La Tunisienne Ouided Bouchamaoui: « Ce n’est pas par l’aide que l’Afrique se développera »

La Tunisienne Ouided Bouchamaoui: « Ce n’est pas par l’aide que l’Afrique se développera »

Les mots sont pesés, la conviction martelée d’une voix calme et posée. La Tunisienne Ouided Bouchamaoui, ancienne présidente de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), s’est livrée, lundi 22 janvier 2018 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, à un vibrant plaidoyer en faveur de la coopération interafricaine. Invitée du cycle de conférences Eminent Speakers de la Banque africaine de développement, Ouided Bouchamaoui, dont la structure a reçu en 2015 avec trois autres organisations tunisiennes le prix Nobel de la paix, a dressé un état des lieux peu reluisant des échanges entre les Etats africains, exhortant à la mobilisation générale pour inverser la tendance actuelle. Devant un auditoire majoritairement composé d’étudiants, l’économiste en chef de la Banque africaine de développement, Célestin Monga, a loué le parcours de Ouided Bouchamaoui, mettant en avant la contribution inestimable de son organisation patronale à la transition politique apaisée en Tunisie. « Le président Adesina, empêché par des contraintes d’agenda, n’a pu être ici présent, mais il m’a chargé de vous transmettre toute son amitié et son admiration. Pour nous, à la Banque africaine de développement, vous recevoir pour notre programme phare est un honneur », a affirmé M. Monga, vice-président de la Banque en charge de la Gouvernance économique et de la gestion des savoirs. « Vous êtes, a-t-il ajouté, une femme formidable qui a hérité de son père, comme ses trois autres sœurs, du sens des affaires. Vous avez su concilier la réussite entrepreneuriale et l’attention pour le petit peuple. Fait assez rare dans le monde des affaires. » Selon Ouided Bouchamaoui, qui s’exprimait pour la première fois depuis l’attribution du prix Nobel à UTICA sur le continent et à l’invitation d’une institution africaine, l’Afrique a tout à gagner dans l’accélération de la coopération interafricaine. « Les échanges entre pays africains avoisinent un taux de 10 %, contre par exemple 50 % à l’intérieur de l’Europe. Ce taux reste relativement faible », a déploré l’ancienne présidente d’UTICA dont la conférence s’intitulait « Coopération africaine : rêve ou réalité ? ». Pour la colauréate du prix Nobel de la paix, la jeunesse est un véritable atout dont l’Afrique pourrait se servir pour accélérer la coopération entre les Etats du continent. « L’Afrique, c’est d’abord une démographie hors norme avec 70 % de jeunes de moins de 25 ans. L’Afrique, c’est aussi un continent qui atteindra 2,5 milliards d’habitants en 2025 dont la moitié aura moins de 25 ans. Tout cela plaide en faveur d’une coopération qui demeure largement sous-exploitée et qui nécessite la préparation d’un terrain favorable », a estimé celle qui a été élue meilleure femme d’affaires du monde arabe en 2013. Outre les aspects économiques, la coopération interafricaine qu’elle défend s’appuie sur les échanges universitaires, la formation professionnelle, la technologie et la recherche scientifique. « Il faut investir dans la jeunesse qui portera les projets d’avenir. Il faut d’abord former activement et massivement les jeunes et miser sur les compétences d’avenir. En lien avec la mobilité, je propose un programme Erasmus (NDLR : un système d’échanges d’étudiants entre pays européens qui connaît un énorme succès depuis son lancement en 1987) à l’échelle africaine, en mobilisant un réseau de meilleures universités et écoles de chaque pays africain qui serait prêt à y adhérer », a soutenu la colauréate du prix Nobel de la paix 2015. Et d’ajouter : « Ces actions concerneront aussi bien les diplômes de master, les doctorats d’excellence ainsi que le niveau licence de l’enseignement supérieur et les séjours de professeurs. Elles créent des opportunités de formation, de stages, et offrent une motivation aux jeunes, notamment pour les spécialités peu ou pas développées dans leur pays ». Autre pilier de la nouvelle coopération interafricaine prônée par Ouided Bouchamaoui, le numérique qui, selon elle, peut constituer un outil formidable pour agréger les initiatives, fédérer les énergies et construire des ponts d’éducation innovants pour les étudiants africains. « Introduire une dimension digitale dans les politiques publiques prioritaires est à même d’accélérer la mise en place de l’Afrique digitale, notamment à destination des entreprises et des établissements de formation. Ces dernières années, les success stories se multiplient et il en ressort que le potentiel est incontestable », a fait remarquer une des femmes africaines les plus influentes. « Les grands acteurs ont, a-t-elle poursuivi, les yeux braqués sur l’Afrique, bluffés par l’inventivité des Africains devenus incontournables en la matière. Le retard accusé par l’Afrique doit être perçu comme une opportunité pour un rattrapage accéléré et pour tirer profit directement des dernières technologies. »   « Le rythme auquel l’Afrique pourra construire les infrastructures et former les enseignants sera toujours en retard sur le flux croissant de nouveaux étudiants. Les Massive open online course (MOOC, Cours en ligne ouverts et massifs) sont une innovation technologique dont le continent doit se préparer à tirer profit pour répondre au double défi de l’explosion de la demande et de l’inégalité d’accès à l’enseignement », a poursuivi Ouided Bouchamaoui. Elle estime toutefois que même si toutes les conditions énumérées étaient remplies, la coopération interafricaine n’aura de chance de prospérer que si les Africains se connaissent mieux entre eux. « Tous les regards se dirigent vers l’Afrique, mais je ne suis pas encore certaine que l’Afrique se regarde comme il faudrait de l’intérieur. On ne se regarde pas assez, et on ne se connaît peut-être pas assez », a regretté la colauréate du prix Nobel de la paix 2015. « Le travail à réaliser reste important, travaillons ensemble pour faire de la coopération interafricaine une réalité », a-t-elle encore plaidé. Les propos liminaires de la femme d’affaires tunisienne devenue, en 2016, membre de la Fondation Business for Peace et de la Fondation Culture de la paix, ont suscité un vif intérêt de l’auditoire qui n’a pas hésité à réagir, qui pour commenter tel aspect de son argumentaire, qui pour poser des questions auxquelles elle a répondu avec clarté. Avec CP