Cinq manières de protéger les travailleurs de la santé durant la crise du COVID-19
TRIBUNE. Les personnels et systèmes de santé jouent actuellement un rôle déterminant dans la lutte mondiale contre le COVID-19, et des mesures spéciales doivent être prises pour les soutenir et les protéger. Dans de nombreuses villes touchées par la pandémie de COVID-19, on assiste chaque soir au même rituel: des gens se mettent à leur fenêtre ou sur leur balcon pour applaudir et taper sur des casseroles afin de témoigner leur gratitude aux nombreux travailleurs de la santé qui affrontent le COVID-19. Les travailleurs de la santé du monde entier sont en première ligne de la lutte quotidienne pour endiguer la propagation du virus et sauver des vies. Les images de ces travailleurs, exténués, qui se battent pour sauver des patients ont touché le monde entier. La sécurité et la santé au travail des personnels soignants est primordiale pour leur permettre d’effectuer leur travail en cette période de crise. Leur protection doit être une priorité. Alors, que faut-il faire? 1. Assurer la sécurité des travailleurs de la santé Il est de la plus haute importance de garantir la sécurité et la santé des personnels soignants et de soutenir le personnel d’appui (notamment le personnel de blanchisserie et de nettoyage ainsi que les travailleurs chargés d’évacuer les déchets médicaux). Toutes informations concernant la transmission du virus doivent être communiquées aux travailleurs de la santé aussi largement et rapidement que possible, en particulier celles qui portent sur les directives les plus récentes ainsi que sur les mesures à prendre pour prévenir la contagion et la façon dont elles devraient être mises en œuvre. Le dialogue entre travailleurs et employeurs du secteur de la santé peut contribuer à garantir que les politiques et procédures préconisées sont convenablement mises en œuvre. Il est essentiel de mettre à disposition des personnels soignants des équipements de protection individuelle, mais aussi de les former et de les sensibiliser à une utilisation correcte de ces équipements. En outre, des tests de dépistage du COVID-19 devraient être mis à la disposition des travailleurs de la santé aussi largement que possible, pour promouvoir aussi bien leur propre sécurité que celle que des patients. 2. Protéger leur santé mentale La pandémie expose les travailleurs de la santé à des situations exceptionnellement exigeantes. Outre une lourde charge de travail et, parfois, des situations traumatisantes où ils doivent faire face à des décisions difficiles à prendre et à des taux de mortalité sans précédent, les travailleurs de la santé doivent surmonter la peur de contracter la maladie ou de la transmettre à leur famille et à leurs proches. Les enseignements tirés d’autres épidémies, telles que l’épidémie de maladie à virus à Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest en 2014, montrent que les travailleurs de la santé peuvent être victimes de discrimination et de stigmatisation, fondées sur la crainte du public de contracter la maladie. Apporter un soutien d’ordre social au sein des équipes, des familles et auprès des amis, et fournir des informations et des conseils aux travailleurs de la santé sur la façon de gérer le stress ainsi que le stress post-traumatique sont deux aspects qui doivent impérativement s’inscrire dans la réponse à la crise. 3. Assurer le suivi des heures de travail En situation d’urgence, les travailleurs de la santé se voient contraints de travailler dans des conditions inhabituelles et, parfois, atypiques. Pour faire face à la pandémie, de nombreux travailleurs de la santé subissent un surcroît de charge de travail, déjà lourde, de longues heures de travail et l’absence de périodes de repos. De nombreux pays ayant fermé les écoles et mis entre parenthèses toute vie publique, ces travailleurs doivent en outre organiser leur vie privée et s’occuper des personnes qui sont à leur charge. Des aménagements du temps de travail appropriés devraient être mis en place pour aider les travailleurs de la santé à concilier les exigences des services en matière de santé, leurs responsabilités familiales et leur propre bien-être. 4. Protéger le personnel et les bénévoles recrutés en dernière minute Pour lutter contre la pandémie, plusieurs pays ont réagi en sollicitant l’aide professionnelle de personnel recruté en dernière minute, de bénévoles ainsi que de militaires, personnels soignants retraités ou étudiants en médecine et en soins infirmiers. Si ces mesures semblent encourageantes car elles permettent d’assurer les soins nécessaires, elles devraient être mises en œuvre avec prudence pour garantir que ces travailleurs bénéficient de la même protection dans l’emploi que les autres. Les gouvernements devraient consulter les partenaires sociaux pour éventuellement contrôler et réglementer ces recrutements ponctuels. Il convient de prendre en considération, au même titre que la sécurité et la santé au travail, d’autres aspects des conditions d’emploi, à savoir la protection sociale, la rémunération, les périodes de repos et les aménagements du temps travail. 5. Recruter et former davantage de travailleurs de la santé Des investissements doivent être faits dans tous les systèmes de santé afin qu’ils puissent recruter, déployer et retenir un nombre suffisant de travailleurs de la santé dûment formés, soutenus et motivés. La pandémie de COVID-19 souligne une nouvelle fois la nécessité urgente de disposer d’un personnel de santé solide, partie intégrante de tout système de santé résilient; cet aspect est désormais reconnu comme fondement essentiel pour permettre le rétablissement de nos sociétés et de nos économies et pour se préparer à de futures urgences sanitaires. Par Christiane Wiskow et Maren Hopfe Département des politiques sectorielles de l’OIT.
