Pas un jour sans délestage ou coupure d’électricité
Depuis que je tente péniblement de m’installer à Brazzaville, les rares fois où j’ai pu bénéficier de l’électricité toute la journée au bureau ou à la maison sont à compter sur les doigts d’une main.
Les coupures d’électricité sont quotidiennes et d’ailleurs ce sont ces coupures d’électricité qui déterminent l’heure de mon départ du bureau. Pas d’énergie, pas de travail, pas de création de richesse donc pas de progrès ni de développement possible, tout le monde le sait et pourtant, en 54 ans d’indépendance, les problèmes fondamentaux d’énergie et de l’eau potable n’ont pas encore trouvé un début de commencement de réponse ; c’est le Bazzar total.
Un jour j’ai eu l’outrecuidance de demander au taximan qui me conduisait pourquoi il marquait un temps d’arrêt alors qu’il était sur une route droite et bien dégagée. Après m’avoir dévisagé, il comprit que j’étais nouveau dans la ville, alors il me répondit « il y avait un panneau stop avant la guerre », pas content de la réponse je lui rétorqua « et celui qui n’était pas là avant la guerre, il sait comment qu’il faut marquer un temps d’arrêt, puisqu’il n’y a rien pour le signaler ». Agacé le taximan me répondit qu’il y avait beaucoup d’endroit comme ça dans la ville et qu’en cas d’accident celui qui n’était pas là avant la guerre aura tors puisque n’ayant pas respecté le code de la route. Je failli m’étrangler de rire, mais le taximan avait l’air tellement sérieux que je fut obligé de me retenir.
En fait, bien que le code de la route congolais soit calqué sur le code de la route français, il y a cependant des spécificités sur le terrain : l’absence des panneaux de signalisation par exemple. Néanmoins il faut faire comme si ces panneaux étaient bel et bien là et tout le monde fait comme si les panneaux de signalisation étaient bien là. Le comble c’est quand des policiers sérieux vous expliquent qu’il fallait respecter un panneau qui à exister dans le passé.
Je vous l’avais dit que c’est un pays pas comme les autres, mais revenons à mon sujet du jour.Des milliards de francs CFA sont budgétisés et engloutit chaque année depuis 30 ans dans le secteur de l’énergie ; des ministres qu’on nous présentent comme des surdoués (les meilleurs de leur génération) ont occupés ou occupent le ministère de l’energie ; des partenariats ont été noués avec les grands majors de l’energie dans le monde, l’année dernière on a vu les véhicules de la société française EDF (l’un des leaders mondiaux dans le secteur) sillonnés les rues de Brazzaville pour solutionner les problèmes d’energie au Congo ; et pourtant rien n’y fait, aucun résultat visible.
En 2014, le Congo dit Brazzaville qui veut devenir pays émergent en 2025, n’est pas capable de produire de l’énergie en qualité et en quantité pour faire fonctionner un appareil électrique non-stop ; c’est cela la réalité.
Pourtant, en 2012, on avait assisté à l’inauguration en grande pompe et fanfare par les maîtres du pays de la centrale hydro-électrique d’Imboulou financée et construite par nos amis et frères chinois ; cette centrale hydro-électrique avait pour vocation de résoudre les problèmes énergétiques des habitants de la ville capitale. Certains s’étaient même hasardés à faire croire aux congolais que leur pays allait devenir exportateur d’électricité.
En fait il n’en ait rien, depuis son inauguration la centrale hydroélectrique d’Imboulou n’a jamais répondu aux attentes de ses concepteurs et encore moins de la population à cause de la corruption généralisée qui génère le manque de contrôle, les malfaçons et les erreurs de calculs entre autres ; c’est d’ailleurs le cas de toutes les édifices publics construits ou en cours de construction au Congo Bazzar.
Le charbon à bois qui accélère la déforestation reste toujours l’énergie bon marché la plus utilisée au Congo Bazzar à tel point que les dépôts à charbon installés dans tous les quartiers de Brazzaville ne désemplissent pas. Tous les jours des camions remorques rentrent dans Brazzaville, chargés à ras bord de sac de charbon à bois.
