Maroc. « Sidi Safou », un roman profondément humain
LIVRES. Le catalogue des éditions le Fennec vient de s’enrichir par le dernier roman de My Seddik Rabbaj « Sidi Safou ». C’est le septième opus de cet écrivain qui ne cesse de nous surprendre d’un livre à l’autre par la fertilité de son imagination. Sa palette aussi riche que variée montre qu’il est capable à chaque fois de s’éloigner de ce qu’il a écrit précédemment. Les propos du critique qui a dit « qu’on n’écrit qu’une seule histoire en la remaniant » ne le concernent pas. Chacun de ses livres a un univers particulier. « Sidi Safou » vient pour prouver que l’auteur est capable de se déplacer complétement de ce qu’il a écrit jusqu’à aujourd’hui. C’est un roman fantastique qui s’inscrit dans un monde fictif, sans nom et sans repères. Il n’a aucune correspondance avec la réalité. « Sidi Safou » est un roman qui nous détache complétement du réel tout en nous mettant en face des grandes questions qui hantent l’Homme moderne. Depuis son jeune âge, le personnage principal se découvre des pouvoirs extraordinaires qu’il met aux services de sa tribu. Il a évité à des aventuriers de sombrer dans un tremblement de terre, s’est aventuré dans des bois dangereux à la recherche de plantes rares pour sauver les souffreteux de la mort, a aidé des familles à s’installer loin des terres arides et de la rudesse de la nature … Pourtant, tout cela est récompensé par l’ingratitude et la négligence. Il découvre le vrai visage de ses consanguins et décide de s’éloigner d’eux, d’entreprendre une aventure vers l’inconnu, vers une autre terre accueillante. Son voyage, où il met à son profil les éléments de la nature, le mène chez les Zoloti, une phratrie, un groupement de plusieurs clans qui paraissent soudés, une mosaïque solide, mais dès les premières perturbations, des craquelures apparaissent à la surface à cause des différences. Les aventures de Sidi Safou lui montrent l’ignorance et la versatilité de l’être humain, son tiraillement entre le bien et le mal, le beau et le laid, le noir et le blanc… Il essaie à chaque fois de mettre de l’ordre là où il est mais, se heurte généralement à ce retranchement de l’homme dans son petit monde et à ce refus d’abolir les frontières pour sortir vers l’autre, lui tendre la main afin d’affronter les vrais problèmes. Dans un passage, quand un conflit s’est déclenché entre les fractions des Zoloti à cause de leur différence religieuse, il leur dit : « Pour vivre ensemble, pour être capable d’affronter les menaces du monde, il faut que la religion soit une affaire verticale entre l’individu et son Dieu. Laissez les gens choisir leurs voies et concentrez-vous sur ce qui va permettre de continuer à vivre. » Ce qui hante Sidi Safou, c’est cette question du vivre-ensemble qui est une des priorités du monde moderne. Plusieurs guerres et conflits sont causés par l’inadmissibilité de la différence de l’Autre. C’est ce genre de question que le roman « Sidi Safou » cherche à poser dans un cadre fantastique, qui a cependant des échos dans la réalité. La pénurie d’eau dans certains pays, sa consommation effrénée et irrationnelle, les conflits qui se profilent à l’horizon et qui vont changer la carte géographique de certaines régions… toutes ces questions n’ont pas échappé à l’auteur. Il les traite dans un cadre romanesqueavec subtilité, laisse le lecteur tirer lui-même des conclusions et adhérer inconditionnellement aux sagesses de Sidi Safou.Le roman constitue également une réflexion sur l’écologie comme levier permettantde résoudre certains conflits et tensions interhumains pour une cohabitation pacifique et respectueuse de peuples. MySeddikRabbaj prouve encore une fois qu’il est un conteur né. La narration est linéaire dans ce roman mais les événements et la diversité des espaces transposent le lecteur d’un univers à un autre, l’introduisant dans des lieux fictionnels et le faisant adhérer à son insu à la logique du texte. On se détache complétement de la réalité et on se plonge dans un monde qui a sa propre cohérence et ses propres lois. Les descriptions minutieuses font vivre les scènes. On a plutôt l’impression de voir un film, c’est une écriture visuelle qui coupe le souffle et qui encourage l’avancement dans la lecture. Les dimensions interculturelles sous-jacentes du texte constituent pour l’auteur un enjeu stratégique afind’éclairer le lecteur sur la nécessité de la découverte de l’Autre, l’entente entre les peuples en dehors de tout ethnocentrisme réducteur. MySeddikRabbaj inscrit ce roman comme d’ailleurs ses précédents opus dans cette vision romanesque qui réfléchit sur l’Homme, son existence et sur la société. « Sidi Safou» est le livre de dépaysement par excellence. C’est le genre de texte qu’on lit d’une seule traite et qui laisse le lecteur sur sa faim. Par Khadija El Yakoubi
