri universel de douleur, un cri d’appel au vivre ensemble, un hymne aux morts et un hommage aux vivants.
Pour terminer, je me permets d’emprunter au préfacier Pierre Ntsémou, la chute de ce recueil :
«En effet, le bouquet final de cette œuvre dense qui danse et balance la cadence d’un air de musique classique est sans conteste dans le rythme et la mesure des huit sonnets classiques irréguliers lesquels imposent et s’imposent respect émule de Boileau, le chantre du beau discours.
On les déclame à la réclame sur des rimes fantaisistes qui se moquent de règles rigides d’une police des versificateurs gendarmant la liberté créative des jeunes plumes qui, de l’encre et de l’encrier des anciens maîtres, gardant la forme du contenant, mais donnent au contenu, une coloration particulière aux quatrains et tercets magnétiques de cette «étoiles du nouveau jour» qui brille dans «une évasion du cœur» portant « la croix sur le sentier » éclairé par de « faux rayons », jaloux, tentant d’éblouir la « gaieté innocente » de sa « tendre enfance » et de sa «quête de bonheur» assuré. Il est temps que soit rédigé le « testament » qui lègue les «pleins pouvoirs» au lecteur de cette poésie moderne aux accents classiques de magnifiques reliques.
C’est une véritable « mélopée pour la vie» que chante, en sol majeur notre Simaro des temps modernes le poète Prince Arnie Matoko virtuose prestidigitateur des mots de la langue française apprivoisée et domptée avec volupté. Chapeau bas l’artiste ».
Mais je me refuse de quitter cette position que m’a prêtée Prince Arnie Matoko sans m’acquitter d’un devoir. Je me pose la question à votre place, et je réponds à votre place, avec ou sans votre permission.
«Je suis un poète», selon le poète
La quatrième de couverture nous renseigne que Prince Arnie Matoko est né le 5 juin mai 1982 à Pointe-Noire dans la région du Kouilou, aujourd’hui, département de Pointe-Noire, d’un père congolais et d’une mère angolaise. Orphelin très tôt de père, il obtient son baccalauréat A4 dans cette ville qui l’a vu naître et dans laquelle il a fait ses études primaires et secondaires.
En 2009, il est titulaire d’un Master en droit public en études internationales et communautaires de l’Université Marien Ngouabi. Il est ensuite sélectionné par le Comité International de la Croix Rouge ‘CICR’ Congo parmi les quatre lauréats pour représenter le Congo à Niamey au Niger à la troisième édition du Concours régional francophone de plaidoirie sur le Droit International Humanitaire.
En 2011, il est major de la promotion et s’admet au concours d’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), filière Magistrature. Diplômé de cette institution depuis 2013, il exerce actuellement les fonctions de magistrat. Passionné de littérature, il écrit depuis le collège.
Alors, Prince Arnie Matoko, il faut trouver une voix autorisée pour souhaiter au nouveau poète la bienvenue dans la phratrie.
Un titre, ce n’est pas suffisant
Il manque au minimum deux titres pour se permettre de se faire appeler ECRIVAIN. Un titre, ce n’est que la présence devant la porte. C’est cela la condition à remplir pour entrer de plein pieds dans le cercle très étroit de Tchicaya U’Tamsi, Soni Labou Tansi, Philippe Mackita, Jean Blaise Bilombo-Samba, Aimé Césaire, Maxime Ndébéka, Dominique Ngoï Ngalla, Eugène Ngoma, Amélia Néné Tati Loutard, Marie Léontine Tsibinda, Omer Massem, Mwéné Okoundji, Alima Madina, Théophile Obenga, Sauve Gérard Ngoma Malanda, Pierre Ntsémou et on en oublie. Les battants des portes poétiques pourront s’ouvrir pour te souhaiter enfin, Bienvenue au poète dans la phratrie.