LITTÉRATURE CONGOLAISE. L’os de mes eaux (1) : un clair-obscur d’une écriture surréaliste
Voici une poésie atypique de Hugues Eta qui se distingue de la majorité des recueils de poèmes par sa présentation. On découvre dans L’os de mes eaux quatre textes de longueur très variable (« Hauts les os », « Retours » « Cloche du silence » et « Chant des palmiers ») qui défient la compréhension du lecteur habitué souvent à lire sonnets, alexandrins et autres formes classiques de présentation d’un poème. Ce livre définit une poésie de tristesse accrochée au pays natal où apparaît souvent l’élément aquatique éclairé par les astres tels le soleil la lune et les étoiles. Cette poésie parait hermétique et surréaliste et la femme n’y trouve pas sa place par rapport au lyrisme de la plupart des poètes. Hugues Eta : poésie et tristesse Le poète est le seul homme capable de vivre au carrefour de ses heurs et malheurs qu’il peut exprimer ouvertement à travers l’oralité (la chanson) et l’écriture (texte matériel). Déjà dans le poème incipit, Hugues Eta nous livre un sentiment de détresse qui est presque présent dans tous ses textes : « Les pages de mon livre de vie arrachées / Je livre les os vers les yeux (…) / Je dialogue avec un tam-tam agenouillé » (p.7). L’image de ce tam-tam qui rythme le destin de l’homme noir toujours debout en face de son batteur, présenté ici dans une position à genou, ne laisse-t-il pas perplexe le poète devant son destin ? Le sentiment de tristesse coule presque dans les quatre textes de ce recueil avec des souffles plus ou moins disproportionnés. Si dans « Retours », la tristesse ne provoque que lamentation et peine : « La pluie ne veut plus rester dehors / Et laisser ouvertes les fenêtres de mes pleurs » (p.10), elle va jusqu’à déclarer chez le poète le sentiment de l’irréparable : « Mon pot de pleurs en argile se brise / J’hérite de ses cicatrices » (p.63). On peut même dire que la poésie dans L’os de mes eaux est une expression de pleurs et de larmes qui s’étale presque dans tout le livre. Des larmes partout comme on peut le constater dans la majorité des textes qui évoquent l’amertume et la tristesse : « Pour renouveler l’ombre au gré des empreintes de mes pleurs » (p.11), « J’offre un verre à mes larmes / Qui déroulent un tapis sur les crânes des futaies » (p.22), « Je vois à travers le miroir des larmes / Le vol d’un oiseau dépaysé » (p.30), « Mes larmes vivent les étreintes des rives abandonnées » (p.65). Dans les textes de Hugues Eta, se découvre aussi un pan de la nature à travers le fleuve et les astres dans le clair- obscur de son pays natal. L’eau, le soleil, la lune et les étoiles dans L’os de mes eaux Déjà dans le texte qui ouvre son livre, le poète navigue dans l’image aquatique et s’exprime dans un ton exclamatif qui semble refroidir sa pensée : « Ô les eaux / Les pluies qui tombent lorsque je presse les cieux / Sont des pilotis pour mes habitations »(p.7). Dans cette solitude qu’il exprime à travers le « je » personnel, lui revient sans cesse l’image du fleuve de son pays : « Le fleuve venimeux avale ses eaux / J’écris un poème (…) mes joues sont deux rives / D’un fleuve qui charrie des os croisés » (pp.36 et 41). L’eau dans cette poésie rappelle la mer qu’il habite et qui l’habite du côté, éventuellement, de Pointe Noire : « L’océan était conduit à sa dernière demeure / Je suis l’os du littoral seul survivant » (p.23). Aussi, cette vaste étendue, que les scientifiques nomment « océan », devient « mer » pour le poète et se confond avec l’image de sa mère : « Je ne dirai plus à ma mer biologique que / De donner naissance comme poète / Sur le regard des vagues de ma mère »(p.23). La mer et le fleuve qui coule majestueusement dans le pays du poète sont assistés, jour et nuit par le soleil et la lune selon la position qu’ils occupent dans l’axe du temps. Ces deux astres qui apparaissent dans le premier poème, commencent à briller dans « Cloche du silence » et « Chant des palmiers » où ils reviennent à tout moment dans les déclarations de l’auteur. Dans « Cloche du silence », c’est un soleil en déconfiture qui nous est livré : « Le jour dans mes mains réunit les débris d’un soleil éventré / Pour assécher le réservoir de l’ouest » (p.18) ; ce soleil qui rappelle le natal du poète car brillant aussi dans l’image paternelle de ce dernier : « Le soleil qui se lève sur la case de mon père / Se couche à mi-parcours sur la toiture de mes yeux d’enfant » (p.20). Ici se révèle une poésie éclairée par le soleil qui vient atténuer la tristesse exprimée par l’auteur. Il est difficile de parler du soleil sans pour autant faire allusion à son contraire la lune souvent accompagnée de ses « enfants » les étoiles : « Le déracinement des clairs de lune / Débaptise le champs fertile des étoiles saisonnières » (p.32). Un peu plus loin, le poète se voit rattrapé par l’image obsédante des astres de la nuit comme on le remarque dans « Cloche du silence » quand il écrit : « La nuit se déshabille / (…) La sueur succède à la mer destituée / Signe d’une naissance entre les étoiles infirmes / Mes yeux dépaysés dans leurs propres orbites / Se rappellent les lunes chastes » (p.37). Une particularité de la poésie de Hugues Eta : l’écriture ainsi que les images qui illustrent les textes s’avèrent hermétiques ; ils font fi de la ponctuation et amènent les lecteurs à leur donner le ton et le sens qui leur conviennent selon leur sensibilité et leur état d’âme. L’os de mes eaux appartient au poète tout en nous interpelant malgré son égoïsme à travers l’occurrence du « moi » qui définit son texte dans son ensemble ; il ne cesse de se présenter par les pronoms personnels tels Je, Ma, Mon, Mes. Aussi le remarque-t-on à travers l’idée du possessif qui ouvre ce recueil : « mes eaux » qui spécifie le titre et la récurrence des pronoms Je, Ma, Mon, Mes qui donnent une dimension personnelle et possessive aux textes. Noël Kodia-Ramata (1) Hugues Eta, L’os