Le règne du duo mémorable Jhimmy na Mwanga

En 1947, Zacharie Elenga dit Jhimmy (né en 1932 à Brazzaville de père Michel Elenga congolais de Brazzaville et de mère centrafricaine), excellent clerc, sténo dactylo aux établissements Israël, à Léopoldville, fait la connaissance de celui qui allait jouer un rôle capital dans sa carrière musicale : l’Angolais Paul Mwanga. Ils habitent dans la rue Isoke (Commune de Kinshasa).

 Jhimmy opte pour la guitare rythmique. Il s’extériorise dans l’Odéon Kinois d’Antoine Kasongo. Paul Mwanga, attiré par la chanson, compose depuis 1944, dans le groupe Pastoria Kin, des œuvres dans la tradition congolaise. Les deux consacrent désormais des recherches de subtilité sonores dans le domaine de l’harmonie et du timbre. Jhimmy  modèlera sa sensibilité sur celle de son ami au point d’en arriver à une magnifique entente musicale.

Ainsi s’explique l’apport considérable de Paul Mwanga et Zacharie Elenga « Jhimmy » en 1949, dans la création, par les frères belges (d’origine juive) Moussa Benatar, des éditions musicales « Kina» devenues « Opika » en 1950. L’un des premiers enregistrements de la firme « Kina », qui a rendu Paul Mwanga célèbre, porte le titre de « Iyaya naboi monoko ya mboka » qui fut longtemps classé dans la catégorie des chefs-d’œuvre.

En 1950, pour avoir le meilleur engagement et la meilleure place aux éditions Opika, Paul Mwanga et Jhimmy unissent leurs talents autour d’un solide duo qui porte ainsi l’appellation « Groupe Jhimmy na Mwanga » lequel a conquis ses galons de grande vedette et est parvenu à imposer sa personnalité.

Jhimmy constituera particulièrement le plus grand évènement de  l’année 1950, car le guitariste « hawaïen » (jouant d’un instrument accordé à la manière des Iles Hawaï avec un fort vibrato) est un virtuose. Musicien élégant, fin et spirituel, il introduit le « fox-trot » dans la danse congolaise qui ne connaissait alors que la rumba, la biguine, le High live et la polka piké.

Les disques de Jhimmy et Mwanga, dont le succès a fait le tour de l’Afrique, ont exercé une influence considérable sur bon nombre de jeunes musiciens de cette époque. On retiendra avec nostalgie les admirables et véritables best sellers de la chanson syncopée, entre autre « Onduruwe » (maboko likolo), « Henriette », « Putulu », « Viva  Benatar », etc. Mwanga se contenta de leur fournir un solo chant magnifique, la guitare hawaïenne de Jhimmy leur octroya une conception harmonieuse très originale et avancée de l’époque.

Mais, Jhimmy, il faut aussi le noter a créé quelques dizaines de morceaux dans lesquels il sacrifiait totalement le texte à la tyrannie du rythme. Tout comme il a prouvé qu’il était  le Premier homme orchestre. Jhimmy s’est servi de sa voix comme instrument à usage multiple, faisant tantôt la basse, tantôt les maracas, tantôt l’accompagnement du soliste. Ses fox-trot étaient dansés dans une atmosphère sinon hystérique, du moins délirante. Les couples se disloquaient tout le temps, chacun réinventant à sa façon et au gré de sa fantaisie les déhanchements les plus audacieux.

L’ère Jhimmy, qui désigne particulièrement les années 1950 à 1952, a été aussi marquée par le renforcement du groupe en 1951 par les talentueux rythmiciens Charles Mwanga « Dechaud » et  Emmanuel Tshilumba  Baloji « Tino Baroza », (tous les deux formés par lui) Albert Kabondo, Albert Taumani,  Gobi et  Lucie Eyenga.

Le règne de Zacharie Elenga était celle d’un monarque absolu. Il a gouverné les deux colonies voisines (belge et française) sous le nom de Jhimmy, qu’il écrivait avec un h, même sur les pochettes de ses disques. Et pour citer Sylvain Mbemba : « A un auditoire habitué aux gammes « naturelles », mélodiques, Jhimmy apportait une nouvelle couleur sonore, chromatique. Ses trouvailles de guitaristes consistaient à prendre en défaut le rythme de respiration des mélomanes aussi bien naturel que forgé par leur culture musicale, ces deux pulsations étant sautées ou redoublées, anticipées ou rattrapées avec retard. D’où ce plaisir esthétique… fait de cettemultitude d’émois et de répits, attentes trompées et récompensées au-delà de l’attente ».    

En 1953, Le règne sans partage de Jhimmy, le roi incontesté de la guitare « hawaïenne prenait fin. Précisément, après une séparation conflictuelle avec Paul Mwanga due à la perception on ne peu frauduleuse par Jhimmy des droits d’auteur réservés à la chanson « Onduruwe » réclamés par Mwanga, son vrai compositeur.  

1954, le guitariste hawaïen met fin à sa carrière musicale à Léopoldville. Il regagne Brazzaville où il renoue avec sa profession de sténo dactylo au cabinet de l’avocat français Me Proucel.  En marge  de ses activités professionnelles, il anime avec Marie Isidore Diaboua le groupe « Atomic Jazz » qui va révéler un nouveau  Jhimmy dans un genre  ouvert à la musique du monde.

C’est au début  des années 90, à l’issu de son admission à la retraire que Jhimmy quitte Brazzaville pour Bangui où il tire peu de temps après sa révérence.  Il n’en reste pas moins qu’il  figure au gotha des musiciens les plus remarquables et les plus attachants de l’histoire de la musique congolaise moderne.

Quant à Paul Mwanga, aussitôt après la séparation avec Jhimmy, (1953) il refait surface aux éditions Ngoma en 1955  avec son nouveau groupe Affeinta Jazz. Une bonne formation qui va perpétuer un certain esprit du rythme kongo bien taillé. Des chansons fraiches, pleines de soleil et de tendresse. Une sorte de relève pour la Polka-Piké.

 C’est au cours des années 60 que Paul Mwanga arrête de chanter, avant de passer paisiblement sa retraite dans la commune de Ndjili – Kinshasa.

Paul Mwanga s’en est allé le samedi 16 juillet 2016 à la clinique chinoise de Ndjili à Kinshasa à l’âge de 84 ans. Il laisse une discographie très remarquable aux éditions Opika et Ngoma.

Clément Ossinondé

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