Assise dans la cour d’une grande maison, Fatou* ouvre délicatement un sac en plastique. A l’intérieur, des dizaines de sachets laissent s’échapper une forte odeur de tabac. Chacun contient quelques grammes d’un produit semblable à du terreau.
« Vous sentez cette odeur ? Elle n’a pas changé depuis une semaine : c’est le signe que le produit est de bonne qualité », affirme cette habitante de Sédhiou, une petite ville de Casamance, dans le sud du Sénégal.
Depuis quelques années, de plus en plus de femmes de la région consomment ce produit, qu’elles surnomment « tabac » en raison de sa composition. « Il m’a permis de soulager mes maux de ventre. Mais il sert aussi à traiter les douleurs aux articulations et l’anémie, à lutter contre la fatigue et à faciliter l’accouchement », assure Fatou, qui le vend à d’autres habitantes de Sédhiou. D’après elle, le produit permettrait même de soigner l’infertilité :
« Je connais une femme qui n’a jamais réussi à avoir d’enfants durant dix ans. Elle est tombée enceinte après avoir commencé à le consommer. »
C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé Rokhaya*, la quarantaine, à tester le produit. « Des gens m’ont dit que ça allait m’aider à avoir des enfants », confie-t-elle à l’intérieur de sa maison, à la nuit tombée. Mais le produit est loin d’avoir eu l’effet escompté :
« J’en ai mis une petite quantité sur les lèvres du sexe, car les femmes l’utilisent comme ça généralement. Mais au bout de cinq minutes, j’ai commencé à vomir et à avoir des vertiges : j’ai cru que j’allais mourir ! Depuis, je ne l’ai plus jamais remis dans mon sexe. »
Rokhaya raconte qu’elle continue pourtant à utiliser le « tabac » lorsqu’elle a des crampes aux pieds, en le mélangeant avec du beurre de karité, ou encore pour nettoyer des plaies.
« C’est comme une drogue »
A Sédhiou, d’autres femmes décrivent des effets secondaires semblables : vomissements, étourdissements, diarrhée… L’une d’elles confie avoir fait une « nuit blanche » après avoir consommé le produit, qu’elle décrit comme « chaud et piquant ». « Ma langue est devenue lourde, j’ai eu le corps abattu, comme si j’étais anesthésiée : c’était comme une drogue », se souvient cette femme. Même son de cloche du côté de Rokhaya :
« C’est comme la cigarette : certaines femmes ne peuvent plus s’en passer. »
Plusieurs femmes de l’entourage de Rokhaya utilisent ce produit. L’une d’elles s’approvisionne auprès de trois fabricantes qui vivent dans un village voisin et viennent le vendre à Sédhiou. Elles ont commencé à fabriquer le produit trois ans plus tôt, après l’avoir découvert à Kandiénou, un petit village proche de la frontière avec la Guinée-Bissau, d’où il serait originaire.
« Pour le produire, il faut piler des feuilles de tabac et deux autres plantes, le kankouran mano et le koundinding, jusqu’à obtenir une poudre. Ensuite il faut mélanger le tout, rajouter un peu d’eau et laisser reposer. Puis nous mettons le produit dans des petits sachets en plastique : c’est très rapide », détaille l’une d’elles. D’autres disent que de la soude serait aussi ajoutée.
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