La femme congolaise au carrefour des heurs et malheurs de la vie conjugale
Dans les textes de Nathasha Pemba, heurs et malheurs côtoient les femmes dans leurs relations avec les hommes. Dans « Le mythe du blanc », Emilienne, la mère de la jeune Ngalla, après une vie pénible suite à la mort de son mari, se voit heureuse après le remariage de sa mère avec un expatrié blanc. En effet, contre toute attente, sa mère sera désirée par son parton, un certain Deblock. Le mariage de sa mère avec ce Blanc annonce une nouvelle vie pour la jeune Ngalla. Et une grande surprise pour les enfants quand l’homme décide de les adopter dans ses formalités de mariage. Il ira vivre avec sa nouvelle famille en Nouvelle Zélande où il a eu un nouveau poste après la fermeture de la Comilog. Quelle grande et agréable joie du côté des enfants quand ils seront mis au parfum par leur mère : « Nous devons donc aller chercher nos passeports à Libreville. Donc nous prendrons d’abord les passeports congolais ici, ensuite nous partons chercher nos passeports français au Gabon » (p.62). Cette vie hors du Congo avec un Français, fait écho dans « L’amitié » où Annie s’intéresse aux Français de Pointe-Noire en espérant trouver celui qui l’emmènerait en Europe. Malgré l’amour que lui porte son fiancé William, elle espère trouver le bonheur dans les bras d’un Européen. Il considère le jeune William comme « un pneu de secours » en attendant qu’elle trouve l’homme qu’elle recherche : « En attendant que son Blanc n’arrive, Annie passe le plus clair de son temps avec un jeune Congolais » (p.142). Presque dans tous les textes de Polygamiques, se manifeste une belligérance des sentiments entre l’homme et la femme dans leur cohabitation. Nathalie dans « Ma future belle-mère » comprend la réticence de son fiancé quand elle souhaite rencontrer la maman de ce dernier. Lors de leurs retrouvailles, elle découvre que sa future belle-mère est bisexuelle. Cette dernière a été victime d’une dépression suite à un deuxième mariage de son homme et c’est son séjour en milieu psychiatrique qui l’aurait poussée à la bisexualité pour compenser le manque de son mari. Et c’est cette nouvelle situation dans le foyer qui a fait que la belle-mère de Nathalie se retrouve relayée au second plan après leur divorce : « Son mari était revenue la chercher chez ses parents (…). Ils s’étaient remariés et elle était devenue deuxième épouse parce qu’entre temps, son mari avait épousé une autre femme » (p.25).
L’homme congolais, un éternel insatisfait en amour
Dans Polygamiques, les tribulations et souffrances morales de la femme semblent être provoquées par l’homme qui se croit tout puissant en foulant aux pieds les principes élémentaires de la monogamie. La société congolaise dans laquelle évoluent les personnages de Nathasha Pemba est encore tributaire de la tradition qui accepte les « hommes à plusieurs femmes ». Même après moult années passées dans la civilisation monogamique, l’homme congolais se voit rattrapé par les réalités de sa société. Odinga dans « Troisième bureau » va se confronter à la réalité de son Congo : il s’intéresse aux femmes congolaises bien que marié à une Russe. A son retour au pays, il rencontre quelques Congolaises dont la beauté physique l’interpelle ; il comprend pourquoi son ami Moufoudou est rentré au pays sans sa femme russe. D’ailleurs celui-ci le lui signifie clairement : « Mon cher, as-tu déjà vu les belles filles qui circulent ici à Brazzaville ? Elles sont belles ! Il faudrait bien qu’il y ait des gens pour les épouser » (p.89). Quand Odinga trouve un emploi à Nkayi par le truchement de son ami Moufoudou, il semble être rattrapé par l’éternelle insatisfaction de l’homme en amour. Il est victime de la beauté de Mélanie qu’il prend en mariage avant de s’offrir une troisième épouse au grand étonnement de celle-ci après plus d’une décennie de vie conjugale : « Seize ans de vie commune (…) son mari vient de prendre une troisième épouse » (p.129). Aussi, cette envie d’avoir plusieurs épouses, incarnée par Odinga, ne serait-il pas une tare de la société traditionnelle que le modernisme essaie paradoxalement de combattre ? Car cette éternelle insatisfaction de l’homme en amour se remarque aussi chez le père de Louemb dans « La beauté extérieure », un vrai chaud lapin qui fréquente le monde des prostituées.
