TRIBUNE. Chaque année le sujet de la triche au bac remplit les pages des journaux avec dénonciations, menaces, avertissements et arrestations. Il faut rappeler que la triche est tout autant observée dans les universités et les concours.
Les techniques de fraude ne cessent de se développer et de s’adapter aux moyens dissuasifs sécuritaires mis en place. Rien à faire, la triche continue de progresser comme la corruption, la prostitution et la vente des stupéfiants.
Lorsque j’observe toute l’énergie mise en œuvre pour faire reculer la triche au bac, qui me parait inutile d’ailleurs, j’essaie de comprendre pourquoi l’élève-citoyen fraude aux examens en considérant que son action relève de ses droits civiques.
Effectivement, je suis persuadé que l’élève ne conçoit pas la triche comme un crime ou au moins une mauvaise action. Le problème réside ainsi dans la conception de la triche dans son cerveau et tant qu’il considère la triche comme un droit et/ou un défi, aucun moyen sécuritaire ou judicaire ne peut le faire reculer.
La lutte contre ce phénomène réside dans sa prévention pendant l’éducation de l’enfant et l’ancrage dans son cerveau du concept de la conscience collective, totalement absente chez le marocain.
Pourquoi donc tricher et comment ceci est devenu une pratique civique ?
1- Reproduction de schéma parental
L’enfant ouvre ses yeux sur des parents qui trichent entre eux et avec lui. Le mensonge est monnaie courante dans la famille, et l’exemple type est le mensonge entre les parents, les oncles, les tantes, et les voisins, dont l’enfant est témoin. Voire même, on reproche à l’enfant d’avoir dit la vérité à sa tante ou à son oncle. Le mensonge est le début de la triche sociale et dans les relations humaines.
2- Reproduction du modèle social
L’enfant apprend vite comment le père soudoie un fonctionnaire pour un papier par exemple. Il entend de la part des adultes des histoires de toute sorte sur la corruption à tous les niveaux de la société. L’enfant apprivoise la triche et remarque qu’elle est admise socialement, puisqu’elle est pratiquée par la société entière.
3- La circulation sur les routes
L’enfant observe son père au volant, ou bien le chauffeur du transport scolaire, du taxi ou du bus, qui conduisent d’une manière irrespectueuse, chacun essayant de tricher les autres conducteurs pour passer en premier. Il observe aussi comment les conducteurs fraudent dans le code de la route, en passant lorsque le feu est orange, en refusant de s’arrêter au stop, en dépassant la vitesse limitée, en ne respectant pas les piétons…
La triche est ancrée de plus belle dans son cerveau comme étant une pratique civique.
4- La triche aux écoles
L’élève voit bien que les professeurs gonflent les notes et surtout pour les élèves qui font des heures supplémentaires avec eux. De même, il observe bien comment les enseignants trichent dans leur travail et il entend comment les parents les décrivent méchamment.
5- L’essentiel est de réussir et peu importe comment
Rapidement, l’enfant comprend que ses parents attendent de lui la réussite et peu importe les pratiques utilisées. Si un enfant raconte que les élèves ont triché pour avoir une bonne note, mais qu’en revanche lui est resté correct et a donc eu une mauvaise note, les parents vont lui reprocher de ne pas avoir fait comme les autres en lui disant « On verra bien ce qu’elle va t’apporter ton honnêteté ».
5- L’absence des valeurs civiques et de la conscience collective
Tristement, l’éducation des enfants et l’enseignement n’accorde aucune importance aux valeurs civiques par les actions et non par les bonnes paroles. L’enfant constate bien que le comportement de ses parents et de ses enseignants sont dénués de valeurs civiques.
Pire encore, nous sommes dans une société où le citoyen marocain cherche à tirer profit uniquement pour sa personne et à sauver sa peau. La culture de la collectivité est un leurre pour le moment dans notre société, d’où le retard que nous avons pris dans notre progrès social.
Docteur Jaouad MABROUKI, Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe