L’écrivain poète Armand MAVINGA TSAFUNENGA rend hommage au grand artiste sculpteur congolais Alfred LIYOLO LIMBE M’PUANGA, communément appelé Maître Alfred LIYOLO, décédé le lundi 1er avril 2019 à Vienne en Autriche à l’âge de 76 ans. C’est une perte immense pour la République Démocratique du Congo et le monde des arts.
En effet, l’illustre artiste sculpteur, fils de M’PUANGA Albert et de BONKUMU Céline, est né le 30 mai 1943 à Bolobo dans la région de Mai-Ndombe en République Démocratique du Congo. Toute sa vie est liée à l’art, car Maître Alfred LIYOLO a été passionné par l’art depuis sa jeune enfance en tant que petit-fils d’un tailleur d’ivoire. Après ses études à l’Académie des Beaux-Arts à Kinshasa de 1958 à 1962, il obtient une bourse du Gouvernement Autrichien en août 1963 pour aller poursuivre sa formation à l’Ecole des Arts appliqués de Graz en Autriche. En octobre 1965, il va poursuivre sa formation à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne dans la classe des Maîtres sculpteurs dirigée par le Professeur Wander Bertoni. Il obtiendra ainsi son Diplôme de Maîtrise en Art, le Magister Artium, en se spécialisant en sculpture monumentale. Etudiant distingué, il obtiendra aussi le plus grand prix de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne en tant que meilleur étudiant de sa promotion. Il termine ses études par une année de stage au Musée d’Ethnologie de Vienne et dans des fonderies d’art.
Maître Alfred LIYOLO est un Ambassadeur de la culture congolaise au Congo, en Afrique et dans le monde
Comme le soulignent tous ceux qui connaissaient Maître Alfred LIYOLO, ce dernier est un monument vivant de la culture congolaise au Congo, en Afrique et dans le monde. Comme le met en exergue Mr Frank DIKISONGELE, artiste peintre et enseignant à l’Académie des Beaux-Arts à Kinshasa, Maître Alfred LIYOLO est parmi ceux qui ont porté haut le flambeau de l’art plastique congolais à l’étranger. Il est aussi le seul artiste africain à avoir rencontré l’empereur Hirohito du Japon.
Maître Alfred LIYOLO est un de ces artistes africains qui ont eu une renommée internationale dans le domaine exigeant des arts plastiques et notamment de la sculpture. Son talent a fait la différence dans un contexte favorable où notre pays, alors Zaïre, s’est engagé dans la politique de « Recours à l’authenticité ». Grand sculpteur, spécialiste notamment du bronze, il est un artiste original dans sa manière de marier avec symbiose le caractère à la fois traditionnel et contemporain de l’art par la pureté, le naturalisme et la spontanéité de son style. Le talent du Maître Alfred LIYOLO a bénéficié aussi des retombées du début du mécénat de Président Mobutu Sese Seko dans le cadre de la Politique de recours à l’authenticité. Il y avait un engagement très volontariste de l’ancien Président qui a ouvert les portes à certains de nos artistes. Mais hélas le rendez-vous a été manqué par la suite avec la politique de Recours à l’authenticité.
La renommée internationale de Maître Alfred LIYOLO le classe sans le moindre doute parmi les grands Ambassadeurs de la Culture congolaise dans le monde. Ses réalisations lui ont permis de parcourir les grandes villes du monde entier. Entre 1973 et 2002, Alfred Liyolo expose dans les galeries les plus prestigieuses et les plus connues du monde, dont Paris (Louvre), Nice, Tokyo, Séville (exposition universelle de 1992), New York (Art expo 93), Vienne, Lisbonne (Exposition Universelle 1998), Pékin, Bruxelles (2002), Dakar (Sénégal). Il a aussi exposé dans d’autres pays comme la Suisse et l’Afrique du Sud, et a participé à de nombreuses Biennales artistiques et Expositions internationales, ainsi qu’à des séminaires spécialisés dans le cadre de l’enseignement artistique, touristique et environnemental, où il a fait l’honneur et l’honorabilité de notre pays, la République Démocratique du Congo. Il a pris une part active à certaines activités de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO).
En République Démocratique du Congo, les œuvres de Maître Alfred LIYOLO illustrent la vitalité, l’originalité et la présence de la culture congolaise. Certaines de ses œuvres occupent plusieurs espaces publics à Kinshasa, comme dans les autres villes du pays. Nous pouvons citer : le Monument des mamans maraîchères, le monument de la Place des Artistes, le monument dédié à l’artiste Franco LUAMBO MAKIADI à la Place de la Victoire. Son œuvre est visible au croisement des avenues Kimwenza et By Pass à Kinshasa. L’avenue By Pass qui mène vers sa résidence dans la Commune de Mont-Ngafula. Ces œuvres sont aussi visibles à la Primature (Bureau du Premier Ministre de la République Démocratique du Congo). Il a réalisé tous les bustes des Commissaires Généraux depuis la colonisation ainsi que les bustes de tous les premiers ministres que notre pays a comptés depuis l’indépendance, à l’exception de bustes des deux derniers Premiers Ministres qui ne sont pas de lui. Il a également réalisé les bustes qui se trouvent sur la Place de l’Indépendance à Lualaba. Un de ses exploits est aussi la livraison du monument de l’Héros National «Patrice Emery Lumumba» de 4,50 m de haut au jardin de la Primature à Kinshasa.
