Les cas de violence et de harcèlement liés au travail ont augmenté pendant la crise du Covid-19
La violence et le harcèlement au travail constituent une menace importante et persistante pour la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi que pour la productivité et la réputation des organisations, a souligné l’Organisation internationale du travail (OIT) dans un récent rapport. Intitulé «Des milieux de travail sûrs et sains, exempts de violence et de harcèlement», le document examine la prévention de ce phénomène à travers les cadres de sécurité et de santé au travail (SST). Il étudie « spécifiquement comment la violence et le harcèlement peuvent être gérés à l’aide de mesures de SST, parmi lesquelles des cadres réglementaires, des politiques et des programmes relatifs à la SST, ainsi que des systèmes de gestion de la SST améliorés, fait savoir l’organisation », indique le rapport publié la semaine dernière. Pour Manal Azzi, spécialiste principale santé et sécurité au travail, la violence et le harcèlement dans le monde du travail constituent un problème tenace et pernicieux. En plus de faire fi des frontières nationales, des conditions économiques et sociales, des différents secteurs et des régimes de travail, ce phénomène « se manifeste entre collègues, entre les cadres et leurs subordonné(e)s ou encore entre les employé(e)s et les clients ou le grand public, constituant ainsi une menace pour la santé et la sécurité des personnes qui en sont victimes », note-t-elle dans un éditorial signé le jour même de la présentation du rapport. Mais il y a plus inquiétant, c’est qu’il existe des signes qui montrent que les cas de violence et de harcèlement liés au travail ont augmenté pendant cette crise. En effet, « pendant la crise sanitaire que nous traversons actuellement, les cas de violence et de harcèlement semblent être en augmentation », fait-elle remarquer. Selon cette spécialiste, « les restrictions sans précédent qui ont été imposées à la population durant la pandémie ont accentué les niveaux de stress. Dans certains cas, la violence et le harcèlement ont touché les personnes employées dans les secteurs essentiels comme le personnel de santé et d’autres catégories se trouvant elles aussi en première ligne de la pandémie », explique-t-elle. Il est important de noter que « la violence et le harcèlement au travail constituent un phénomène complexe aux facettes multiples qui implique de multiples acteurs », fait savoir ledit rapport. Comme l’avait relevé l’agence onusienne en 2004 : les acteurs principaux englobent généralement les auteurs (présumés) (personnes qui se livrent à la violence et au harcèlement sur le lieu de travail), les victimes (travailleurs, employeurs ou autres personnes du monde du travail qui sont l’objet de violence et de harcèlement sur le lieu de travail) et les spectateurs/témoins éventuels. En outre, selon le nouveau rapport, de nombreux facteurs contribuent à la violence et au harcèlement au travail, parmi lesquels les dangers psychosociaux et le stress au travail. Parmi les risques psychosociaux clés et corrélés qui conduisent au stress lié au travail (augmentant donc le risque de violence et de harcèlement), mènent directement à des situations de violence et de harcèlement ou sont eux-mêmes des manifestations du harcèlement figurent notamment: les exigences du travail, le contrôle sur le travail, la conception des tâches, la clarté des rôles, les relations sur le lieu de travail, les styles de direction, la justice organisationnelle, la gestion du changement organisationnel et l’environnement de travail physique. Dans son rapport, l’OIT estime que « la violence et le harcèlement au travail causent du tort à tout le monde, et pas seulement à leurs cibles immédiates. Parmi les autres «victimes» potentielles, l’organisation cite les collègues de travail, les membres de la famille, les amis, les patients et les clients. D’après les auteurs du rapport, « la violence et le harcèlement sur le lieu de travail peuvent finir par nuire à la santé, au bien-être et à la dignité d’une personne mais aussi, entretemps, avoir des effets néfastes sur sa situation au travail ». A savoir : manipulation de sa réputation, isolement, rétention d’informations nécessaires à l’accomplissement de ses tâches, attribution de tâches incompatibles avec ses capacités ou fixation d’objectifs et de délais irréalistes, refus de possibilités de formation, de visibilité professionnelle, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de licenciement, de recrutement, de rémunération, de qualification, de reclassement, etc. C’est dire que « c’est le moment ou jamais d’identifier et de lutter contre les causes et les différents aspects de la violence et du harcèlement liés au travail », comme le suggère Manal Azzi dans son texte. Alain Bouithy
De nouveaux problèmes de sécurité et de santé émergent avec les changements au travail
