Congo. Dibakana Mankessi, lauréat du 6e Prix Orange du Livre en Afrique

Congo. Dibakana Mankessi, lauréat du 6e Prix Orange du Livre en Afrique

LIVRE. La proclamation du lauréat a eu lieu samedi 18 mai au Salon international de l’édition et du livre de Rabat (Maroc), où étaient invités les 5 finalistes à présenter leur livre. Depuis 2019, le Prix Orange du Livre en Afrique œuvre pour la promotion des talents littéraires africains et de l’édition localeafricaine. Pour cette 6e édition, 39 romans ont été proposés par 27 maisons d’édition basées dans 15 pays d’Afrique francophone. Une première sélection de 5 romans avait été faite par 6 comités de lecture réunissant une centaine de lecteurs issus de 15 pays africains. Un jury international présidé par Véronique Tadjo Le jury s’est réuni à l’Académie du Royaume du Maroc pour sélectionner le lauréat parmi les 5 romans sélectionnés par les comités de lecture. Présidé par Véronique Tadjo (autrice, poète et artiste), le jury est composé de personnalités issues du milieu littéraire : Yvan Amar (La danse des mots, RFI), Kidi Bebey (journaliste Le Monde, éditrice et autrice), Yahia Belaskri (écrivain, journaliste co-fondateur de la Revue Apulée, Eugène Ebodé (écrivain, administrateur de la chaire des arts et littérature africaine à l’Académie du Royaume duMaroc), Prudientienne Houngnibo Gbaguidi (présidente de l’association des libraires du Bénin, vice-présidente de l’Association internationale des librairies francophones), Valérie Marin La Meslée (journaliste Le Point), Nicolas Michel (rédacteur en chef adjoint Jeune Afrique), Nétonon Noël Ndjékéry (auteur), Gabriel Mwènè Okoundji (psychologue et poète), Ariane Poissonnier (autrice et journaliste RFI) et Michèle Rakotoson (autrice et lauréate POLA 2023). Le choix du jury s’est porté sur Le Psychanalyste de Brazzaville de Dibakana Mankessi publié par les éditions « Les lettres mouchetées » au Congo Brazzaville. Le jury a distingué un roman historique mêlant personnages réels et fictifs, qui fait revivre le début de l’indépendance du Congo. Véronique Tadjo et les membres du jury ont souligné « par son dispositif original et bien construit, ce roman entraine les lecteurs dans le tourbillon et les soubresauts d’une époque troublée qui sera déterminante pour l’ensemble du continent. » La naissance d’une nouvelle Afrique Inspiré de faits réels, le roman de Dibakana Mankessi nous plonge dans le Brazzaville des années soixante. Il est organisé autour de trois personnages : Kaya, le psychanalyste qui accueille les figures les plus importantes de la ville ; Massolo, sa gouvernante, belle, séductrice, manipulable ; Ibogo, l’étudiant idéaliste qui devient un milicien assoiffé de sang. En toile de fond, les soubresauts d’une ville en plein essor, épicentre d’un pays à peine sorti de la colonisation… Essayiste, romancier et sociologue, Dibakana Mankessi est originaire du Congo-Brazzaville. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages. Le psychanalyste de Brazzaville est son troisième roman. Le jury a tenu également à souligner l’originalité et la force de l’écriture du roman Percussions du jeune auteur camerounais Angelo Bayock, publié aux éditions La Croisée des chemins, Maroc. Dibakana Mankessi succède à Michèle Rakotoson, lauréate 2023 pour son roman Ambatomanga, le silence et la douleur (L’atelier des nomades). Il recevra une dotation de 10 000 euros et bénéficiera d’une campagne de promotion de son ouvrage. Dans le cadre du Salon (SIEL), les éditeurs finalistes ont pu bénéficier d’ateliers de professionnalisation, soutenus par la Fondation Orange et coordonnés par l’Alliance Internationale des Editeurs Indépendants. Les quatre autres finalistes étaient :

« Le Psychanalyste de Brazzaville », de Dibakana Mankessi : une réjouissante relecture de l’histoire du Congo