SIEL 2023: Makenzy Orcel lauréat du premier Goncourt Choix du Maroc pour son roman « Une somme humaine »
Le Goncourt Choix du Maroc a été décerné à l’ouvrage Une somme humaine de l’écrivain Makenzy Orcel, publié aux éditions Rivages. Le roman sera traduit en arabe et l’écrivain, d’origine haïtienne, sera invité au Maroc en 2024 pour échanger avec les lecteurs. Il est à souligner que la proclamation du lauréat de la première édition de ce prix, organisée par l’Institut français du Maroc et l’Académie Goncourt en partenariat avec la Direction régionale Afrique du Nord de l’Agence Universitaire de la Francophonie, s’est tenue le mardi 5 juin dans le cadre du Salon international de l’édition et du livre (SIEL). Cette cérémonie s’est déroulée en présence de S.E Christophe Lecourtier, Ambassadeur de France au Maroc, Mme Françoise Chandernagor, écrivaine et Vice-présidente de l’Académie Goncourt, Mme Danielle Pailler, Directrice régionale de l’Agence Universitaire de la Francophonie et Mme Lamia Berrada-Berca, écrivaine et marraine du Goncourt Choix du Maroc, rappellent les promoteurs du Goncourt Choix du Maroc. La proclamation du lauréat a été prononcée par les 6 jurés étudiants qui avaient fait le déplacement, accompagnés de leurs enseignants et des doyens des facultés participantes. Avec cette première édition, le Maroc rejoint la famille des Choix Goncourt internationaux qui permet à des étudiants marocains de choisir leur lauréat parmi les 4 romans de la dernière sélection du Prix Goncourt (prix littéraire qui couronne en France le meilleur roman de langue française). Lancé il y a un an, ce projet a rassemblé et mobilisé 7 facultés des Lettres, 70 étudiants et leurs enseignants sur l’ensemble du Royaume : l’École Normale Supérieure de Fès, la Faculté des Lettres et des Sciences humaines Marrakech, laFaculté des Lettres et des Sciences humaines d’Agadir, laFaculté des Langues, arts et sciences humaine Ait Melloul Agadir, laFaculté des Lettres et des sciences humaines Rabat, la Faculté des Lettres et des Sciences humaines Kénitra, et laFaculté des Lettres et des sciences humaines Aïn Chock Casablanca. Accompagnés tout au long de l’année par leur Marraine Lamia Berrada-Berca qui a été acclamée pour sa capacité à transmettre sa passion pour la lecture et la littérature, les étudiants ont lu l’ensemble des romans et confronté leurs points de vue et leurs sensibilités pour décerner leur choix du meilleur roman français parmi les romans de la troisième sélection de l’Académie Goncourt. Au terme d’un processus de scrutins locaux, les représentant de chaque jury se sont réunis le 5 juin à l’Institut français de Rabat pour une délibération à huis clos avec la célèbre romancière Françoise Chandernagor qui a partagé son expérience d’académicienne du Goncourt. Le Goncourt Choix du Maroc, un projet unique au service de la lecture et de l’échange littéraire L’Ambassadeur de France M. Christophe Lecourtier, a tenu lors de cette cérémonie à saluer l’effort engagé par les étudiants et les enseignants participants à cette première édition, soulignant que le Goncourt Choix du Maroc est « plus qu’un prix, il vient lancer une aventure et une dynamique culturelle autour de la lecture qui a vocation à s’inscrire en profondeur au sein des établissements universitaires marocains. » Tandis que Mme Chandernagor a rappelé l’importance de la littérature en langue française dans le monde et son souhait de voir le Goncourt Choix du Maroc gagner en ampleur dans les années à venir, Mme Danielle Pailler a insisté sur la singularité de ce projet culturel qui favorise les échanges entre les départements des lettres des facultés du Maroc et contribue à forger l’esprit critique d’étudiants respectueux des points de vue de chacun. Contacté en direct au moment de la proclamation, le lauréat Makenzy Orcel s’est réjoui de cette récompense devant les jurés étudiants qui ont souligné la puissance d’une œuvre qui convoque toutes les voix du monde et réussit dans une écriture puissante à poser des mots sur la mort. Un bandeau « Choix Goncourt du Maroc » a été réalisé spécialement pour les libraires marocains afin de promouvoir le livre.