Les changements dans les pratiques de travail, la démographie, la technologie et l’environnement créent de nouvelles préoccupations pour la sécurité et la santé au travail (SST), d’après le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail. On trouve parmi des défis grandissants les risques psychosociaux, le stress lié au travail et les maladies non transmissibles, notamment les maladies circulatoires et respiratoires, ainsi que les cancers. Ce rapport, La sécurité et la santé au cœur de l’avenir du travail: Mettre à profit 100 ans d’expérience * , est publié en prologue à la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail , célébrée le 28 avril. Il passe en revue les cent ans de travail de l’OIT sur les questions de SST, et souligne les problèmes émergents. Chaque année, plus de 374 millions de personnes sont blessées ou tombent malade dans des accidents liés au travail. Le rapport estime que le coût des journées de travail perdues pour des motifs liés à la SST représente près de 4 pour cent du PIB mondial, et dans certains pays, jusqu’à 6 pour cent du PIB. «La prévention des risques établis devient plus efficace, mais nous observons de profonds changements dans nos lieux de travail et nos modalités de travail. Il faut que les structures de sécurité et de santé en tiennent compte, avec une culture générale de prévention pour créer une responsabilité partagée», déclare Manal Azzi, expert technique de l’OIT en matière de sécurité et santé au travail. Pour ce qui est de l’avenir, le rapport évoque quatre grands axes de changement, tout en soulignant qu’ils présentent aussi des opportunités d’amélioration. Tout d’abord, la technologie comme la numérisation, la robotique, et les nanotechnologies, peuvent avoir une incidence sur la santé psychosociale et introduire de nouveaux matériaux dont on n’a pas mesuré les risques pour la santé. Ces technologies, si elles sont correctement appliquées, peuvent aussi contribuer à réduire l’exposition aux risques, faciliter la formation et les inspections du travail. Les changements démographiques sont importants car les jeunes travailleurs ont des taux de blessures professionnelles significativement plus élevés, alors que les travailleurs plus âgés ont besoin de pratiques et d’équipement leur permettant de s’adapter pour travailler en sécurité. Les femmes – qui sont de plus en plus nombreuses dans la main d’œuvre – sont plus susceptibles d’avoir des emplois atypiques et sont plus sujettes aux risques de désordres musculo squelettiques. Troisièmement, le développement et le changement climatique augmentent les risques d’exposition à la pollution atmosphérique, au stress thermique, aux maladies émergentes; les brusques modifications de la météo et des températures peuvent entraîner des pertes d’emploi. Par ailleurs, le développement durable et l’économie verte vont créer de nouveaux emplois. Enfin, les modifications de l’organisation du travail peuvent apporter une flexibilité qui permet à plus de personnes d’entrer sur le marché du travail, mais peuvent également induire des problèmes psychosociaux (par exemple l’insécurité, l’empiètement sur la vie privée et les temps de repos, ou l’inadéquation de la protection sociale et de la SST) et une durée du travail excessive. Actuellement, la durée du travail d’environ 36 pour cent de la population active mondiale est excessive (plus de 48 heures par semaine). Face à ces défis, cette étude propose aux décideurs politiques et aux autres parties prenantes de se concentrer sur six domaines. Parmi eux, les travaux sur l’anticipation des nouveaux risques SST émergents, l’adoption d’une approche pluridisciplinaire et le renforcement des liens avec les travaux sur la santé publique. Il est aussi nécessaire de mieux faire comprendre au public les questions de SST. Enfin, il convient de renforcer les normes internationales du travail et les législations nationales, ce qui requiert le renforcement de la coopération entre gouvernements, travailleurs et employeurs. Actuellement, et de très loin, la plus grande part des décès liées au travail – 86 pour cent – provient des maladies. Environ 6 500 personnes décèdent par jour de maladies professionnelles, comparés aux 1 000 décès suite à des accidents du travail. Les causes les plus fréquentes de mortalité sont les maladies circulatoires (31 pour cent), les cancers liés au travail (26 pour cent) et les maladies respiratoires (17 pour cent). «Tout autant que le coût économique de ces maladies et accidents, nous devons reconnaître l’incommensurable souffrance humaine qu’ils apportent. Ils sont d’autant plus tragiques qu’on peut dans une large mesure les éviter», déclare Azzi. «Il faudrait également se pencher sérieusement sur la recommandation de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail , de reconnaître la sécurité et la santé au travail comme un principe et un droit fondamental au travail.»
