LITTERATURE : Dibakana Mankessi parle des violences envers les femmes
A l’instar des idées, s’il y a des thématiques considérées comme intemporelles, celle de la violence est à citer. Et, en prélude à la journée internationale de la femme qui sera célébrée le 8 mars 2014 comme chaque année, une conférence sur le thème des « violences envers les femmes » se tiendra à Paris. De ce fait, le roman de l’écrivain Dibakana Mankessi publié aux éditions Acoria, et intitulé La brève histoire de ma mère, nous place dans le vif du sujet. La maltraitance de la femme Enlevée dès son enfance au pays du général président, Délé, la mère de Madeleine surnommée Mâ Mado, est réduite à un esclavage domestique au sein d’une famille qui lui est imposée dans une contrée qui lui est inconnue. Avant l’age de 10 ans, « au quotidien, on lui faisait faire tous les travaux domestiques. Elle transportait l’eau. Elle assurait la lessive au bord de la rivière qui coulait en face de sa cabane, allait dans les plantations désherber, cueillir, planter, déraciner, récolter. Elle balayait la maison et la cour, elle travaillait et travaillait. » (page 89) Plus tard, l’espoir de voir cette jeune femme sortir du calvaire survient lorsque, contre toute attente, Eouzene, le fils du grand Chef Kala Mahoza épouse Délé. (Chapitre 5) Malheureusement, elle devient une femme battue, humiliée et méprisée dans son foyer. Seules les apparitions de son fils Tagodi, le chef de la milice révolutionnaire, arrêtaient les coups portés sur Délé par son époux. De surcroît, comme si cette pénitence ne suffisait pas, son mari prit deux autres épouses. Pas étonnant donc que de prime abord le récit de l’auteur nous révèle que Délé a annoncé à ses enfants sa mort prochaine. Une mort qui, comme une délivrance, intervient la septième année à 5h3, comme prévue par la défunte. La condition de Délé n’était pas vraiment enviable. D’autant plus que Eouzene avait voulu que sa femme demeurât analphabète. L’histoire se répète de mère en fille Dans ce roman de Dibakana Mankessi à l’écriture impeccable, le viol, le mariage forcé, la violence morale, la soumission, le deuil, les méfaits de l’alcoolisme, la désillusion, la politique, la mort…sont arpentés sans détour. Et l’un des mérites de l’auteur est d’avoir permis au lecteur de prendre conscience du danger de « la répétition de la souffrance. » En effet, comme une malédiction, Mâ Mado va avoir le même parcours de vie que sa mère. Ce qui pourrait expliquer la double narration du texte. Comme sa mère, Mâ Mado échappe d’abord à un premier prétendant imbu de sa personne (page 140). Elle est une femme battue. « Au fil des années, malgré le temps qui passait, tes souffrances dans ton foyer ne s’estompaient pas. » (Chapitre 10) Son mari, Kitoko, un play-boy, a de multiples maîtresses. Malheureuse dans son foyer, elle est pourtant désirée à l’extérieur par un autre homme. Le père de Kribara, le directeur d’école, aima sa mère et Petit Falacé, directeur d’école, s’est également épris d’elle…Mâ Mado souhaite également mourir pour abréger ses souffrances : « Parle à la mort par moi et elle t’écoutera. Dis-lui que tu es prête, montre-lui que tu es prête. Prépare tout le nécessaire et elle viendra, mais ne te suicide pas. Jamais ! » (page 185) Or Maman je ne lui connaissais que des qualités Le récit va ensuite révéler l’importance des mots, comme l’a relevée l’écrivaine Françoise Héritier dans son dernier ouvrage Le goût des mots, publié aux éditions Odile Jacob. Car, ce sont bien des mots qui vont permettre à Délé la mère et à Madeleine sa fille de tenir face à l’horreur. Des mots poétiques envoyés par ceux qui, en dehors de leurs foyers, sans qu’elles ne les fréquentent, donneraient ciel et terre pour elles. Le père de Kribara envoya de nombreux poèmes à sa mère et Petit Falacé le fit pour Mâ Mado. « Le cœur de Madeleine avait besoin de cette tendresse, de cette douceur, de cette beauté, de ces vers. » (page 195) Ainsi, elle qui avait fini par haïr les autres, les poèmes qu’elle reçoit en cachette lui redonnent vie et lui permettent de considérer les autres. « J’étais si reconnaissante au père de Kribara. Papa était si dur avec maman, si avare en mots et en actes doux ou encore en gentillesse que cette attention que le père de Kribara lui manifestait par l’envoi de ces textes lui avait forcément fait du bien comme ils me procuraient du bien à moi-même. Ils étaient si beaux ! » (Chapitre 12) Ces textes produisaient sur moi un effet incroyable Dans cet ouvrage de douze chapitres écrits aux temps passé et présent avec une prépondérance du passé et dans lequel ceux qui aiment les énigmes sont bien servis, tous les poèmes ne sont pas dédiés à l’amour. Certains évoquent le temps qui passe, d’autres le corps qui change, qui vieillit, etc. Des vers puissants à couper le souffle à l’instar de ce poème d’Arthur Rimbaud « Une saison en enfer », jadis envoyé à sa mère : « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !… » En conclusion, en attendant que Dibakana Mankessi, alias Jean-aimé Dibakana, apporte les solutions sociopolitiques à la chosification de la femme, toujours d’actualité, les poèmes reçus par Madeleine demeurent la lumière de l’ouvrage. Dibakana Mankessi (jeanaime09@gmail.com), La brève histoire de ma mère, éditions Acoria, 210 pages, 18 euros. Il est l’auteur du roman On m’appelait Ascension Férié paru aux éditions L’Harmattan. Il a publié également de nombreux essais sur l’Afrique.