Congo. MATSOUA, naissance de l’amicale: « Nous voulons être libres » (suite 6)

HISTOIRE. Au mois de mai 1926, Matsoua réunit des proches dans un bar de Paris pour leur parler de son projet d’association d’entraide. L’assemblée générale improvisée la dénomme « Association Amicale congolaise de Paris. » Après quelques tergiversations, elle devient « Association Amicale des Originaires du Congo Français ». En renvoyant les statuts pour approbation au ministère des colonies début juin, l’agent, un certain Lucien Harlée, va corriger quelques anomalies juridiques d’usage, mais ce sera surtout l’article 13 qui mettra le feu aux poudres. Plus que cela, cet article va créer à jamais les rapports conflictuels entre Matsoua et l’administration française. Pour Matsoua l’Article 13 se libelle comme suit: « Toute question politique où religieuse ne pourra être discutée a l’association. Toutefois celle ci conserve toute liberté à l’égard du Congo ». Pour Harlée, Article 13, « Toute question politique où religieuse ne pourra être discutée a l’association. [Point] » Matsoua sous-entend qu’il n’est pas disposé à parler politique sauf en ce qui concerne le Congo. Pour Harlée, pas de politique du tout. Autre sujet de mésentente et non le moindre, le règlement intérieur que Matsoua n’a pas déposé est entière rédigé par Harlée qui suggère un renouvellement annuel du bureau de l’Amicale, puis place l’association sous le patronage du service d’assistance aux indigènes du ministère des colonies (donc lui même Harlée) qui nommera un fonctionnaire comme commissaire aux comptes. A la réception de ces textes corrigés, Matsoua furieux, rétorque au monsieur la suivante lettre reproduite fidèlement: « Monsieur l’Administrateur, En vous accusant reception de vos copies, statuts et reglement interieur. Pour les premiers, je ne ferai qu’une seule observation c’est le maintient de cette phrase à l’article 13 : (…… ; Toutefois, l’Association conserve toute liberté à L’EGARD DU CONGO. En effet nous voulons avoir le droit d’intervenir, et, ce, lorsque nous le jugerons nécessaire et utile dans toutes les questions où l’intérêt de notre Pays sera en jeu. Pour le reglement interieur, je n’y comprend plus rien, que vient faire ici le « Patronage du Service d’Assistance aux Indigènes » ? et ce membre de ce service à titre de Conseiller et controleur financier, ayant signature ? Non, Monsieur l’Administrateur, non ce ne peut-être, Nous voulons former une Association de secours mutuels et de prevoyance ; nous accepterons volontiers vos conseils, nous ne voulons pas vous méconnaître, mais nous ne voulons pas de Tutelle, nous voulons être libres, et votre patronage, votre conseiller financier avec signature, nous ne pouvons l’accepter, c’est une, et je le repète, une tutelle n’en voulons pas. – La signature du Président et du Trésorier suffisent pour cette question financière et nous voulons, je ne saurai trop le dire, être libre. Voilà ce que je trouve de mauvais dans cette minute du reglement intérieur, qui doit être approuver, en assemblée générale et j’ai la certude que tous mes compatriotes refuserons ces deux clauses. En attendant l’honneur de vous lire. Veuillez accepter Monsieur l’Administrateur l’assurance de ma distinguée considération. [signé] Grènard André P.S. Jusqu’à nouvel ordre nous maintenons la date du 3 juillet pour notre première réunion, où j’expliquerai et détaillerai et les statuts et le reglement interieur. » Matsoua veut dès le départ se cacher derrière une association servant de soutient aux compatriotes en difficulté en France. Il sait qu’il y’en a d’autres, et que ce prétexte lui facilitera l’accord des autorités. Mais dans sa tête il est déjà clair que son but est d’incarner une voix qui a son mot à dire sur la conduite des affaires du Congo. C’est dans cet esprit qu’il avait écrit dès Janvier 1926 à Kyelé Ténard pour lui demander de rattacher son association non officielle qu’il animait depuis Léopoldville pour accorder les positions entre ressortissants du Congo français. Qu’il s’agisse du développement, des rapports économiques avec les sociétés concessionnaires, des décisions administratives et politiques qui sont prises sur le territoire, Matsoua souhaitait avoir un oeil et un mot à dire. Mais le solliciter d’emblée dans ces termes, alors que les droits politiques en colonie sont réduits à relayer les ordres de l’administration coloniale par les chefs de terres et de tribus nommés par l’administration elle-même, aurait fait de son association un mort-né. Au delà des rapports avec l’administration, cette question va nuire au développement de l’Amicale en Afrique à ses débuts, car de nombreuses personnes cooptées ne comprendront pas qu’on leur demande de participer financièrement à une association qui aide les personnes en difficulté en France, alors qu’elles sont au Congo. Pour simplifier, on va leur dire que ces personnes souffrent parce qu’elles n’ont pas la nationalité française là bas. Et si elles l’obtiennent, nous aussi au pays nous l’auront tous avec tous les droits que cela implique: fin de l’indigénat, du travail forcé, de la ségrégation, des châtiments physiques, des études et carrières limitées, droits politiques et syndicales, égalité salariale, liberté de circulation etc. L’indépendance n’était pas dans leur esprit. Tout le monde était conscient du retard et des insuffisances (Matsoua écrira « je sais que nous sommes encore un peu sauvages »), mais n’acceptait pas qu’ils soient traités d’inférieurs ou d’incapables de progresser. A l’assemblée générale du 3 juillet 1926, dans un bar au 2 rue du Bouloi dans le 1er arrondissement de Paris, les statuts et règlement intérieur sont adoptés sous la forme souhaitée par Matsoua. Le nom même change et devient « Association Amicale des originaires de l’Afrique Equatoriale Française ». Il faut ratisser large. Il n’adopte pas le renouvellement annuel du bureau « suggéré » par Harlée et fait du président fondateur un « inamovible ». Le siège social est fixé dans la bar où ils se rencontrent, 2 rue du Bouloi, qui n’est autre que l’adresse de naissance du cardinal de Richelieu. Il renvoie ces textes en l’état. Divine surprise, le récépissé lui est accordé sans modification des textes, le 17 juillet 1926. Le bureau est alors composé de: Président fondateur : André Matswa Vice-président : Constant Balou Secrétaire : Lucien Tchykaya Commissaire aux Comptes : Pierre Ganga Trésorier : Joseph Kangou Tous les autres sont membres fondateurs. Le 21 juillet, Matsoua se rend