Congo. MATSOUA: Paris, les papiers, le boulot et sa garde rapprochée (suite3)
HISTOIRE. À son arrivée à Paris, sans doute vers le début de l’été 1925, Matsoua pose d’abord ses valises chez un compatriote au 16, rue Albouy (rebaptisée, en juin 1946, rue Lucien-Sampaix), dans le 10e arrondissement. Quelques semaines plus tard il emménage dans la première des multiples adresses où il résidera à Paris, au 250, rue du Faubourg Saint-Martin, dans le même arrondissement. C’est à Paris qu’il adopte une nouvelle doublure. Il se fait désormais appeler Matchouand Grenard, se rajeunit de deux ans (né le 17 janvier 1901) sur la déclaration qu’il remplit le matin du 21 janvier 1926 au bureau de la mairie pour l’obtention d’un titre d’identité. Il conserve cependant son lieu de naissance apocryphe, Brazzaville. Comme il « se prétend Sénégalais, citoyen français, de par son père », et que l’on subodore une supercherie, le service habilité recommande l’établissement d’un titre de séjour de trois mois en attendant la vérification de sa qualité de citoyen français. On contacte donc, par le truchement du ministère des Colonies, les services administratifs de l’A-EF. Un certain Auclair, chef de la circonscription du Pool, se renseigne et fait remonter l’information jusqu’au CAI. Un certificat d’identité, établit le 9 août 1926, arrive donc à Paris. On y lit que Matsoua est bel et bien indigène d’une colonie donc sujet français, et non citoyen français. Qu’il serait bien né vers le 17 janvier 1899, au village Bembé, terre Kandza N’Zaba, tribu Masamba N’Dala, subdivision de Kinkala-Boko, dans la circonscription du Pool. L’administrateur ne ménage aucun effort pour tirer cette affaire au clair et fait montre d’un zèle peu ordinaire. L’enquête qu’il diligente révèle que pour toute famille, Matsoua a un « frère » (mis entre-guillemets dans le texye), Malonga N’Goma, cultivateur et demeurant au village précité. Peu importe que le pot aux roses, d’ailleurs négligemment gardé, soit découvert. Il en faut plus pour décourager Matswa. Sans en démordre, il met tout en œuvre pour se prévaloir de sa citoyenneté française et des droits qui en découlent, notamment celui de voter. Pourquoi Matchouand ? Et surtout pourquoi Grenard ? Lors de sa première comparution, le 29 janvier 1930, devant le tribunal indigène de Brazzaville, le juge Darius Roux ne rate pas l’occasion de soulever la question. « Pourquoi vous faites-vous appeler Grenard ? », lui demande-t-il de but en blanc. « C’est un nom à tournure française que je me suis donné moi-même », rétorque Matsoua. On le retrouve dans les archives et sous la plume de Matsoua lui-même indistinctement écrit « Grenard », « Grénard » ou, plus souvent, « Grènard. ». En quittant le 10e pour venir s’établir dans le 2e arrondissement de Paris, Matsoua ne se rapproche pas seulement du centre de la capitale, il va à la rencontre de son destin. Il n’y a jamais été aussi près. Sa nouvelle résidence de la rue de Cléry, où il emménage le 15 juin 1925, se situe à 800 mètres du marché des Halles. La nécessité faisant le reste, il décide, parce qu’il faut bien payer son loyer et survivre à Paris, de se faire marchand de fruits et primeurs dans le « ventre de Paris ». Son commerce semble générer suffisamment de profits pour lui faire songer à acquérir le fonds de commerce d’un certain Jean Monod, avant d’y renoncer quand la Banque Nationale du Crédit (ancêtre de la BNP Paris-Bas) lui refuse un crédit. Matsoua augmentera alors son commerce de fruits et légumes en s’investissant dans le marché des produits exotiques à Paris: peaux d’animaux, cornes, queues, dents, qu’il réussit à acquérir grâce à ses relations avec les matelots de Marseille. Mais il va plus loin. Une lettre qu’il adresse à un « grand frère » qui se trouve en poste à Bangui (Oubangui-Chari) donne quelques détails sur les articles prisés par sa clientèle parisienne. Il y fait la commande de « 15 peaux de singes noirs et une dizaine de queues d’éléphants avec leur crin de poil », précise-t-il, et réceptionne tous ces articles en poste restante au bureau de poste sis 24, rue de Cléry. Nul argent ne circule pour opérer ces transactions entre Paris et l’Afrique. En échange pour ces produits exotiques, Matsoua, qui lui-même attache une importance toute particulière à l’habit, nourrit le désir immodéré pour la mode parisienne qui s’empare alors des jeunes « écrivains » et « boys » de Brazzaville en leur procurant des articles de mode de premier choix savamment sélectionnés. Matsoua semble avoir continué ce commerce lucratif de manière sporadique même lorsqu’il commence à travailler régulièrement comme comptable. On a pour preuve une lettre qu’il envoie au procureur général à Brazzaville pour protester contre une saisie de « registres de commerce se rapportant uniquement à [s]es propres affaires » lors d’une perquisition faite à son domicile, le 12 janvier 1929. « Ces documents personnels, insiste Matsoua, me sont absolument nécessaires pour pouvoir continuer mes affaires ». Matsoua trafique également avec le Congo belge comme l’atteste une lettre datant de mai 1929 qui fait état d’une commande expédiée à partir de Léopoldville et comprenant 20 bracelets, dont 10 en ivoire. En échange pour ses marchandises, à vendre à Paris, le fournisseur demande des ouvrages en latin et en français, sans oublier un « porte monnaie Paraissien [parisien] de luxe ». La lettre, signée « Votre Philanthrope Obeissant », en dit long sur l’aura que commence déjà à projeter Matswa sur les fidèles de l’Amicale en Afrique. En août de la même année 1929, c’est Matsoua lui-même qui écrit : « […] seriez-vous assez gentil de m’envoyer un souvenir du Congo belge 20 bracelets a crin de giraf ou d’élephant. » Revenons à 1926. Matsoua qui prend désormais des cours du soir à pour améliorer son niveau parvient à se faire embaucher comme stagiaire comptable dans plusieurs institutions de la capitale, y compris à la Banque de France au printemps 1926. Il en sort pour se faire employer chez un certain Mainro, à la gare du Nord, en qualité de secrétaire des douanes. Le