L’écrivain et sociologue Dibakana Mankessi a choisi un angle particulièrement accrocheur pour incarner l’agitation politique qui a secoué son pays, la République du Congo, nouvellement indépendant dans les années 1960. Le Psychanalyste de Brazzaville, son troisième roman, donne en effet la parole à une kyrielle de personnages, hommes et femmes, inconnus et célébrités, Africains comme Européens, désireux de trouver des réponses aux problèmes psychiques qu’ils traversent durant cette période. Tous se succèdent et se livrent en confiance sur le divan du docteur Kaya, un ancien généraliste hospitalier qui s’est formé à la psychanalyse avant d’ouvrir l’unique cabinet de thérapie freudienne de la capitale congolaise. M. Kaya a vécu enfant auprès d’un père sourd et muet que son handicap rendait coléreux et violent. Devenu professionnel de l’écoute, il offre à ses patients les conditions d’une parole libre dans un cadre apaisé et dénué de jugement, tout en s’exprimant pour lui-même dans un journal de bord où il consigne ses rêves et réflexions sur la vie quotidienne ainsi que ses notes professionnelles… Lire la suite sur Lemonde.fr

La brève histoire de ma mère1 de Dibakana Mankessi : un roman congolais écrit en français

La brève histoire de ma mère1 de Dibakana Mankessi : un roman congolais écrit en français

Le deuxième roman de Dibanaka Mankessi se présente comme un puzzle dont les pièces maîtresses sont respectivement les personnages de Mâ Mado, sa fille qui rapporte son histoire et Délé. Et l’épicentre du récit est Mâ Mado avec les deux hommes, Kitoko et Petit Falacé qui l’ont accompagnée dans sa vie. Son mari Kitoko sera à l’origine de la mort qu’elle sollicite quand, assez âgée, elle comprend que ses enfants peuvent se prendre en charge sans problème. Mâ Mado, un destin exceptionnel qui entre en porte-à-faux avec le commun des mortels. Sa mère Délé, ayant vu « ce qu’elle ne devait pas voir », connait un destin dramatique. Reçue dans une famille comme esclave loin de son village pour éviter de divulguer ce qu’elle avait vu une certaine nuit, elle passe, après un moment, de l’état d’esclave à la femme du prince Kitoko avec qui elle va fonder une famille. De leur union, naissent plusieurs enfants dont Mâ Mado. Cette dernière se voit sans cesse être interpelée par sa fille qui lui rappelle ses mésaventures. Elle a épousé un homme indigne qui la fait souffrir moralement et physiquement. Mère de plusieurs enfants dont le milicien de la jeunesse du Parti, Tagodi qui se fait remarquer négativement dans la société, Mâ Mado connait le paradoxe de l’amour avec les deux hommes de sa vie. Elle retrouve en ville Petit Falacé qui serait son premier mari qu’elle a repoussé à cause de son physique, préférant Kitoko, un époux qui va se montrer désagréable. Ainsi réalise-t-elle le véritable sens de l’amour à travers les poèmes que lui adresse Petit Falacé dont les tendres sentiments s’opposent à l’animalité de son mari, des poèmes que sa fille-narratrice va découvrir dans sa chambre après sa mort. Celle-ci en gardera le secret pour l’honneur de sa défunte mère qui a connu deux amours : le premier mariage triste et pénible et dégradant avec le père de ses enfants et l’amour idyllique avec Petit Falacé à travers les poèmes d’amour qu’il lui adressait en cachette. La brève histoire de ma mère, un roman polyphonique où les femmes et les hommes se partagent le destin de Mâ Mado dans des réalités congolaises dont l’auteur semble connaitre certains méandres. De la condition féminine déplorable… Les femmes dans La brève