De nouveaux problèmes de sécurité et de santé émergent avec les changements au travail
Les changements dans les pratiques de travail, la démographie, la technologie et l’environnement créent de nouvelles préoccupations pour la sécurité et la santé au travail (SST), d’après le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail. On trouve parmi des défis grandissants les risques psychosociaux, le stress lié au travail et les maladies non transmissibles, notamment les maladies circulatoires et respiratoires, ainsi que les cancers. Ce rapport, La sécurité et la santé au cœur de l’avenir du travail: Mettre à profit 100 ans d’expérience * , est publié en prologue à la Journée mondiale pour la sécurité et la santé au travail , célébrée le 28 avril. Il passe en revue les cent ans de travail de l’OIT sur les questions de SST, et souligne les problèmes émergents. Chaque année, plus de 374 millions de personnes sont blessées ou tombent malade dans des accidents liés au travail. Le rapport estime que le coût des journées de travail perdues pour des motifs liés à la SST représente près de 4 pour cent du PIB mondial, et dans certains pays, jusqu’à 6 pour cent du PIB. «La prévention des risques établis devient plus efficace, mais nous observons de profonds changements dans nos lieux de travail et nos modalités de travail. Il faut que les structures de sécurité et de santé en tiennent compte, avec une culture générale de prévention pour créer une responsabilité partagée», déclare Manal Azzi, expert technique de l’OIT en matière de sécurité et santé au travail. Pour ce qui est de l’avenir, le rapport évoque quatre grands axes de changement, tout en soulignant qu’ils présentent aussi des opportunités d’amélioration. Tout d’abord, la technologie comme la numérisation, la robotique, et les nanotechnologies, peuvent avoir une incidence sur la santé psychosociale et introduire de nouveaux matériaux dont on n’a pas mesuré les risques pour la santé. Ces technologies, si elles sont correctement appliquées, peuvent aussi contribuer à réduire l’exposition aux risques, faciliter la formation et les inspections du travail. Les changements démographiques sont importants car les jeunes travailleurs ont des taux de blessures professionnelles significativement plus élevés, alors que les travailleurs plus âgés ont besoin de pratiques et d’équipement leur permettant de s’adapter pour travailler en sécurité. Les femmes – qui sont de plus en plus nombreuses dans la main d’œuvre – sont plus susceptibles d’avoir des emplois atypiques et sont plus sujettes aux risques de désordres musculo squelettiques. Troisièmement, le développement et le changement climatique augmentent les risques d’exposition à la pollution atmosphérique, au stress thermique, aux maladies émergentes; les brusques modifications de la météo et des températures peuvent entraîner des pertes d’emploi. Par ailleurs, le développement durable et l’économie verte vont créer de nouveaux emplois. Enfin, les modifications de l’organisation du travail peuvent apporter une flexibilité qui permet à plus de personnes d’entrer sur le marché du travail, mais peuvent également induire des problèmes psychosociaux (par exemple l’insécurité, l’empiètement sur la vie privée et les temps de repos, ou l’inadéquation de la protection sociale et de la SST) et une durée du travail excessive. Actuellement, la durée du travail d’environ 36 pour cent de la population active mondiale est excessive (plus de 48 heures par semaine). Face à ces défis, cette étude propose aux décideurs politiques et aux autres parties prenantes de se concentrer sur six domaines. Parmi eux, les travaux sur l’anticipation des nouveaux risques SST émergents, l’adoption d’une approche pluridisciplinaire et le renforcement des liens avec les travaux sur la santé publique. Il est aussi nécessaire de mieux faire comprendre au public les questions de SST. Enfin, il convient de renforcer les normes internationales du travail et les législations nationales, ce qui requiert le renforcement de la coopération entre gouvernements, travailleurs et employeurs. Actuellement, et de très loin, la plus grande part des décès liées au travail – 86 pour cent – provient des maladies. Environ 6 500 personnes décèdent par jour de maladies professionnelles, comparés aux 1 000 décès suite à des accidents du travail. Les causes les plus fréquentes de mortalité sont les maladies circulatoires (31 pour cent), les cancers liés au travail (26 pour cent) et les maladies respiratoires (17 pour cent). «Tout autant que le coût économique de ces maladies et accidents, nous devons reconnaître l’incommensurable souffrance humaine qu’ils apportent. Ils sont d’autant plus tragiques qu’on peut dans une large mesure les éviter», déclare Azzi. «Il faudrait également se pencher sérieusement sur la recommandation de la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail , de reconnaître la sécurité et la santé au travail comme un principe et un droit fondamental au travail.»