Plus d’un million de Marocains pourraient rejoindre les rangs des pauvres cette année
En raison de la crise économique et sociale déclenchée par le Covid-19, la proportion de personnes « vulnérables à la pauvreté » et/ou « pauvres » pourrait passer de 17,1% de la population en 2019 à environ 19,87% en 2020, soit 1,058 million de personnes additionnelles, ont prévenu le Haut-commissariat au plan (HCP), le Système des Nations unies au Maroc (SNU) et la Banque mondiale (BM). Dans une « Note stratégique » sur l’impact économique et social de la pandémie du Covid-19 au Maroc, ces trois institutions expliquent que « l’impact socioéconomique de la crise sera sans doute ressenti en premier lieu et durement par les travailleurs du secteur informel qui représentent une grande majorité des marocains actifs ». Selon ce document dont nous avons présenté les grandes lignes dans notre édition de la veille, l’impact sera aussi ressenti par les populations étrangères (migrants, réfugiés) et les travailleurs employés dans des secteurs particulièrement vulnérables à la crise, comme le secteur du tourisme ou des transports, la vente au détail, ou encore la « gig économie ». Ainsi que par tous ceux dont le travail ne peut pas se faire à distance.Pour les auteurs de ce rapport, la crise risque d’affecter négativement l’emploi dans de multiples secteurs économiques, en raison de leurs interconnections (ex. tourisme et agriculture) avec également des implications en matière de sécurité sociale, d’égalité de genre, d’environnement, et de stabilité macroéconomique. Soulignons que ce rapport vise « à approfondir la compréhension de l’impact socio-économique de la pandémie du Covid-19 au Maroc à travers une approche unique, inclusive et collaborative et formuler des recommandations stratégiques basées sur des données fiables afin que personne ne soit laissé pour compte », explique-t-on dans ce document qui passe aussi en revue les principales mesures mises en place au Maroc contre l’évolution de la pandémie. Et de rappeler, par la même occasion, la mise en place du Fonds national Covid-19 et du Comité de veille économique (CVE) dont on a pu apprécier les actions depuis quelques mois déjà. Pour les auteurs dudit rapport, s’il est nécessaire d’accorder une attention particulière aux plus vulnérables, « le Maroc, à l’instar de nombreux autres pays dans le monde, peut tirer des enseignements de la mise en place en 1983-84 de programmes d’ajustement structurel (PAS), dont l’impact négatif sur les secteurs sociaux a demandé un effort de plus de 30 ans pour tenter de réduire les inégalités engendrées ». Parce qu’elle revêt un caractère unique et exigera probablement une réallocation des ressources financières, ils attirent l’attention sur le fait que « la crise actuelle remet également en question la viabilité et la priorité des réformes positives engagées par le pays sur le plan social ». Ainsi, « le renforcement de la protection sociale semble alors être une réponse appropriée et viable aux impacts négatifs du Covid-19 sur les populations vulnérables opérant dans les différents segments de l’économie marocaine », peut-on lire dans cette note tripartite. La même source rappelle, par ailleurs, que la vulnérabilité des populations face à la crise concerne également l’accès aux services de base, en particulier la santé et l’éducation. Se référant à l’Unicef, elle ajoute : la priorité donnée au Covid-19 dans la réponse sanitaire peut affecter négativement l’accès aux soins de santé réguliers et primaires (vaccination, suivi de grossesse, etc.) ou encore la continuité de l’enseignement. Etant donné que le choc sanitaire induit par la crise a impacté directement le marché du travail et que les travailleurs informels sont plus vulnérables à l’appauvrissement et aux maladies, le document estime important « d’examiner les impacts de la crise sur le chômage, le sous-emploi, la pauvreté au travail ». Mais pas que. Il importe aussi d’évaluer l’impact différencié sur les groupes vulnérables comme les travailleurs indépendants, les travailleurs non-protégés et les personnes occupant des formes d’emplois atypiques, urbains et ruraux, notamment les jeunes et les femmes. Notons à ce propos que l’OIT plaide pour qu’une attention particulière soit accordée au Code du travail et aux protections proposées selon plusieurs points d’interventions (sectorielles, intersectorielles et générationnelles) pour protéger les personnes, réformer les modes de travail, réduire les inégalités, augmenter les filets de sécurité et favoriser la résilience. La « Note stratégique » soutient également qu’une réponse inclusive doit aussi répondre aux besoins particuliers des migrants et des réfugiés, rappelant qu’au Maroc, « la population enregistrée dans la base de données du HCR est, au 31 mai 2020, de 11.149 personnes dont 3.843 demandeurs d’asile et 7.306 réfugiés ayant besoin d’une protection ». Pour le HCP, le SNU et la BM, « l’inclusion de ces populations dans les réponses nationales est primordiale pour soutenir leur résilience face à cette situation de crise, et ce dans l’optique de ne laisser personne pour compte en conformité avec la réalisation des ODD ». Etant donné que « la crise risque d’aggraver les inégalités de genre », ces trois institutions jugent, par ailleurs, primordial de tenir compte des vulnérabilités spécifiques des femmes et d’engager celles-ci dans la réponse à la crise. La note rappelle que les femmes sont plus exposées aux risques de la crise et ont également des besoins spécifiques de protection sanitaire et médicale qui ne sont pas toujours satisfaits, notamment l’équipement, la sécurité psychologique et un environnement de travail adapté. Restons sur ce point pour ajouter qu’au Maroc, les femmes représentent 57% du personnel médical, 66% du personnel paramédical et 64% des fonctionnaires du secteur social. Par ailleurs, si la résilience communautaire dépend en grande partie des femmes, le rapport estime que le dialogue communautaire devrait être renforcé pour inclure les voix des femmes dans la recherche d’une réponse à la crise, estime l’agence. Soulignons que les auteurs de ce précieux document ont formulé cinq recommandations dont la première plaide pour l’élaboration d’un nouveau modèle d’équilibre économique et de développement durable, aligné sur la réalisation des ODD et appuyé par un suivi des indicateurs déjà disponibles. Concernant la deuxième recommandation, le HCP, le SNU et la BM proposent d’innover dans la collecte et l’analyse des données