Au cœur de la poésie réaliste et « facile à lire » de Julien Makaya Ndzoundou, se découvre le destin de l’homme pluridimensionnel. Une poésie limpide où le regard du poète se pose, tantôt sur le continent, tantôt sur la société des hommes, tantôt sur le sentiment névralgique que tout poète cache dans son cœur : la femme dans toute sa dimension d’Eve.
Immersion dans cet univers poétique de L’Appel du Kilimandjaro qui nous livre moult horizons.
L’histoire au service de la poésie
Fondé souvent sur les sentiments internes de l’home dont le rêve fait souvent partie du subconscient du poète, Julien Makaya Ndzoundou innove un peu le langage poétique. Il prend à témoin l’Histoire dans le rétroviseur proche et lointain du XXIè siècle. Déjà s’annonce le regard lointain et scrutateur du poète dans le texte qui ouvre le livre. L’Afrique, un monde pervers que nous révèle implicitement le poète : « Là-bas, les cancres réalisent leurs rêves / Pendant que les savants mordent la poussière / Là- bas il faut se taire pour ne pas se retrouver sous terre » (p.21). Ce lointain regard se décrit aussi à travers des souvenirs atroces telle la colonisation dont le poète ne peut se séparer de l’image-rétroviseur de son continent : « Pauvre Afrique / Peuples colonisés / Sans pitié » (p.27). Souvenir qui revient dans le subconscient du poète après avoir occulté l’univers tragique de la traite négrière qu’ont subie ses ancêtres : « Dignité bafouée / Depuis l’arrivée des négriers » (p.27). Et le poète de revivre la fin du XXè siècle encore en lui à travers l’Afrique de ses héros qui ont marqué l’histoire du continent : « Leaders zigouillés / D’Um Nyobe à Olympio / De Boganda à Lumumba (…) / De Sankara à Kabila » (p.28).
L’Afrique, chez notre poète, est partagée entre le passé lointain et le passé présent de notre histoire. Aussi, crée-t-elle un pont entre les entités historiques. Le poète situe le « présent passé » dans les pays africains qui existent encore en ce moment comme l’Algérie : « Algérie / Jeunesse révoltée / Exprimant une colère froide / Dans une extrême dignité / Fruit de sa maturité » (p.25) et le Soudan, un autre point de chute de notre regard historique : « Soudan ! / La révolte du pain / Révolution de la faim / Entraine enfin la fin soudaine » (p.41).
L’image de l’homme
L’homme dans la poésie de Julien Makaya Ndzoundou nous est peint dans un angle négatif au niveau social. Un être hypocrite quand il est au pouvoir et dont l’argent devient une obsession. Et cela se remarque pertinemment dans le poème intitulé « Le monde fou », un texte où l’homme politique est décrié : « Ils volent l’argent du peuple / Qu’ils planquent sans remords / Dans les nouvelles grottes du Nord (…) Ils consultent des féticheurs / Pour conserver leurs privilèges » (p.45). L’Homme, avec ses perversions, croit tout acheter et tout vendre malgré l’éthique morale qui lui demande de bien se comporter. Hélas, il est prêt à tout : « Tout est à vendre, tout est à acheter / Le sexe et les textes / Sont à vendre et à acheter » (p.53).
En dehors de l’homme socialement négatif, le poète nous présente quelques figures emblématiques de l’histoire politique du continent. Et cela se découvre dans le poème éponyme « L’appel du Kilimandjaro » où l’on peut lire : « De Toutânkhamon fils d’Akhnaton / À Soundiata Keita / De Félix Mounié à Mouammar Kadhafi » (p.28). Ce continent que la jeunesse, abandonnée à elle-même par ses dirigeants, veut quitter à la recherche d’un ailleurs meilleur : « Jeunesse désespérée / Tente d’immigrer / (…) Mais se retrouve enchainée / Dans le ventre du Sahara » (p.28).Mais l’image de l’homme ne peut se passer de celle de la femme, surtout dans l’imaginaire d’un poète.