Congo. Lu pour vous
LIVRE. Durant cette rentrée littéraire 2022, l’on ne pourra se passer de l’intéressant nouveau roman d’Alain Mabanckou au titre évocateur « Le commerce des allongés » publié tout récemment aux éditions du Seuil. Le roman emprunte le style d’une fable dont le héros central est un jeune homme nommé Liwa Ekimakingaï qui a passé son enfance mais continue adulte à habiter chez sa grand-mère, Mâ Lembé, car sa mère, Albertine, est morte en lui donnant la vie. Il est employé comme cuisinier à l’hôtel Victory Palace de Pointe-Noire. Et il attend de rencontrer désespérément l’amour. Un soir de 15 août où l’on fête l’indépendance du pays, il réunit ses plus beaux atours à peine achetés l’après-midi, et assez extravagants, pour aller en boîte. Au bord de la piste de danse, la belle Adeline semble inatteignable. Pourtant, elle accepte ses avances, sans toutefois se compromettre. Elle signera sa fin… Le roman est une remontée dans la vie et les dernières heures du jeune homme, qui assiste à sa propre veillée funèbre de quatre jours et à son enterrement. Aussitôt enseveli, il ressort de sa tombe. Pour se venger ? En toile de fond, la ville de Pointe-Noire et ses cimetières – en particulier le Cimetière des Riches, où tout le monde rêverait d’avoir une sépulture mais où les places sont très chères, et celui dit Frère-Lachaise, pour le tout-venant dont Liwa fait partie. Ce grand roman social est une fresque de la vie sociale et politique qui brosse le tableau du rapport que les africains entretiennent avec la mort. Dans cet univers noir, la mort et la vie de côtoient. Et la vie elle-même n’est plus l’apothéose de l’existence, loin de là ! C’est plutôt l’autre vie qui est derrière, de l’autre côté, qui est la meilleure. Parmi les nombreuses publications d’Alain Mabackou, ce nouveau roman semble être le plus féminin. Il valorise la figure de la femme africaine à travers la mère qui a donné sa propre vie pour pouvoir en donner une à son nouveau-né, la grand-mère qui en dépit de son âge avancé prend soin de son petit-fils resté orphelin ou encore la mise en exergue de la figure de cette femme Kimpa Vita qui est appelée la Jeanne d’Arc de l’histoire congolaise parce qu’elle fut brûlée pour ses convictions. La même fresque féminine pousse les frontières de sa fiction jusqu’au courage et à la détermination de ces femmes qui tiennent le marché de Pointe-Noire pour nourrir riches et pauvres, la nation tout entière tout comme leurs humbles foyers. Au-delà du débat suscité par l’auteur Alain Mabanckou sur la fatalité universelle pour quiconque de finir « allongé » ou sur l’intuition romanesque de pouvoir être « ressuscité » du tombeau, c’est à travers la possibilité ou non d’être enseveli dans un cimetière des riches ou dans celui des pauvres que ce roman prend le mérite de révéler l’existence en Afrique de la lutte des classes sociales qui marque la vie quotidienne des vivants et se poursuit jusque dans le royaume des morts, où ceux-ci sont d’ailleurs étrangement vivants. Je vous en conseille vivement la lecture! Par Germain Nzinga
Maroc/Publication : « Tant que je peux te dire je t’aime », nouveau roman de Rida Lamrini
LIVRE. Les éditions Afrique Orient annoncent la publication de « Tant que je peux te dire je t’aime », le nouveau roman passionnant, émouvant et surréel de l’écrivain marocain Réda Lamrani. En souffrance à l’autre bout du monde, un homme est désemparé de voir la vie libérer soudain d’insaisissables fantômes, déterrer de mystérieux cadavres, révéler de sinistres spectres dont il ignorait l’existence. Dans sa peine, il s’évertue à trouver le moyen de sauver son couple à son retour au pays. Écrasé par son destin, hippie invétéré, il part en quête d’amour de bras en bras, allant de Casablanca à Kuala Lumpur, Moscou, Paris, Nairobi, Venise, Marrakech, Ouarzazate. Pour trouver le repos, il confie à des mots sa peine, ses amours éphémères, son errance sans fin. Et pendant que les phrases s’alignent, que les chapitres