INTERVIEW. Expert international en stratégies d’éducation du patrimoine culturel et naturel, muséologue, enseignant-chercheur, ancien directeur du Musée national, de l’École de peinture de Poto-Poto, de l’École du Patrimoine Africain-EPA à Porto Novo au Bénin et ce jour, actuellement Conseiller au Patrimoine et aux archives au cabinet du ministre de l’Industrie Culturelle, Touristique, Artistique et des Arts, PagesAfrique.com l’a rencontré.
Pagesafrik.com : Comment réagissez-vous à cette opinion qui pense que les archives sont un domaine encore vierge ?
Samuel Kidiba (S.K.) : Les archives sont en effet un domaine encore vierge en République du Congo. Nous n’avons pas de spécialistes en la matière. C’est la raison pour laquelle nous exhortons la jeunesse, les chercheurs, les étudiants, les élèves, les écoliers, de s’intéresser aux archives qui est un domaine porteur. Je précise que tout ce qui se fait à la télévision et à la radio relève du domaine des archives. Que ce soit sonore ou écrit, ce sont des archives, et donc il n’y a pas de spécialistes en la matière.
Nous avons abordé ces questions en France. Nous avons visité le musée d’esclavage de Nantes. Nous avons échangé avec les collègues de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, notamment Mme DominiqueTaffin avant d’être reçu à l’école de Chartes avec Mme Elsa Marguin-Hamon.
Nous avons rencontré Bernard Toulier qui est inspecteur honoraire du Patrimoine. Bref, un ensemble de collègues qui s’occupent du patrimoine de façon générale et des archives spécifiquement.
Pagesafrik : Quel est votre avis sur la numérisation des archives et sur les archives du Congo ?
S.K. : On parle en effet de plus en plus des questions liées à la numérisation des archives. C’est une question qui devrait intéresser la jeunesse. Nous en avons parlé avec DominiqueTaffin et Mme Elsa de l’école de Chartes et avons pensé que les archives devraient intéresser la jeunesse qui est très outillée aux réseaux sociaux.
Comment numériser tout ce que nous avons comme archives au Congo ?
Il faut former une jeunesse qui croit en ce domaine des archives et capable de rappeler le passé d’un peuple. La deuxième, c’est de créer des conditions idoines de conservation de cette mémoire archivistique. La troisième, c’est d’intéresser des écoliers, des élèves et les collectivités du Congo à visiter ces lieux de conservation de leur mémoire. Ce sont les collectivités qui ont la mission de protéger et de mener une campagne auprès des populations jeunes. Cette jeunesse est suffisamment informée que Brazzaville a été la capitale de la France libre, elle a été la capitale de l’Afrique Equatoriale française (A.E.F.). Toutes ces archives se retrouvent à Nantes, à Bordeaux, un peu partout en France, et ici au Congo, on les trouve à Pointe-Noire. Brazzaville a donc cette charge historique, à savoir capitale de l’A.E.F., capitale de la France libre, capitale des Premiers jeux africains. Même pour l’esclavage, certains esclaves sont passés par Brazzaville venant du sud du Cameroun, de la Centrafrique, de l’actuelle RDC.
Pagesarrik : A Quel moment a-ton commencé à dire que le Congo était un pays de transit ?
S.K : Le Congo est ainsi considéré depuis les Chefferies en pays Ngala, le royaume Téké au centre sur les deux Congo et au Gabon, les royaumes de la côte atlantique (Kongo et Loango). Toutes ces monarchies avaient des échanges commerciaux dont l’axe Pointe-Noire-Brazzaville servait de voie de communication. Au XVIème siècle, lorsque commence la traite des noirs, les pistes caravanières, en provenance du sud Cameroun, de la RCA, de l’actuel RDC et de tous les esclaves du Congo Brazzaville ont transité sur cette voie de communication, Brazzaville-Pointe-Noire ou l’inverse.
Avec la construction du Chemin de fer Congo Océan (CFCO) de 1921 à 1934, le tracé du chemin de fer suivra le même circuit, par où passent les marchandises et de certains pays de l’Afrique centrale passait par le Chemin de fer. Ce chemin de fer a suivi la piste caravanière, la principale entre Brazzaville et Pointe-Noire, mais qui était la voie de communication. L’échange entre le royaume Loango et le royaume Téké. C’est la raison pour laquelle, on devrait former les jeunes et en faire des spécialistes en archives. Toutefois, la Rumba qui n’est pas née hier vient d’être inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco. Elle date des années 50, ce qui revient à dire qu’il y a matière à réflexion. A l’école Chartes, il y a des formations, notamment un Master en numérisation des archives historiques. Voilà une question qui peut être proche de cette jeunesse à la quête de l’emploi. La France est bien placée, à Nantes ou à Paris, à Bordeaux, où l’on trouve des archives qui concernent l’histoire de l’esclavage. Les jeunes peuvent se spécialiser en la matière, mais sous forme numérique.
Pagesafrik : Et qu’en est-il du musée ?
Le musée. C’est un lieu où on peut faire la recherche et d’élévation de la conscience populaire. Les collections qui y sont exposées rappellent la mémoire commune. C’est pourquoi le Congo est en pleine effervescence, parce qu’au niveau du ministère de l’Industrie Culturelle, il se passe beaucoup de fourmillements qui feraient que le musée demain soit placé au cœur du tourisme culturel. Nous sommes très heureux, que ce soit au niveau de la Primature ou de la Présidence, les gens ont un regard assez attentif sur la question.
Pagesafrik : Quelle est la place de Brazzaville face aux archives de l’A.E.F., ?
S.K. : Je pense que Brazzaville devrait être la capitale des archives de l’A.E.F., c’est-à-dire que tout chercheur qui partirait du Congo, de la République démocratique du Congo (RDC), du Cameroun, du Gabon, de la Guinée Equatoriale, de l’Angola, devrait forcement se donner pour destination, Brazzaville, non seulement parce qu’il y a des archives qui peuvent être numérisées, qu’on peut consulter sur le net de façon virtuelle, mais aussi parce que Brazzaville à des symboles : la Case de Gaulle et entre autres, le stade Eboué. Il y a beaucoup de vestiges qui parlent encore de Brazzaville comme capitale de la France libre, capitale de l’A.E.F. Tout cela devrait être en quelque sorte une diplomatie culturelle. Ce que les gens ne savent pas, c’est que la meilleure diplomatie, la diplomatie « soft » la plus prenable, c’est la diplomatie culturelle. Et nombreux sont les pays qui l’ont compris.
C’est le cas du Sénégal, depuis le Président Senghor jusqu’aujourd’hui, leurs Chefs d’État s’appuient spécifiquement au niveau de la musique, du travail que font les artistes musiciens, à l’instar de Youssou N’Dour et autres, qu’on envoie parfois en précurseurs pour régler des problèmes politiques, avant qu’un ministre ou au plus haut niveau, le Président de la République.
La diplomatie culturelle est donc de mise dans beaucoup de pays et les grandes puissances l’ont compris. Pourquoi pas le Congo qui a plusieurs écrivains ; qui est toujours à l’avant-garde de la littérature africaine francophone ?
Le Congo a une littérature non seulement prolifique, mais très puissante et très pertinente, au point où on compare certains écrivains à des sud-américains. Bref, voilà une autre diplomatie culturelle qui pouvait servir à notre pays.
Propos recueillis par Florent Sogni Zaou