Le plafond de verre : L’OIT évalue les facteurs qui empêchent l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail
Quelles sont les causes des inégalités hommes-femmes sur le marché du travail? Pour réponde à cette sempiternelle question, l’Organisation internationale du travail (OIT) a mené une étude qui évalue dans quelle mesure les préférences personnelles, les contraintes socio-économiques et le conformisme traditionnel déterminent les inégalités hommes-femmes sur le marché du travail. Mais avant de décrypter les causes de ces disparités, l’agence onusienne a d’abord posé le constat. C’est qu’à l’échelle mondiale, « les femmes ont nettement moins de possibilités que les hommes d’accéder au marché du travail et, une fois qu’elles font partie de la population active, elles ont également moins de chances de trouver un emploi que les hommes », a-t-elle souligné. En effet, malgré les progrès considérables accomplis en vue de parvenir à l’égalité hommes-femmes dans le monde du travail, leurs possibilités d’accéder à des emplois de qualité demeurent limitées. Et pour cause, certains facteurs semblent empêcher ce phénomène de prendre de l’ampleur, a déploré l’OIT. Pourtant, comme l’a souligné le rapport « Emploi et questions sociales dans le monde – Tendances pour les femmes 2017 », dans l’ensemble, les femmes tendent, par exemple, à effectuer davantage d’heures que les hommes, qu’il s’agisse d’un travail rémunéré ou non. Ce n’est pas tout. « Lorsqu’elles occupent un emploi rémunéré, les femmes effectuent en moyenne moins d’heures que les hommes en échange d’une rémunération ou d’un bénéfice, soit parce qu’elles choisissent de travailler à temps partiel, soit parce que le travail à temps partiel est la seule option qui s’offre à elles », a aussi rappelé l’OIT. Selon ce document, qui se fonde sur des données provenant de l’«enquête OIT-Gallup de 2016», ces disparités entre les sexes persistent alors que la plupart des femmes dans le monde préfèreraient exercer une activité rémunérée, ce qui montre bien que leurs choix sont limités par un certain nombre de facteurs. L’étude, qui a porté sur 142 pays, a ainsi permis d’établir cinq principaux faits. Elle a révélé que « le fait d’être mariée ou en concubinage réduit la probabilité qu’a une femme d’accéder au marché du travail dans les pays émergents et les pays développés, ainsi que dans les Etats arabes et les pays d’Afrique du Nord ». Les économistes de l’OIT ont toutefois noté que l’effet est inversé dans les pays en développement où le mariage et le concubinage ont un effet positif sur le taux d’activité des femmes (3,3 points de pourcentage). Autre enseignement, les femmes qui vivent dans une pauvreté extrême ont plus tendance à occuper un emploi, quelles que soient les règles qui régissent traditionnellement les relations hommes-femmes. Selon les analystes de l’agence, la probabilité que les femmes exercent une activité augmente de 7,8% dans les pays en développement, contre 6,4% dans les pays émergents. Ces derniers ont également observé que « dans les Etats arabes et les pays d’Afrique du Nord, deux régions où les écarts en termes de taux d’activité sont les plus marqués, cette probabilité augmente encore davantage, avec 12,9% ». L’étude s’est également focalisée sur l’absence de services abordables de garde d’enfants ou d’aide familiale qui influe négativement sur le taux d’activité des femmes à l’échelle mondiale. C’est notamment le cas dans les Etats arabes et les pays d’Afrique du Nord où « cette situation réduit de 6,2 points de pourcentage la probabilité que les femmes occupent un emploi, contre 4,8 points de pourcentage dans les pays en développement, et 4 points de pourcentage dans les pays développés », ont relevé les experts de l’OIT. Toutefois, ils ont assuré que le fait d’avoir des enfants aurait un faible effet négatif, donc peu significatif, sur le taux d’activité des femmes, soulignant que dans les pays en développement, cet effet est même légèrement positif (0,7 point de pourcentage). Que l’on n’y pense pas ou peu, l’OIT est catégorique : «L’accès limité à des moyens de transport sûrs est le problème majeur auquel sont confrontées les femmes des pays en développement qui souhaitent travailler ». A en croire l’organisation, il réduirait leur possibilité d’accès à l’emploi de 15,5 points de pourcentage. Enfin, l’enquête s’est aussi intéressée à la religion qui incarne, selon l’OIT, un système de valeurs complexe s’appliquant également aux rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes. Sur ce point, le principal enseignement est que « dans les pays en développement, la probabilité que les femmes exercent un emploi est sensiblement réduite par la religion, un indicateur indirect des règles plus restrictives qui régissent traditionnellement les relations hommes-femmes ». Selon l’OIT, les résultats sont mitigés dans les pays développés et les pays émergents, précisant que « dans certains cas, l’effet sera positif; dans d’autres, négatif ». En conclusion, l’agence onusienne a estimé qu’il est nécessaire d’adopter une approche globale destinée à faire face à la multitude d’enjeux pour que les femmes puissent pleinement s’émanciper économiquement.