s’enchaînent, que les personnages s’animent dans un roman de la vie, il s’aventure dans la quatrième dimension d’un monde surréel de rêves, de visions et de fantasmagories, et trouve l’être auquel il peut enfin dire je t’aime, écrivant avec lui à quatre mains le dernier chapitre d’un roman d’une vie transcendée par l’amour, livrant l’histoire de la main d’un être éprouvé dans son âme tendue à un être aimé marqué dans sa chair. Natif de Marrakech, ingénieur, juriste, manager, Rida Lamrini a occupé divers postes de responsabilités, dont Conseiller économique près l’Ambassade du Maroc au Canada. De retour au pays en 1991, il se dédie à la cause des démunis et préside la Fédération du Microcrédit. Sous sa présidence, le Maroc a été primé par l’ONU en 2005, Année Internationale du Microcrédit. Expert de la Banque Mondiale, il est expert en croissance verte et promotion des métiers verts pour le compte du Plan d’Action pour la Méditerranée. Membre du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme, expert de la Banque Mondiale, il a géré des programmes de promotion de l’emploi et créé sa fondation dédiée aux jeunes porteurs de projets. Rida Lamrini a publié plusieurs romans et essais. Avec CP
Entretien avec l’écrivain My Sedik Rabbaj : «« Différent» est le roman par excellence qui plaide en faveur de la reconnaissance de la différence»
Après le succès populaire de son précédent roman «Nos parents nous blessent avant de mourir », l’écrivain marocain My Seddik Rabbaj se retrouve sur la scène de la littérature marocaine d’expression française avec un nouvel opus «Différent» paru aux éditions Le Fennec. Ce roman poignant, trempé de limpidité et de poéticité époustouflante, aborde les questions de la différence, de la liberté individuelle et l’acceptation de la dissemblance. Son auteur nous explique les tenants et les aboutissants de cet opus tout aussi recommandable et vaporeux. « Différent », pourquoi le choix de ce titre pour votre roman ? Il s’agit dans ce roman de deux histoires qui s’alternent et qui se développent en parallèle. L’histoire d’un père qui appartient à une tribu de cavaliers aux alentours de Marrakech et celle de son fils qui se découvre des penchants inacceptables dans son milieu. Le père, qui commence à monter son cheval à peine adolescent et qui a fréquenté les filles encore jeune, va se trouver en face d’un enfant tout à fait différent de lui, un enfant qui déteste les équidés et ne s’imagine pas entre les bras d’une fille. La différence de cet enfant ne se limite pas dans la comparaison avec son géniteur, mais aussi avec les autres enfants de son âge qui le surnomment « Aziza » au lieu de l’appeler « Aziz », son vrai prénom. Aziz qui est incapable de changer sa démarche, ses gestes, son allure efféminée, affronte un monde qui ne croit pas à la différence et qui va lui causer les pires ignominies. Il a beau essayer de se conformer au regard de l’autre, son caractère le met toujours sur cette rive étrange, l’isole des autres et l’éloigne d’eux. Le titre du roman « Différent » traduit effectivement son contenu parce que tous les personnages s’enferment et se confinent dans leurs différences et refusent de s’accepter les uns les autres. Ils oublient que lorsqu’on constate que l’autre est différent, on est aussi différent de lui. Votre roman raconte l’histoire d’Aziz l’efféminé et les mille et une difficultés auxquelles il est confronté au quotidien : discrimination, rejet social … Adolescent, Aziz sent que le côté féminin se prononce de petit à petit en lui. Il n’arrive plus à dompter ses gestes et s’éloigne de plus en plus du monde des garçons. Ce comportement ne plaît pas du tout à son père qui a essayé violemment de l’endurcir, en vain. Il le met, une nuit à la porte après l’avoir battu à mort, comme on éloigne de soi un pestiféré. Son image de cavalier, chef d’une sorba, se trouve souillée. Mais avant d’arriver à ce stade Saïd souffre partout, même au collège, le professeur du sport l’isole des garçons et l’oblige