La femme dans L’Appel du Kilimandjaro
Rares sont les poètes qui ne chantent pas la femme. Et Julien Makaya Ndzoundou n’échappe pas à cette hantise de la vénérer. Ici, le regard du poète sur la femme est manifeste, un regard pluriel qui commence à être attiré par la beauté noire comme on le remarque dans « Sublimations » : « Ô ! Reine Bamiléké ! / Qu’elle est provocante / Cette créature affolante / À la poitrine envoutante / Au postérieur provocant / Et au charme hypnotisant » (p.55). La femme, un être qui résume tous les paramètres qu’elle porte en elle vis-à-vis de la petitesse de l’homme qui paradoxalement ne peut exciter sans elle. Et c’est dans « Vénération » (pp.39-40) que le poète met cela en relief. Julien Makaya Ndzoundou est un amoureux « venimeux » qui n’accepte pas le côté obscur de la femme qui tue paradoxalement la beauté platonique de l’amour par son dévergondage : «Malgré la souplesse de tes fesses / Et ton charme de tigresse / Tu restes une mauvaise Prince / Puisque tu cocufies Son Altesse » (p.59). Mais il y a des femmes qui ont marqué positivement le poète dont l’image se réveille à travers une nostalgie sournoise : « Je me souviens de ce jour / (…) Quand penchée contre la porte / Tu m’embrassais avec force / Pour me dire au revoir » (p.61). Un cri de désespoir qui révèle le regret du poète de voir l’être aimé partir vers d’autres horizons ; désespoir qui ne cesse de l’habiter : « Je ne crois plus en ton amour / Malgré ton serment d’un jour / De m’aimer pour toujours / Prêté sans tambour » (p.62). Dans cette image multidimensionnelle de la femme, le poète y découvre son côté féérique et ne peut s’empêcher d’admirer cette fleur synonyme de la beauté féminine : « Elle est jolie cette fleur / Issue de la flore sauvage / Elle est destinée à Flore / Mon rêve d’aurore » (p.63).
Par les principaux thèmes que développe la poésie de Julien Makaya Ndzoundou, on constate que les poèmes s’appellent les uns les autres. Ils favorisent une lecture intertextuelle pour certains qui traitent du même thème.
Spécificité de la poésie dans L’Appel du Kilimandjaro
Il y a dans ces textes une poésie qui, parfois, se met au service du récit comme dans « La colère du père » (p.65). Ce récit ne nous rappelle-t-il pas La Chanson de Roland du Moyen Âge quand la frontière entre récit et poésie était aléatoire ? Une caractéristique de la poésie moyenâgeuse dont il a hérité la technique de la versification et de la rime comme on peut le constater dans « La colère du père ». Pendant que la plupart des poètes de la nouvelle génération essaient de naviguer dans l’hermétisme hérité de Tchicaya U Tam’Si et de la lecture de certains surréalistes, Julien Makaya Ndzoundou tend vers la limpidité de la poésie, à l’instar de Jean Pierre Makouta Mboukou avec L’Âme bleue (2). Et cette limpidité ramène le poète à la littérature orale quand, dans le poème clausule « Ainsi va la vie » (pp.71-72), il nous rappelle quelques figures de la musique congolaise.
L’Appel du Kilimandjaro, une poésie qui se lit avec délectation, loin de la gymnastique de réflexion que nous imposent certaines poésies. Ici l’auteur a évité, tant soit peu, le sentier de l’hermétisme qui, souvent demande aux lecteurs un effort d’imagination pour s’introduire dans le monde fermé de la poésie. Et son préfacier d’affirmer que « le poète [remonte] le cours de l’histoire tragique des indépendances africaines (…) et dresse [ici] un tableau reluisant de la femme »
Noël Kodia-Ramata
- JulienMakaya Ndzoundou, L’Appel du Kilimandjaro, éd. Kindle Direct Publishing, 2019
- Jean Pierre Makouta Mboukou, L’Âme bleue, éd. Clé, Yaoundé, 1971