A Vienne en Autriche où il a étudié et vécu un certain moment en quittant le pays, le Maître Alfred LIYOLO pose aussi ses marques. Il participe à quelques expositions et laisse des chefs-d’œuvre dans les grandes places de Vienne en participant à de nombreux projets de restauration de monuments ainsi qu’à différents symposiums.
L’esprit de grandeur, de force et de beauté caractérise les œuvres du grand artiste Alfred LIYOLO
Maître Alfred LIYOLO est parmi les grands artistes africains contemporains. Il laisse un patrimoine artistique très riche. Il manie avec une aisance particulière le bronze, matière première de ses œuvres sculpturales. Il sera toujours vivant à travers ses différents monuments dans les lieux publics. Son option pour la sculpture monumentale tenait aussi à son esprit intrinsèque de la grandeur qui devait être celle du peuple congolais et de notre pays. Derrière ses œuvres se cache un esprit de grandeur, de force et de beauté. Il est toujours parti chercher la grandeur, la force et la beauté dans l’originalité de notre identité, de nos traditions artistiques qui s’ouvrent et se marient avec le monde contemporain. La grandeur, la force et la beauté des œuvres de Maître Alfred LIYOLO sont à la fois naturelles, pour ne pas dire physiques, et spirituelles. L’esprit de grandeur, de force et de beauté oblige l’artiste à la recherche de l’humanisme, de l’universel et du spirituel.
Il y a lieu de noter les thèmes privilégiés de l’artiste sculpteur que sont la femme, l’amour, la nature et la musique. Ces monuments ne sont pas de simples monuments représentatifs, mais des monuments qui nous parlent et qui parfois nous interrogent. Ses œuvres sont des invitations à la méditation, à l’introspection. Outre ses monuments, nous pouvons citer à titre d’exemples les œuvres comme Le couple, Grue couronnée, La penseuse, La détente, L’abstinence, Mélodie.
Maître Alfred LIYOLO est aussi un Professeur Emérite
Maître Alfred LIYOLO est aussi un professeur émérite qui a enseigné à l’Académie des Beaux-Arts à Kinshasa et dans différentes écoles d’art à Vienne en Autriche. C’est en 1970 que notre illustre disparu rentre au pays après ses études et l’expérience acquise en Autriche. Il débute sa carrière de Professeur à l’Académie des Beaux-Arts. Il est nommé Directeur des Etudes en 1974, puis Secretaire Général en 1982. En tant que Directeur Général de l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa en 1986, il a engagé cette institution sur la voie de la modernisation jusqu’en 1991, année où ce processus fut interrompu par des troubles politiques marqués notamment par des actes de pillage de grande envergure qui mettront l’économie fragile du pays par terre. Ces troubles ont conduit la République Démocratique du Congo à emprunter un chemin encore plus sombre de son histoire. C’est dans ce contexte que les ateliers et la résidence de Maître Alfred LIYOLO seront mis à sac et totalement pillés. Ces durs évènements poussèrent ce dernier à quitter Kinshasa avec sa famille pour s’installer à Vienne où il a dispensé des cours dans différentes écoles et organiser des expositions. Très attaché à son pays, la République Démocratique du Congo, il se décide de nouveau de revenir à Kinshasa en 2004 afin de participer à l’effort de Reconstruction Nationale. Il continuera alors ses enseignements à l’Académie des Beaux-Arts de Kinshasa. Il a transmis ses connaissances et son expérience à de nombreux étudiants et artistes congolais et étrangers. C’est pour couronner sa carrière professorale remarquable tant sur le plan de l’enseignement que sur le plan de ses réalisations, qu’il est nommé en juillet 2013 Professeur Émérite par décret ministériel.
Comme nous, il a aussi participé au combat pour l’ouverture du second cycle au niveau de l’enseignement supérieur dans les différents domaines des arts à l’Académie des Beaux-Arts (ABA), à l’Institut National des Arts (INA) et à l’Institut Supérieur des Arts (ISA). Combat que nous avons aussi mené avec d’autres personnalités, pour ne citer que quelques unes, comme notamment les Professeurs Emmanuel BIANGANI GOMANU TAMP’WO qui a initié la Faculté de Sciences de l’Art et nous a quittés, KAMBAYI BWATSHIA, YOKA LYE MUDABA, MUSANGI NTEMO, et les grands artistes et enseignants Norbert MOBYEM MIKANZA qui nous a aussi quittés, LEMA KUSA et BAMBA NDOMBASI. Il était aussi de ceux qui soutenaient mon idée de la création d’un Séminaire des doctorants dans le domaine des arts et du développement culturel prenant en compte la dimension culturelle du développement et de la paix.
