Teddy Patou au Pr Franklin Nyamsi wa Kamerun : « Tenter de construire une révolution à sept mois d’une élection relève de l’imprudence »
TRIBUNE. « Tenter de construire une révolution à seulement sept mois d’une élection, alors même que nous sommes confrontés à la première difficulté mentionnée, relève de l’imprudence », affirme le journaliste et animateur radio Teddy Patou dans une lettre adresée au professeur Franklin Nyamsi wa Kamerun. Nous en publions ici l’intégralité.
« Lettre au professeur agrégé Franklin Nyamsi wa Kamerun
Cher Professeur,
Permettez-moi, avant toute chose, de m’incliner devant la pertinence de vos analyses. Il serait malséant, voire malhonnête, de ne pas reconnaître la précision quasi chirurgicale – parfois même quasi prophétique – de vos lectures des situations politiques sur notre continent.
Permettez-moi également de vous témoigner, sans acrimonie aucune et avec la plus grande déférence, mon profond respect pour votre engagement sincère et honnête en faveur de la cause du continent. N’en déplaise à certains, vous faites partie de cette rare élite intellectuelle africaine qui met ses connaissances au service des siens.
Cependant, cher Professeur, toutes vos qualités sont aussi renforcées par vos erreurs, vos maladresses et vos impertinences, qui, heureusement, nous rappellent votre nature profondément humaine.
À ce titre, votre proposition sur la conduite à tenir face au Président Biya au Cameroun s’inscrit, selon moi, dans la liste de ces impertinences.
Si une révolution populaire est une option envisageable, vous conviendrez avec nous qu’à l’état actuel des choses, il est impossible de la mener à bien.
Voici pourquoi :
1. La fragmentation de notre société
Ce repli identitaire, que vous êtes l’un des premiers à dénoncer, constitue un frein majeur à toute mobilisation populaire. Le risque, cher Professeur, est qu’une telle mobilisation ne rassemble une fois de plus que les ressortissants d’une ou deux régions au maximum, confortant ainsi la thèse selon laquelle l’opposition camerounaise serait enfermée dans des logiques ethniques.
2. Le timing
Tenter de construire une révolution à seulement sept mois d’une élection, alors même que nous sommes confrontés à la première difficulté mentionnée, relève de l’imprudence. Une telle entreprise nécessite un travail d’éducation citoyenne de longue haleine, un enracinement dans les consciences, des espaces de débat et une présence massive sur le terrain – autant d’efforts qui, hélas, sont encore insuffisants dans notre pays. Présenter le boycott des élections et la révolution populaire comme les seules alternatives reviendrait à offrir, sur un plateau d’or, sept années supplémentaires au régime du Président Paul Biya.
Pourquoi aller aux élections si l’on sait que le jeu est biaisé d’avance ?
C’est une question légitime. Nous savons, comme vous, que les accointances entre le pouvoir et les institutions en charge des élections ne sont plus à démontrer. Leur inféodation au parti-État est une évidence, une réalité aussi manifeste que le nez au milieu du visage.
Mais cette connivence pourrait aussi être la faille du régime, l’étincelle d’une colère citoyenne.
C’est pourquoi je pense qu’il faut aller aux élections. Je pense que l’accumulation des irrégularités avant, pendant et après le scrutin pourrait constituer une base crédible pour une contestation légitime.
Bien sûr, il ne s’agit là que de l’analyse d’un simple observateur, et je vous prie d’excuser ses éventuelles insuffisances.
Cher Professeur,
Je terminerai en vous exhortant à porter, une fois de plus, votre regard d’aigle sur la situation au Cameroun, afin de l’analyser avec encore plus de hauteur.
Mais surtout, je vous encourage à veiller à ne pas devenir, malgré vous, une voix qui fragilise davantage une opposition déjà engagée dans un combat difficile contre un régime oppressant.
Veuillez recevoir, cher Professeur, l’expression de ma plus profonde admiration ».

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