histoire de ma mère évoluent dans l’univers pessimiste de leur société. Leur vie est souvent perturbée négativement par le comportement rétrograde des hommes. Délé avec sa mère, Gasparde Tralala et Mâ Mado sont les principales femmes qui se confrontent à leur brutalité, tant morale que physique. La jeune Délé commence son supplice quand, par inadvertance, elle voit ce qu’elle ne devait pas voir ; ce que l’on fera comprendre à sa mère : « [Ta fille] Délé a vu. Tu connais la règle. Tu dois décider tout de suite » (p.167) Et cette interpellation d’un chef de groupe énigmatique va bouleverser le destin de la pauvre fille. Malgré tout ce que fera sa mère pour la sauver du danger qui la guette, elle sera par la suite enlevée par trois hommes anonymes dans leur plantation d’arachides : « Aussitôt, alors qu’une main s’était planquée contre sa bouche pour l’empêcher de crier, deux autres mains se collèrent à ses yeux » (p.47). A partir de ce moment, le destin de Délé prend une autre trajectoire. Elle est accueillie, loin de son village, dans une famille où elle est considérée comme une esclave avec toutes les souffrances et humiliations que lui impose son statut avant d’être réhabilitée socialement après avoir miraculeusement retrouvé sa beauté physique. Aussi le mépris et l’indifférence laissent la place à l’admiration. Elle est alors victime d’une tentative de viol avant d’être récupérée par le chef du village dont le fils sera son mari. Mais son bonheur sera éphémère car ses souffrances vont se prolonger à travers sa fille Mâ Mado. Celle-ci, à cause de ses enfants qui sont encore mineurs, accepte le calvaire que lui impose son mari volage, infidèle, ivrogne et brutal. Et sa sœur de culpabiliser Délé qui serait à l’origine de ce terrible mariage dont la mère ignorait le calvaire qu’elle vivait. Aussi, pense-t-elle au pire devant le sadisme permanent de son homme : « Au fil des années, malgré le temps qui passait, tes souffrances dans ton foyer ne s’estompaient pas. Chaque jour qui passait apportait son lot de misères. Tu en arrives à souhaite ta mort » (p.183). Et nous ne serons pas étonnés que Mâ Mado se décide à mourir quand elle est sûre que ses enfants, déjà grands, pourront se prendre en charge. La condition féminine déplorable se remarque aussi à travers le personnage de Gasparde Tralala, une femme incomprise dans la société où elle évolue. Pour avoir été en avance sur les autres femmes car elle s’habille à l’occidentale, elle se fait vilipender par la police : « le chef de patrouille signifiait à Gasparde Tralala le motif de son interpellation : vous êtes hors la loi et vous le savez ; le pantalon est interdit aux femmes de la ville » (p.68). A propos des souffrances psychologiques et physiques de Mâ Mado et autres, le roman de Dibakana Mankessi apparait comme un tableau de peinture qui présente des visages de femme tristes, apeurés et soucieux. … au sadisme de l’homme C’est Kitoko qui résume le sadisme de l’homme dans son mariage avec Mâ Mado. C’est un homme sans foi qui ne respecte pas les principes élémentaires d’un foyer conjugal. Il ne s’excuse même pas quand sa femme l’attrape en flagrant délit avec une autre femme : « C’est en franchissant la porte que tu faillis tomber face au spectacle qui s’offrit à toi : Kitoko était avec Lafi sur le lit conjugal en train de faire des choses. Tous nus » (p.172). Kitoko, un homme brutal qui veut que la femme se mette sous ses ordres. Mâ Mado est soumise et dépend de son mari comme le signifie sa fille : « Maman n’étant pas autonome, c’est papa qui

