TRIBUNE. Cette destruction récurrente des biens publics durant ces dernières années par des jeunes ne peut en aucun cas passer sans être analysée et sans poser un diagnostic puis un protocole thérapeutique préventif et curatif.
Arrêter les coupables et les punir est nécessaire dans l’immédiat mais ne représente nullement une solution radicale car ce phénomène désolant est réitérant.
Ce comportement collectif violent des jeunes n’est en réalité qu’un symptôme prodromique annonçant une gangrène sociale à venir nécessitant l’amputation. Allons-nous attendre la thrombose et la gangrène?
Par exemple, la douleur thoracique est un symptôme avant-coureur d’un éventuel infarctus, si nous nous contentons de donner uniquement des antalgiques (arrestation des délinquants), la nécrose cardiaque va se révéler tôt ou tard. En revanche, si nous poussons les analyses pour diagnostiquer la maladie, nous pourrons la soigner avant qu’il ne soit trop tard.
L’analyse de ce phénomène social récurrent de la destruction des biens publics me permet de tirer 6 leçons qui pourraient alerter les responsables de la société :
- 1-Absence de la consultation des jeunes
Ceux qui vivent en haut de la société ne vivent pas la galère et la misère de ceux qui sont en bas de l’échelle, alors comment peuvent-ils trouver des solutions adaptées aux problématiques sociales. Ce serait plus logique qu’un dialogue social soit instauré, car les solutions ne peuvent venir que de ceux qui vivent les difficultés. Les jeunes doivent être pris en compte et consultés pour l’établissement des plans sociaux, car eux seuls ont les solutions !
- 2-Méconnaissance du pouvoir de la jeunesse
La jeunesse est une réelle armée non organisée jusque là, elle fonctionne en petits groupes pour le moment. Le cerveau du jeune est d’une capacité cognitive supérieure de 100 fois à celle de l’adulte d’âge mûr et encore beaucoup plus à celle des séniors.
Il est regrettable d’écarter les jeunes dans la gouvernance sociale et de les mépriser en les considérant sans expériences et incapables.
Je suis certain que les adolescents sont plus aptes à gérer au mieux toutes les affaires sociales !
Il s’agit d’une grande erreur de penser que les jeunes s’intéressent uniquement aux fêtes et à la drogue et qu’ils se moquent du bien-être social. Tristement, c’est parce que le potentiel des jeunes est méprisé et dénigré qu’ils plongent dans l’échec scolaire, les addictions et la délinquance.
- 3-L’échec de l’éducation nationale « deux écoles, deux vitesses »
L’enseignement marocain est en agonie, car l’enseignant et les parents sont désespérés. L’enseignement privé est arrivé pour enterrer l’école marocaine. L’élève est considéré comme un bétail à engraisser avec une instruction grasse et inutile, sans prendre en compte son avis et sans le considérer comme un associé de ce grand projet social. Inutile d’évoquer l’absence de la niche sensorielle dans la pédagogie et les programmes de l’enseignement.
- 4-L’échec de l’éducation religieuse
L’enfant est asphyxié par le discours religieux totalitaire et il finit par fuir la religion à son adolescence ou au contraire dans l’immersion extrémiste. Dans les deux cas, le résultat est fâcheux pour la société. L’éducation religieuse robotise l’enfant au lieu de veiller à lui offrir une niche sensorielle.
- 5-L’injustice sociale et l’absence du sens d’appartenance à la société
Le cerveau du jeune a un sens de la justice très développé, ainsi rapidement il met le doigt sur le dysfonctionnement social et réclame une justice sociale équitable. Un enfant qui va à l’école publique car les parents n’ont pas les moyens, vit ceci comme une véritable injustice et commence à haïr la société. Lorsqu’un enfant vit dans des conditions misérables, dort dans le froid, dans quelques mètres carrés, sans pouvoir manger à sa faim, ni se faire soigner, alors que d’autres roulent sur l’or, comment voulez-vous qu’il ait le sens d’appartenance sociale et œuvre pour le bien de son pays ?
Le cerveau du jeune ne permet pas d’accepter ou d’intégrer l’injustice sociale. Celle-ci produit chez lui un stress chronique qui tôt ou tard doit être extériorisé sous forme de colère violente.
- 6-La dignité citoyenne et l’absence de la liberté individuelle
Le marocain est privé de sa liberté individuelle depuis son enfance. Il n’a ni le droit de s’exprimer librement, ni de critiquer ouvertement, prisonnier des dogmes religieux, sociaux et parentaux. À l’adolescence, il sent que sa dignité est lésée par tous les facteurs cités ci-haut, ainsi il réagit par la violence, détruisant des symboles de la tutelle.
En fait, en détruisant les biens publics, les jeunes lancent un appel au secours.
Entendrons-nous cette sirène qui retentit ? Qu’annonce-t-elle ?
Docteur Jaouad MABROUKI
Psychiatre, Chercheur, Expert en psychanalyse de la société marocaine et arabe