Interview : Jean Claude Awono : «Le Sénégal devrait continuer à jouer ce rôle d’avant-garde du devenir de la littérature africaine»

L’écrivain camerounais, poète, professeur de lettres et éditeur, Jean Claude Awono, a émis, le 10 novembre 2019 à Dakar au Sénégal, le vœu de voir le pays de Léopold Sédar Senghor de continuer à jouer le rôle d’avant-garde du devenir de la littérature africaine. Il a émis ce souhait à l’occasion  de la 27ème édition de la Journée Internationale de l’Ecrivain Africain, du 7 au 11 novembre 2019 sur le thème, Littérature, citoyenneté et environnement. PagesAfrik l’a rencontré à Dakar.  

PagesAfrik : Peut-on avoir une idée de votre identité ?

Jean Claude Awono : Je suis du Cameroun. Je suis poète et professeur de lettres et éditeur. Je ne cache pas non plus mon identité de chef traditionnel dans la région du centre du Cameroun. J’écris depuis  presque trente ans et suis auteur d’une dizaine de textes publiés à titre personnel mais également des anthologies. 

PagesAfrik : Quelle lecture faites-vous du prix qui vous a été attribué à l’occasion de la 27ème journée internationale de l’écrivain africain ? 

Pour moi, c’est une reconnaissance d’un travail que j’ai fait. Déjà au Sénégal où je suis revenu toutes ces cinq ou six dernières années, de manière  régulière, les sénégalais ont pensé que l’apport qui peut être le mien dans la visibilité de la littérature africaine pouvait compter. Ils ont pensé que ce que je fais est pertinent et ont estimé à leur niveau qu’il fallait le faire par une distinction.

Au niveau du Cameroun aussi, j’ai commencé pendant que j’étais encore dans les années d’étudiant, à créer et animer des groupes de poésie d’où la création de «La Ronde des poètes» avec des amis de l’Université. Je continue à l’animer jusqu’à ce jour. Jusqu’à mes cinquante ans. Je pense que certains prix peuvent étonner mais cela m’étonnerait beaucoup que le mien étonne qui que ce soit. Si on peut dire que quelqu’un a mouillé le maillot, moi, je l’ai mouillé dans le champ de la poésie. Je me réjouis de cette reconnaissance qui peut-être, tarde à venir au Cameroun et on dit souvent que nul n’est prophète chez soi. Le Cameroun, c’est l’Afrique et le Cameroun en fait partie. Ce prix est une reconnaissance africaine que j’accepte avec beaucoup de joie mais en même temps avec beaucoup de modestie.  

PagesAfrik : Comment se porte la littérature camerounaise que vous aimez si bien ?

La littérature camerounaise, c’est un immense paradoxe. C’est l’une des littératures les plus fortes du continent, et même du monde mais en même temps qui est portée par un certain nombre de fragilités qui peuvent être très étonnantes.

Pour les lignes de force, lorsque vous voyez le nombre de fois que le Cameroun a été sur les podiums  africains et internationaux, des prix de l’Afrique noire. Il y’en a plein d’autres. Il y a de grandes figures comme les Guillaume Oyono Mbia, Calixte Beyala, Eugène Ebodé et entre autres Patrice Ngana qui ont montré que le Cameroun est une terre d’écriture et qui hérite de grandes figures telles que Mongo Béti, Guillaume Oyono Mbia, Ferdinand Oyono et de bien d’autres. On ne peut pas parler de la littérature africaine en excluant le Cameroun. Ce n’est pas possible.

E ce qui concerne les fragilités, c’est dans les capacités du Cameroun dans la gestion intérieure de cette immense réalisation. On a un problème de gestion interne qui se traduit par l’absence des lieux comme les résidences d’écriture qui n’existent pas au Cameroun, des lieux qui devraient lui donner  de la force. Je veux parler par exemple des prix littéraires sérieux créés par des camerounais, qui n’existent pas, ce qui fait que la plupart de camerounais reçoit plutôt les prix de l’extérieur. C’est quand ils rentrent au pays qu’ils sont reconnus.

Le marché du livre aussi ne semble pas très organisé même s’il s’agit de la littérature de l’un des pays les plus alphabétisés. Le taux d’alphabétisation au Cameroun est très élevé. Mais il y a cette absence de culture du livre. Il s’agit de faire de sorte qu’on aille spontanément au livre comme on va spontanément vers la bière ou à des mondanités qui n’ont rien à voir avec la qualité spirituelle de la culture. Le livre, il faut me reconnaître, apporte quelque chose dans l’équilibre d’un être humain ou d’une société. Le Cameroun, c’est le balancement entre des avancées et des reculades spectaculaires. Je crois que c’est ce niveau qu’il faut situer la littérature camerounaise.

PagesAfrik : Quelles leçons à tirer pour les autres pays africains quant à l’organisation permanente par vos frères sénégalais, de la journée internationale de l’écrivain africain avec tout ce qui l’accompagne?  

Je pense que l’une des leçons que nous pouvons tirer, c’est d’abord qu’un pays africain peut exécuter une décision qui prise par une institution aussi prestigieuse et internationale que l’Organisation de Unité Africaine (OUA), lorsque l’idée est née de créer la journée internationale de l’écrivain africain, avant de devenir l’Union Africaine (UA). Il y a donc à la base un désir de concrétiser un projet continental fort.

La première leçon, c’est que le Sénégal a compris que l’Afrique doit faire de manière factuelle, de manière concrète des choix politiques. Le Sénégal l’a compris. Il est bon de le saluer et de le tirer comme première leçon. La seconde leçon, c’est que lorsque toutes les énergies sont convergées vers Dakar pour la célébration de la journée internationale, on se pose la question de savoir ce que deviennent les autres capitales. L’on se demande également jusqu’à quand Dakar va être le seul lieu de reconnaissance et de célébration de cette journée. Je crois qu’il y a là une réflexion forte qui doit être menée. Il faut donc amener les autres pays africains à se réapproprier cette initiative qui est la leur, qui est la nôtre, qui est celle du continent africain pour que ce ne soit pas seulement un bouquet à Dakar mais un ensemble de bouquets distribué sur l’ensemble du continent africain. La troisième leçon, c’est le choix que Dakar fait de reconnaître les valeurs littéraires qui sont sur le continent en leur consacrant des prix. C’est aussi le fait de faire de sorte que la mémoire du Sénégal reste ancrée en Afrique et c’est une manière de pérenniser l’héritage reçu des pères fondateurs, je fais allusion au président Senghor, à Cheik Hamidou Kane et Cheik Anta Diop qui sont sur le plan de la construction de l’identité africaine des pylônes indéboulonnables. Je crois qu’ils doivent continuer à jouer ici au Sénégal, ce rôle d’avant-garde du devenir de la littérature africaine et pourquoi pas dans le monde.

Propos recueillis par Florent Sogni Zaou

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