à jouer avec les filles. Le professeur d’arabe lui demande de parler normalement alors que pour lui, il est dans son élément. Ses amis le tournent en dérision et profitent à chaque fois de sa présence avec eux pour l’imiter, en exagérant les gestes, dans l’intention de faire rire de lui le groupe. Aziz, complètement désarmé, se trouve dans l’obligation d’affronter le monde, de se métamorphoser pour s’adapter, d’aller contre ses principes et de faire profil bas afin de survivre, afin de ne pas tomber entre les mains des charognards. Vous avez choisi d’aborder sans complaisance les thèmes de l’attachement à la terre, la différence, la liberté individuelle, l’acceptation de la dissemblance… L’écrivain est une personne qui se balade avec une loupe à la main. Il peut détailler les choses qui peuvent passer pour les autres comme banalement ordinaires. On fait fi de beaucoup de sujet importants qui minent la société marocaine. On ne parle jamais de ce désamour que beaucoup de Marocains ont pour leur pays. Pourquoi ils ne l’aiment pas ? Pourquoi le troquent-ils facilement contre un autre pays une fois l’occasion se présente ? Pourquoi ils ont toujours un pied en dehors de leur terre ? « Différent » présente une tribu qui semble trop attachée à sa terre et la fantasia, mais dès qu’une opportunité se profile à l’horizon, les habitants acceptent de changer leurs chevaux par des voitures et leurs traditions par de nouvelles habitudes. « Différent » est le roman par excellence qui plaide en faveur de la reconnaissance de la différence. Beaucoup d’événements, beaucoup de violence qui sont passés dans ma ville comme ailleurs contre les différents m’ont interpelé. Nous assistons, silencieux et passifs, à une sorte de discrimination. Je crois que parmi les rôles, voire les obligations de l’intellectuel, c’est de prendre position par rapport à ce qui se passe dans sa société. Resté un simple spectateur est une trahison, un désengagement envers les causes sociales. Dans votre parcours d’écrivain, que représente ce nouvel opus, est-ce une continuité ou une rupture. Je suis toujours sensible à ce qui se passe autour de moi. Parfois certains événements m’habitent et refusent de me quitter jusqu’à ce que je leur donne corps. Tous mes romans sont des cris et celui-ci ne déroge pas à la règle. Dans « Inch’Allah » par exemple, j’ai traité le problème des petites bonnes dont l’enfance est effacée et qui sont exploitées par des familles sans vergogne. Dans « L’école des sables », j’ai parlé des souffrances des instituteurs à la campagne et la misère qu’ils endurent sur tous les plans. « Suicidaire en sursis » est le roman des diplômés chômeurs. « Le Lutteur » s’intéresse au racisme sous-jacent dont souffrent les noirs au Maroc. « Nos parents nous blessent avant de mourir » plaide en faveur de la cause féminine. Dans « Différent », j’ai mis en exergue l’intolérance et le refus d’accepter la dissemblance. Pour dire simple, ce nouveau roman s’inscrit dans la même vision d’écriture pour moi. Je ne peux aucunement écrire seulement pour amuser. La lecture doit ébranler et laisser des questionnements chez le lecteur. Cependant, le facteur plaisir doit aussi être présent. Je ne fais pas des documentaires, c’est du roman qu’il s’agit. Autrement dit, il faut que la poésie et la prose s’alternent, il faut que l’écriture devienne un moyen d’enchantement, un moyen de ravissement même. Quels sont vos futurs projets ? Je suis en train de
Fann Attiki, auteur congolais subversif et tranquille