La polygamie, une réalité congolaise
En dehors des jeunes femmes, à l’instar d’Annie et de Gisèle dans « L’amitié », toutes les femmes matures que l’on rencontre dans les récits de Nathasha Pemba, vivent la polygamie que leur impose leur mari. La maman de Stéphane dans « Ma future belle-mère » est confrontée à la polygamie qui va bouleverser psychologiquement sa vie comme elle le déclare à Nathalie : « Elle me raconta sa vie. Comment elle était devenue deuxième femme. Et comment son mari avait pris une troisième femme. Et aussi comment depuis quelques temps (…), il envisageait d’épouser une jeune fille de vingt-cinq ans. Donc une quatrième femme » (pp. 24-25). Cette boulimie des hommes pour les femmes est aussi dénoncée dans « Le secret » où Saphira est abandonnée avec son fils par Antoine son mari qui s’est accroché à une femme de son association politique qu’elle connait bien : « Je veux divorcer. Je ne t’aime plus. D’ailleurs, je ne sais pas si je t’ai même aimée un jour. » (p.172).
Les garçons dans le foyer : des identités remarquables
La femme est presque omniprésente dans tous les récits de Polygamiques où elles sont souvent au centre de l’histoire rapportée. Les garçons dans « Mbiya le petit mendiant » et « Le secret » donnent une autre signification à la trame de leurs aventures. Dans ces deux nouvelles, la femme n’est pas influencée par la polygamie que vivent leurs parents. Si le petit Mbiya ne peut supporter les sévices que sa tante qui a curieusement remplacé sa défunte mère dans le foyer fait subir a sa petite sœur, Ismael dans « Le secret » parait vivre le bonheur au près de l’épouse du préfet. Mbiya devant la méchanceté de sa belle-mère et le désengagement de son père, devient un mendiant pour subvenir aux besoins de ses deux cadets : « Il avait décidé de mendier (…). Cet argent lui permettait d’offrir des petits cadeaux à Sandra et Junior » (p.83). De son côté, Ismael réalise que l’épouse du préfet est tombée amoureuse de lui et se voit, contre toute attente, accepté par le mari devenu impuissant et infécond. Et le couple de demander à Saphira, la mère du jeune Ismael, de garder le secret car les deux conjoints ont décidé que le jeune garçon soit l’amant de la femme pour avoir des enfants. Et le préfet de s’adresser à Saphira : « Dès que mon épouse a vu Ismael, elle est tombée amoureuse de lui et c’est avec lui qu’elle veut faire ses enfants (…) que je reconnaitrai » (p.180).
Les textes de Polygamiques définissent, en dehors de « Mbiya le petit mendiant » et « Le secret », une intertextualité qui se fonde sur la thématique de la polygamie. Des textes qui se caractérisent par des congolismes et une toponymie qui nous fait entrer dans le territoire congolais. Des villes telles Brazzaville, Nkayi et surtout Pointe-Noire nous rappellent le quotidien congolais, quotidien congolais que l’auteur a su exprimer à travers l’emploi de quelques congolismes comme : « la micheline » (p.38), « nibolek, tchèques » (p.58), « A la tombe de ma mère » (p.76), « abacost » (p.88), « Il ne se lève pas » (p.122), « vicks tchangaye » (p.146), « matatumb » (p.147)… dont l’auteure donne une signification par des notes en bas des pages du livre.
Avec ce recueil de nouvelles, Nathasha Pemba apparait comme l’une des rares écrivaines congolaises qui nous rappelle les dégâts causés la polygamie dans la société congolaise.
(1) Nathasha Pemba, Polygamiques, éd. La Doxa, Rungis Cedex, 2015