Récit de douze années de rencontres avec Jean Genet

L’écrivain Tahar Ben Jelloun évoque l’éternel insoumis et révolté

Tahar Ben Jelloun, qui recevra lundi 13 décembre courant au Théâtre national Mohammed V à Rabat, le Prix international de poésie “Argana” 2010, a publié récemment aux éditions Gallimard, un récit intitulé «Jean Genet, menteur sublime» et une pièce de théâtre, «Beckett et Genet, un thé à Tanger». L’écrivain et poète marocain de langue française signe une œuvre en hommage au sulfureux dramaturge et poète français, Jean Genet, dont il fit connaissance en 1974. Un récit de douze années de rencontres avec Jean Genet que l’auteur du roman «La Nuit sacrée» (Prix Goncourt 1987) livre avec détails dans son nouveau récit. Eternel insoumis, Jean Genet aurait eu 100 ans cette année.
Sur les circonstances de sa rencontre avec le poète français, l’écrivain marocain se souvient que «ce fut Jean Genet qui prit l’initiative de me rencontrer, ce qui fut pour moi une grande surprise. Je ne pensais pas qu’un jour un si grand écrivain prendrait la peine d’entrer en contact avec moi. Je crus bien faire en lui disant que j’admirais son œuvre, mais il me répondit de ne plus jamais parler de ses livres et me dit : «Qu’est-ce qui est important ? Un homme ou une œuvre?» Il revenait de Jordanie et des camps palestiniens et n’était préoccupé que par la volonté de témoigner. Notre lien a été une amitié utile ; je l’aidais dans certains domaines notamment concernant son dernier ami, Mohamed, puis je lui ai présenté Leila Shahid qui l’accompagnera à Sabra et Chatila le lendemain des massacres. Il lui arrivait aussi de lire mes manuscrits et me faisait des critiques constructives », confie Tahar Ben Jelloun dans un entretien à «Fondation l’entreprise la Poste», une organisation de soutien à l’expression écrite.
S’agissant de l’apport du personnage à sa carrière, l’écrivain marocain précise dans un autre entretien accordé, cette fois-ci, à l’hebdomadaire Paris Match (édition du 18/24 Nov.) que Jean Genet « m’a appris des choses qui n’ont pas de prix. Il m’a sauvé du narcissisme, du parisianisme. Jeune, j’avais de quoi avoir la grosse tête, mon premier livre avait eu du succès, je possédais des lettres de Beckett, de Barthes. Alors que lui savait garder une distance avec sa propre œuvre. Alors ça oui, ce qu’il m’a apporté constitue une dette immense Je lui dois aussi d’avoir développé mon esprit de contestation, même si je l’avais déjà. Voilà ce que m’a appris le fait d’avoir marché dans la rue avec lui, d’avoir travaillé avec lui. ll m’a donné, quand on parle des autres, des opprimés le souci de l’exigence», dit-il.
Revenant sur l’intérêt de Jean Genet pour les peuples sans terre, à l’instar des Palestiniens dont il se sentait lié, Tahar Ben Jelloun poursuit en ces termes : «Toute sa vie aura été marquée par la quête de sa mère. Pas du père. Il exagérait cependant ses souffrances d’enfance, sa famille d’accueil l’a bien traité. Mais il aura recherché sa mère jusqu’au bout. Il disait que les Palestiniens ne l’intéresseraient plus le jour où ils auraient une terre. Il était fasciné par la mère de Hamza, un combattant palestinien. Par la relation qu’elle avait avec son fils. Comme il l’avait été aussi en voyant ma mère me couver du regard», explique-t-il.
Du rapport de Jean Genet à l’art, Ben Jelloun reconnaît que l’auteur de «Querelle» parlait de manière étrange de la peinture. «Il aimait la beauté, le sentiment esthétique. Il recherchait partout ce sentiment et y tenait beaucoup. Sa relation avec l’art est aussi profonde qu’avec la poésie, mais encore une fois, il n’en parlait pas ou si peu. Son expérience avec Giacometti l’a beaucoup impressionné. Son livre, L’Atelier d’Alberto Giacometti, est une merveille, un texte à part dans son œuvre. Il y est très précis dans la manière qu’il a de saisir le personnage du peintre et du sculpteur, et témoigne avec élégance et subtilité de l’admiration qu’il avait pour cet immense artiste, si modeste, si humble », explique-t-il à Fondation d’entreprise La Poste.

 

Jean Genet, menteur sublime

Tahar Ben Jelloun nous livre ici le récit de douze années de rencontres avec Jean Genet. Les fulgurances de leurs conversations et les nombreuses anecdotes que recèlent ces souvenirs inédits jettent un jour nouveau sur cet écrivain secret et souvent mal compris. On y retrouve aussi toute la force et l’urgence des débats politiques et intellectuels du tournant des années quatre-vingts.
En 1974, lors de leur premier rendez-vous, l’homme qui s’installe en face de Tahar Ben Jelloun n’a plus grand-chose en commun avec l’écrivain-voleur mythique, saint et martyr. Il écrit rarement, a coupé les ponts avec Sartre et Cocteau et se passionne désormais pour les luttes révolutionnaires les plus contemporaines: Zengakuren japonais, Black Panthers américains, et enfin la cause palestinienne.
Ce Genet ‘politique’ n’en est pas moins resté un homme insaisissable et créatif. Pendant les dix années qui vont suivre, Genet tantôt apparaît, tantôt disparaît, pour se lancer dans de nouveaux projets auxquels il associe souvent Tahar Ben Jelloun : entretiens, articles, scénarios, traductions…

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