C’est dans les bars de Brazzaville, la capitale de la République du Congo, que Fann Attiki a puisé l’inspiration pour son roman, Cave 72, paru le 1er septembre aux éditions JC Lattès. Comme Verdass, Ferdinand et Didi, les trois héros de son récit, le jeune auteur aime s’y retrouver avec sa bande pour boire des bières glacées en regardant la rue, parler littérature et philosophie, et observer les filles. Vivre tout simplement. Ce poète serein qui vit du slam à Brazzaville expérimente ces jours-ci un autre rythme, à Paris, où il se trouve en résidence pour deux mois, à la Cité internationale des arts. Ce séjour et la publication de son premier roman, il les doit au jeune prix littéraire Voix d’Afriques, initié par les éditions JC Lattès et Radio France Internationale (RFI). Le jury, composé d’écrivains et d’acteurs du livre en France et en Afrique, a repéré la fiction de l’auteur né en 1992 à Pointe-Noire, la capitale économique congolaise, parmi 350 manuscrits de primo-romanciers francophones de moins de 30 ans… Lire la suite sur LeMonde Afrique
« La Vie et demie », un ovni littéraire qui dit la « mocherie » du monde
Bienvenue en « Katamalanasie », dictature africaine sous la férule d’un « Guide Providentiel » sanguinaire, bien décidé à en finir avec Martial, son éternel opposant. Mais ce dernier refuse de passer de vie à trépas. « Je ne veux pas mourir cette mort », soutient-il face au despote fou de rage. « La colère du Guide Providentiel monta, qui gonfla sa gorge et dilata son menton en manche de houe, son long cou s’allongea davantage, il exécuta un pénible va-et-vient, mangea son dessert, une salade de fruits, puis revint vers l’homme.– Alors, quelle mort veux-tu mourir, Martial ? » Finalement terrassé après mille sévices, l’opposant est vengé par sa fille, Chaïdana, qui séduit et tue à son tour, un à un, les dignitaires du pays. Le Guide, cependant, demeure omnipotent. Ainsi va le monde dans La Vie et demie, de l’écrivain Sony Labou Tansi ; un monde d’anomie dont les peuples subissent la violence, en dépit d’oppositions politiques tenaces. Grinçant, détonnant, grotesque, ubuesque… Les adjectifs n’ont pas manqué pour qualifier ce premier roman et véritable ovni littéraire lors de sa parution, en 1979 (éd. du Seuil)… Lire la suite sur Le Monde Afrique
Actualité littéraire. Brazzaville, ma mère (1) : Premier roman de Bedel Baouna
Journal intime ? Roman journal ? Une autobiographie romancée car la narratrice rapporte sa propre histoire ? Roman réaliste car mettant en exergue quelques reflets du Congo actuel. Des questions qui trouvent leurs réponses après lecture de ce texte de Bedel Baouna qui révèle par son style une autre dimension du roman congolais. Brazzaville, ma mère apparait comme l’auto-présentation d’une femme abandonnée par une mère désinvolte ; elle est emmenée à Paris par son oncle qui voudrait la protéger de la vie hasardeuse de sa mère. Devenue journaliste et travaillant à Paris pour un magazine, elle décide de retourner à Brazzaville après avoir y passé un bref séjour aux côtés de sa mère. Elle se propose d’y travailler comme correspondante de son magazine. Commence alors l’étrange destin de l’héroïne, destin qu’elle voudrait traduire dans un roman qu’elle compte écrire au fur et à mesure qu’elle redécouvre sa mère et son Congo natal. Elle s’y confronte au véritable personnage de sa mère, une femme énigmatique qui serait le personnage principal de son roman, une femme autour de laquelle gravitent principalement son homme Jean Ngo, sa deuxième fille Annie et Florent, jumeau et neveu de Jean Ngo. Aussi voit-on ces personnages évoluer dans la haute société congolaise influencée par la politique. Jeanne : une femme pas comme les autres C’est le personnage qui semble se disputer la vedette avec l’héroïne du roman. Tout en se découvrant, la narratrice découvre petit à petit le personnage de Jeanne, sa mère. Le récit qui avance comme un reportage dont les quotidiens de la jeune journaliste sont datés, nous emmène graduellement vers d’autres révélations à propos du destin des hommes et femmes qui fréquentent Jeanne. Professeur de philosophie qui s’est intéressée à la politique, elle est obligée de se salir les mains comme l’un des personnages des Mains sales de Sartre. Même la fille ne comprend pas pourquoi sa mère a un engouement pour une certaine littérature : « Les classiques russes (et français), Maman en est friande. A l’œuvre de Dostoïevski » (p.14). Sa fille est inquiétée par son