Appel à un travail fondé sur des considérations d’humanité, de justice sociale et de paix
Le dialogue social est un atout pour façonner l’avenir du travail que nous voulons, a soutenu l’OIT «L’avenir du travail doit se fonder sur des considérations d’humanité, de justice sociale et de paix. Sinon, nous nous dirigerons vers un avenir sombre, un avenir dangereux», a déclaré Guy Ryder, le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT). Le patron de l’agence onusienne s’est exprimé ainsi à l’issue d’un colloque de deux jours sur l’avenir du travail tenu récemment au siège de l’OIT à Genève (Suisse). «Nous devons maintenant traduire nos réflexions en résultats concrets», a-t-il lancé à l’auditoire lors de cette manifestation à laquelle ont participé plus de 700 personnes dont d’éminents économistes et universitaires, des représentants des gouvernements et des partenaires sociaux (organisations d’employeurs et de travailleurs). Dans son mot, le DG de l’OIT a aussi attiré l’attention des participants sur le fait que «nous devons répondre aux préoccupations de ces jeunes qui se demandent s’il existe un avenir du travail pour eux». A propos des jeunes, notons que dans le cadre de ce colloque, une session spéciale a été consacrée à la manière de façonner l’avenir du travail pour ceux-ci, à travers le thème : «Comment les jeunes d’aujourd’hui perçoivent le travail de demain et comment ils participeront à l’édification de l’avenir que nous voulons». Au cours de cette table ronde, les participants se sont ainsi intéressés particulièrement à la transition vers la vie active, à l’organisation du monde du travail et à sa réglementation. Considérés comme le moteur de l’économie et de la société, «les jeunes d’aujourd’hui représentent la prochaine génération qui assurera l’intendance de notre planète», a soutenu l’OIT. Dans une note publiée avant la tenue cette rencontre, l’organisation rappelait aussi que ces derniers «représentent les futurs dirigeants de nos gouvernements et des organisations d’employeurs et de travailleurs». Par conséquent, ils ont un rôle important à jouer dans la discussion sur la façon dont l’avenir qui doit être le nôtre en tant que société doit être modelé», pouvait-on lire sur le site officiel de l’agence. Si l’avenir du travail est un enjeu mondial qui mérite une réponse mondiale, Guy Ryder a rappelé à l’auditoire que cela supposait aussi de «prendre en considération la diversité des situations» des 187 Etats membres de l’organisation, rappelant à l’occasion la nécessité de tous de partager leurs expériences respectives. Au cours de son intervention, le directeur général de l’OIT a souligné, par ailleurs, la nécessité de promouvoir l’innovation et le développement tout en préservant les objectifs sociaux de l’Organisation. A noter que de milliers d’internautes ont participé via Internet et les réseaux sociaux à ce colloque organisés sur le thème «Le dialogue global: l’avenir du travail que nous voulons». Pour rappel, l’OIT est instance tripartite qui rassemble les gouvernements, les syndicats et le patronat.