
LITTÉRATURE CONGOLAISE. Les hommes de sciences ont aussi marqué la création littéraire dans le domaine du roman. Et souvent certains de leurs de leurs écrits ont été des chefs d’œuvre ; le chimiste Emmanuel Dongala, le médecin Tchitchélé Tchivéla, pour ne citer que ces deux noms, nous ont produit des textes d’une qualité indéniable. De nos jours, un autre scientifique, plus précisément un autre médecin, Thierry-Paul Ifoundza s’est affirmé dans le cercle des créateurs des œuvres de l’esprit avec son roman Lumières de Saint Avold publié dernièrement aux éditions Paari à Paris. Ci-après la brève interview qu’il nous a accordée à propos de son ouvrage.
Votre dernier roman, Lumières de Saint-Avold (Paari éditions), aborde entre autres le thème de la transmission des savoirs. Est-ce si important pour vous ?
Thierry-Paul Ifoundza : En tant que médecin et écrivain, transmettre est un « verbe »d’accomplissement que je pratique au quotidien. Lorsque je consulte un patient, je lui apprends par la même occasion les signes avant-coureurs d’une éventuelle pathologie. À contrario, toute phrase d’un roman ou d’un récit, d’un Essai, n’a pour fonction que de transmettre une information, une réflexion sans pour autant en faire une vérité absolue. Du moins en ce qui me concerne. De toute manière, on ne transmet que ce qu’on a soi-même reçu. Sartre disait : « Tout nous vient des autres. Être c’est appartenir à quelqu’un… »
Dans votre roman polyphonique, l’un des narrateurs, un médecin stagiaire, se pose une question : que reste-t-il de l’effort personnel ?
TPI : C’est là tout le problème ! Toutefois pour recevoir un savoir, la personnalité s’efface.Ce que je sais ou je fais, je le tiens des autres, donc du passé. Il ne vous a pas échappé que la Renaissance, ce grand mouvement culturel, procède en partie de la redécouverte des Grecs anciens. L’humain n’est jamais « un tout mais le maillon d’une longue chaîne »… Ce que nous sommes aujourd’hui, nous le devons à des formateurs qui ont eux-mêmes été formés par les autres. Tout ce que nous écrivons aujourd’hui a déjà été dit hier ! Seule change la manière,parce que la manière c’est se qui se travaille personnellement. Dans mon livre sur le système de santé de mon pays d’origine, le Congo-Brazzaville, j’insiste sur le fait de la formation continue…
Justement, dans votre roman, vous revenez sur le Congo-Brazzaville… L’état de santé devotre pays natal vous préoccupe-t-il tant ?
TPI : Et comment ? Bien que basé en France, tout tourne autour de mon pays natal. Son état de santé mérite diagnostic, analyse et prescription au quotidien. Quitte à me faire des inimitiés, le Congo nous appartient tous et toute production littéraire d’un Congolais devrait au moins aborder un aspect important de ce grand corps malade. Voyez-vous, j’ai effectué une grande partie de mon cursus universitaire en Russie. Inutile donc de vous révéler que j’ai lu Dostoïevski. Son œuvre a pour cadre spatio-temporel Saint-Pétersbourg. Pourquoi moi,même éloigné de mon pays, je ne parlerai pas du Congo ? Parler du Congo n’est seulement pas une posture, c’est une nécessité…
Propos recueillis par Noël Kodia-Ramata
- Lumières de Saint-Avold, Thierry-Paul, éditions Paari, Paris, 2025, 148 pages, 12,50 euros
Un extrait de l’ouvrage
« De son licenciement, Chala n’en a pas fait un drame. C’est la vie, s’est-il contenté de dire.Toutefois, au fond de lui, il a pressenti cet instant où cette DRH le supplierait, voire même mettrait pieds à terre devant lui. Et, au fil du temps, cela s’est mué en objectif…
En attendant ce moment qu’il pense déjà magique, sûr de sa conscience professionnelle,animé par l’envie de transmettre et donc de diriger – il n’imagine pas transmettre sans le pouvoir de donner des ordres –, il a aussitôt postulé ailleurs, où sa demande a été instantanément acceptée. Avec la même promesse de devenir enfin Chef de service – tôt ou tard, avant sa retraite, il occupera ce poste et ce n’est pas un simple pressentiment mais une certitude profonde. Désormais, il officie donc à des centaines de kilomètres de sa ville de résidence…
Ce matin, en s’apprêtant à prendre la route, le coup de fil de 5h du mat de celle-là même qui l’a viré d Saint-Philibert, celle-là même dont il peine à prononcer le nom par hygiène intellectuelle, oui, son coup de fil a vraiment irrité ses nerfs au sens étroit. Pour qui donc se prend cette dame ? Croit-elle qu’il n’estqu’un paillasson sur lequel elle pourrait essuyer ses hauts talons permanents ? Espèce de… Certes il a promis la rappeler ! Mais dans deux ou trois ans ! »
Par Noël Kodia-Ramata