comportement et son mode de vie de femme qui a réussi matériellement. Elle aide les personnes déshéritées auxquels elle distribue d’importantes sommes d’argent : « De ma mère, je sais qu’elle est l’une des plus grandes fortunes du Congo, peut-être même la première » (pp.50-51). Mais cette femme énigmatique qu’est Jeanne sera le personnage central du roman que se propose d’écrire sa fille sur sa vie. Florence à la découverte de soi-même à travers sa mère Elle découvre sa mère quand elle est déjà grande femme ; à deux ans, son oncle l’avait soustraite des mains de sa mère pour l’emmener à Paris. Comme on peut le voir, son destin sera défini par le trajet initiatique Paris-Brazzaville et les brefs séjours dans le nord du pays et à Kinshasa. C’est par l’intermédiaire d’autres personnes tels sa sœur cadette Annie et son oncle qu’elle va pénétrer plus tard l’intérieur énigmatique de sa mère, qui serait aussi citée dans son projet d’écriture : « C’est décidé, j’insérerai dans [mon roman] un peu de moi. Sinon, ça n’aura aucun sens. Je me servirai de ma propre vie pour raconter la sienne. La sienne à défaut de la connaître totalement, je l’ai inventée » (p.50). A Brazzaville, loin de faire son travail de journaliste, elle va plutôt aller de découverte en découverte sur l’énigmatique personnage de sa maman. C’est au cours de son séjour dans cette ville qu’elle se rend compte, trente cinq ans après qu’elle a une cadette métisse qui vit aussi, comme elle, à Paris. Celle-ci connait bien son père, contrairement à elle qui est à la recherche de son géniteur. Cette sœur cadette est venue passer ses vacances chez sa mère : « Florence, s’exclame sa mère avec un sourire débonnaire, je te présente Annie, ta sœur cadette. Je lui ai longuement parlé de toi » (p.90). Florence, surprise par cette nouvelle découverte, s’en prend à sa mère pour avoir caché à ses filles, pendant un long moment leur filiation : « Avoir caché à ses filles trois décennies durant leur lien de filiation, comment oser faire cela » (p.92). Hélas ! Avec Jeanne, tout est possible avec cette vie qu’elle a menée dans le monde politique du Congo qui lui donnera l’occasion de connaitre le père de Florence. Plusieurs personnes vont marquer le séjour de Florence au pays, parmi lesquelles un certain Claude qui va la faire connaitre, contre toute attente, son géniteur. Quand Jeanne réalise la relation de Florence et Claude qui n’est autre que son ancien élève au lycée, s’ouvre le chemin paternel de sa fille par le projet de mariage coutumier des deux tourtereaux. Il y aura un problème de dot : « Personne ne nait seul. Florence m’a parlé de sa quête de racine paternelle… Je parie que quelque part dans un village vivent ses oncles paternels » (p.185). Et comme jusque là le père de la fille est supposé mort, c’est vers la famille paternelle qu’il faudra se diriger pour respecter la coutume en ce qui concerne la dot. Quelque temps, Florence rencontrera son père, dans des conditions on ne peut plus extraordinaires. Et quel ne sera pas son bonheur avant de rentrer à Paris quand son père va l’emmener dans son village du nord Congo. Brazzaville, ma mère : des référentiels topographiques Contrairement à certains auteurs qui maquillent la géographie des véritables villes et pays dans leurs ouvrages de fiction, Bedel Baouna nous révèle ici la ville de Brazzaville avec ses réalités géographiques. Aussi, Bedel Baouna parait comme l’un des écrivains congolais de la nouvelle génération qui nous présente l’actuelle de Brazzaville comme une succession de cartes postales, comme un film sur la ville. A travers son héroïne Florence, l’auteur promène le lecteur dans Brazzaville intramuros dont les lieux visités existent réellement dans la topographie de la ville. Florence se retrouve dans les lieux qui nous rappellent le domicile de l’illustre écrivain Sony Labou Tansi à travers les confidences de son père : « Nous tournons par une petite rue à droite et gagnons la rue Mbemba Hyppolite (…). Ici chez l’auteur de La