Nos frères chinois qui sont passé maître dans la construction de villes nouvelles modernes chez eux en chine, ne font que des chinoiseries au Congo Bazzar et, les populations les montrent comme les boucs émissaires de tout ce qui ne fonctionnent pas. En fait il n’en ait rien, on peut indexer les entreprises chinoises parce qu’elles ne créent pas d’emplois, mais, pour les malfaçons et il y a surtout ce qu’on appelle ici le D.E.P. et la règle non-écrite des 20% qui démolissent tous les projets de développement.
Pour ceux qui ne connaissent pas, le D.E.P. (Directeur des Etudes et de la Planification), c’est un homme puissant par lequel transite tous les appels d’offres de chaque ministère ainsi que le budget de fonctionnement. Le D.E.P. est généralement l’homme de confiance et le fusible du ministre pour tout ce qui concerne les affaires financières et de gestion de budget. Au Congo Brazzar, tous les D.E.P. sont des frères de ministre, des cousins ou des parents très proches du ministre.
La règle non-écrite des 20% oblige chaque opérateur économique et chaque entreprise à qui on octroie un marché public de rétrocéder 20% du montant total du marché au ministre par l’intermédiaire du D.E.P. sans cela, l’entrepreneur ou l’entreprise n’obtient pas le marché. Dans tous les appels d’offres au Congo Bazzar les dés sont pipés d’avance car même si vous avez la meilleure offre au meilleur coût, il faut accepter la règle des 20%, à moins d’avoir un « Morabissi » ou un facilitateur efficace ou très influent.
Tous les projets réalisés ou en cours de réalisation obéissent à cette règle et sont donc de fait amputé des moyens financiers nécessaires à leurs bonnes exécutions ; c’est pour cela que bien souvent l’opérateur se rabat sur des matériaux moins couteux. Nos frères chinois sont donc accusés à tors car les congolais et leurs autorités sont passés maitres dans l’art du camouflage et du détournement des règles.
C’est aussi la raison pour laquelle la ville capitale est l’une des villes les plus sales du monde malgré trois municipalisations accélérées, et qu’aucune de cette aberration de « municipalisation accélérée » n’a apporté un semblant de mieux être aux populations.
Tenez, l’hôpital de Louandjili est déjà en phase de réhabilitation moins de 20 ans après son inauguration, la nationale N° 1 Pointe-Noire – Brazzaville qui ne sera jamais terminer dans 10 ans à l’allure où vont les travaux est devenu un mouroir sur le tronçon Pointe-Noire – Dolisie, La centrale électrique d’Imbolou aurait déjà 3 turbines hors services à peine inauguré etc…; on peut continuer pendant des heures à égrener le catalogue des choses qui ne fonctionnent pas au Congo Bazzar.
Il paraît que aujourd’hui c’est mieux qu’avant me disent certaines personnes qui voient des changements là il n’y a que de la crasse et du bricolage. Dans les années passées me dit-on, la ville de Brazzaville restait plongée dans le noir des semaines entières, ouf ! Je n’ose y penser, je serais donc arrivée au bon moment dans la ville.
Alors je pose des questions idiotes, on fait comment dans les hôpitaux sans électricité car généralement l’électricité disparaît en même temps que l’eau. Réponse : Les groupes électrogènes pour les urgences seulement, pour la morgue par exemple on laisse pourrir les cadavres ou alors il faut enterrer au plus vite ce que moi même j’avais été contraint de faire lors de la mort de ma fille dans un taxi, faute d’ambulance médicalisé. Drôle de pays, je vous l’avais dit que c’est un drôle de pays.
Les rumeurs de sécheresse ou de pénurie d’eau sont récurrentes à Brazzaville, une véritable psychose dans les têtes des gens, ça ne sera pas la première fois de l’année. Dans ce pays la rumeur précède toujours l’information, à l’ère d’internet et du téléphone portable, le bouche à oreille et le tam-tam africain sont souvent les meilleurs vecteurs de l’information, et pourtant, les moyens existent pour informer officiellement les populations.
Comme quoi, n’est pas moderne qui veut, le développement ou l’industrialisation ne se décrète pas. L’émergeance non plus. Derrière les belles cravates et les valises de diplômes se cachent souvent des hommes de Neandertal qui n’ont jamais quitté l’ère de la guerre du feu et se contentent de la médiocrité.