LITTERATURE : Dibakana Mankessi parle des violences envers les femmes

LITTERATURE : Dibakana Mankessi parle des violences envers les femmes

A l’instar des idées, s’il y a des thématiques considérées comme intemporelles, celle de la violence est à citer. Et, en prélude à la journée internationale de la femme qui sera célébrée le 8 mars 2014 comme chaque année, une conférence sur le thème des « violences envers les femmes » se tiendra à Paris. De ce fait, le roman de l’écrivain Dibakana Mankessi publié aux éditions Acoria, et intitulé La brève histoire de ma mère, nous place dans le vif du sujet. La maltraitance de la femme Enlevée dès son enfance au pays du général président, Délé, la mère de Madeleine surnommée Mâ Mado, est réduite à un esclavage domestique au sein d’une famille qui lui est imposée dans une contrée qui lui est inconnue. Avant l’age de 10 ans, « au quotidien, on lui faisait faire tous les travaux domestiques. Elle transportait l’eau. Elle assurait la lessive au bord de la rivière qui coulait en face de sa cabane, allait dans les plantations désherber, cueillir, planter, déraciner, récolter. Elle balayait la maison et la cour, elle travaillait et travaillait. » (page 89) Plus tard, l’espoir de voir cette jeune femme sortir du calvaire survient lorsque, contre toute attente, Eouzene, le fils du grand Chef Kala Mahoza épouse Délé. (Chapitre 5) Malheureusement, elle devient une femme battue, humiliée et méprisée dans son foyer. Seules les apparitions de son fils Tagodi, le chef de la milice révolutionnaire, arrêtaient les coups portés sur Délé par son époux. De surcroît, comme si cette pénitence ne suffisait pas, son mari prit deux autres épouses. Pas étonnant donc que de prime abord le récit de l’auteur nous révèle que Délé a annoncé à ses enfants sa mort prochaine. Une mort qui, comme une délivrance, intervient la septième année à 5h3, comme prévue par la défunte. La condition de Délé n’était pas vraiment enviable. D’autant plus que Eouzene avait voulu que sa femme demeurât analphabète. L’histoire se répète de mère en fille Dans ce roman de Dibakana Mankessi à l’écriture impeccable, le viol, le mariage forcé, la violence morale, la soumission, le deuil, les méfaits de l’alcoolisme, la désillusion, la politique, la mort…sont arpentés sans détour. Et l’un des mérites de l’auteur est d’avoir permis au lecteur de prendre conscience du danger de « la répétition de la souffrance. » En effet, comme une malédiction, Mâ Mado va avoir le même parcours de vie que sa mère. Ce qui pourrait expliquer la double narration du texte. Comme sa mère, Mâ Mado échappe d’abord à un premier prétendant imbu de sa personne (page 140). Elle est une femme battue. « Au fil des années, malgré le temps qui passait, tes souffrances dans ton foyer ne s’estompaient pas. » (Chapitre 10) Son mari, Kitoko, un play-boy, a de multiples maîtresses. Malheureuse dans son foyer, elle est pourtant désirée à l’extérieur par un autre homme. Le père de Kribara, le directeur d’école, aima sa mère et Petit Falacé, directeur d’école, s’est également épris d’elle…Mâ Mado souhaite également mourir pour abréger ses souffrances : « Parle à la mort par moi et elle t’écoutera. Dis-lui que tu es prête, montre-lui que tu es prête. Prépare tout le nécessaire et elle viendra, mais ne te suicide pas. Jamais ! » (page 185) Or Maman je ne lui connaissais que des qualités Le récit va ensuite révéler l’importance des mots, comme l’a relevée l’écrivaine Françoise Héritier dans son dernier ouvrage Le goût des mots, publié aux éditions Odile Jacob. Car, ce sont bien des mots qui vont permettre à Délé la mère et à Madeleine sa fille de tenir face à l’horreur. Des mots poétiques envoyés par ceux qui, en dehors de leurs foyers, sans qu’elles ne les fréquentent, donneraient ciel et terre pour elles. Le père de Kribara envoya de nombreux poèmes à sa mère et Petit Falacé le fit pour Mâ Mado. « Le cœur de Madeleine avait besoin de cette tendresse, de cette douceur, de cette beauté, de ces vers. » (page 195) Ainsi, elle qui avait fini par haïr les autres, les poèmes qu’elle reçoit en cachette lui redonnent vie et lui permettent de considérer les autres. « J’étais si reconnaissante au père de Kribara. Papa était si dur avec maman, si avare en mots et en actes doux ou encore en gentillesse que cette attention que le père de Kribara lui manifestait par l’envoi de ces textes lui avait forcément fait du bien comme ils me procuraient du bien à moi-même. Ils étaient si beaux ! » (Chapitre 12) Ces textes produisaient sur moi un effet incroyable Dans cet ouvrage de douze chapitres écrits aux temps passé et présent avec une prépondérance du passé et dans lequel ceux qui aiment les énigmes sont bien servis, tous les poèmes ne sont pas dédiés à l’amour. Certains évoquent le temps qui passe, d’autres le corps qui change, qui vieillit, etc. Des vers puissants à couper le souffle à l’instar de ce poème d’Arthur Rimbaud « Une saison en enfer », jadis envoyé à sa mère : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !… » En conclusion, en attendant que Dibakana Mankessi, alias Jean-aimé Dibakana, apporte les solutions sociopolitiques à la chosification de la femme, toujours d’actualité, les poèmes reçus par Madeleine demeurent la lumière de l’ouvrage. Dibakana Mankessi (jeanaime09@gmail.com), La brève histoire de ma mère, éditions Acoria, 210 pages, 18 euros. Il est l’auteur du roman On m’appelait Ascension Férié paru aux éditions L’Harmattan. Il a publié également de nombreux essais sur l’Afrique.