Engagement pour l’émergence d’un Grand Congo dans le cadre de la formulation d’une politique culturelle globale du développement
Maître Alfred LIYOLO a toujours eu un grand souci, celui de servir son peuple et son pays. C’est ainsi quand il quittera le pays en 1991 avec sa famille suite aux événements politiques, et n’hésitera pas d’y rentrer en 2004 pour apporter sa petite pierre à la construction de notre pays. Pays qui continuait encore de vivre une longue crise multiforme avec l’arrivée très controversée de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) en 1997.
L’éminent artiste sculpteur et homme de culture Alfred LIYOLO LIMBE M’PUANGA partageait avec nous la vision d’une grande politique culturelle globale du développement pour l’émergence d’une grande nation congolaise au cœur de l’Afrique, eu égard à la centralité et à la position géostratégique de notre pays. Nous ne pouvions éviter d’en dire un mot lors de visites de ses ateliers chez lui à Mont-Ngafula. Cette vision se lisait toujours dans sa détermination de conquérir sans cesse le monde des arts pour l’honneur et la visibilité de notre pays dans le monde. Et moi j’y apportais toujours ma modeste contribution comme expert de l’UNESCO dans les domaines de la culture et de la communication.
Au moment où notre pays est encore plongé dans une crise plus profonde avec l’institutionnalisation au plus haut niveau du fléau terrible de la corruption, il est important d’avoir une pensée pieuse pour notre illustre disparu. Il est clair qu’il est impossible de lutter contre les antivaleurs comme la corruption, les injustices et les crimes graves organisés sans une politique culturelle globale, efficace et appropriée du développement, de la justice et de la paix. L’absence d’une telle politique culturelle consacre, à titre d’exemple, deux carences dans notre Constitution, à savoir l’absence du génie congolais et de la sacralité congolaise. La Constitution est avant tout le fruit du génie d’un peuple dans sa vision intrinsèque de lui-même, de lui-même face au monde et du monde où il doit répondre à tous les défis existentiels de paix, de justice, de sécurité, de prospérité, de liberté, de solidarité, de force et de puissance. La grande élévation ne se trouve que dans les fondements de sa propre culture assumée et ouverte aux autres comme une maison. Notre identité est comme notre maison bien gardée, mais qui s’ouvre aussi aux autres pour s’enrichir en rapportant l’apport extérieur nécessaire dans notre maison. Un peuple sans identité est un peuple sans domicile, donc un peuple « phaseur », c’est-à-dire un peuple qui dort dans la rue, pour reprendre une expression très commune dans l’argot congolais. La Constitution congolaise ne consacre-t-elle pas la création d’un Etat sans identité ? Le Président Mobutu Sese Seko, il y avait pensé un moment avec la politique de Recours à l’authenticité, mais il s’est dérouté. Cette grande vision du Grand Congo, comme notre maison à nous, mais aussi ouverte à l’universel, nous la partagions tous avec les professeurs Alfred LIYOLO, Emmanuel BIANGANI GOMANU TAMP’WO et Norbert MIKANZA MOBYEM qui nous ont quittés. La même vision, nous la partagions aussi avec Gusto PHOBA TULU, Anicet MOBE et Jean KALAMA ILUNGA « Kalama Soul » qui nous ont quittés en France.
C’est ainsi que tous nous avons toujours refusé une vision étroite et infondée d’un Ministère de la Culture et des Arts réduit à un Ministère des « Bikeko » (statues en langue lingala) pour reprendre une expression qui était chère à mon frère MIKANZA. Nous partageons une vision globale, large et appropriée de la culture pour le développement avec nos illustres disparus et les autres comme MBUYAMBA LUPWISHI, KAMBAYI BWATSHIA, YOKA LYE MUDABA, MUSANGI NTEMO, NGOMA BINDA, LEMA KUSA, BAMBA NDOMBASI, Liverpool NGIMBI BAKAMBANA. La liste n’est pas limitative ni préférentielle. Maître Alfred LIYOLO nous quitte au même moment qu’un autre monument et grand Ambassadeur de la culture congolaise. Je cite le poète et artiste musicien Simaro Masiya LUTUMBA NDOMANUENO décédé le samedi 30 mars 2019 à Paris en France. J’adresse mes vives et sincères condoléances à toutes les familles éprouvées et à tout le monde des arts. Bon voyage Maître Alfred LIYOLO à la rencontre des tiens et de nos ancêtres qui nous ont précédés.
Paris, mercredi le 17 avril 2019
Ecrivain poète Armand MAVINGA TSAFUNENGA
Président du Centre d’études et de promotion de la culture et de la communication en Afrique (CEPROCOM)
Notes
Vous pouvez lire avec intérêt des informations sur Maître Alfred LIYOLO dans différents sites d’information et dans le site officiel de l’illustre disparu.