
TRIBUNE. Je constate que Théophile Obenga a jeté un vrai pavé dans la marre avec sa sortie sur le virus du tribalisme. C’est bien qu’il se soit rattrapé parce que ces derniers temps il n’a pas brillé par l’exemplarité et nous étions nombreux à ne plus reconnaître le compagnon de Cheikh Anta Diop.
Il a certainement raison de pointer le responsabilité du poison tribal dans l’échec de nos États, mais j’y mettrais quand même un petit bémol car je ne peux pas croire que la fin du tribalisme serait le début des Etats rationnels et de la bonne gouvernance. Il y a des pays dans le Sahel qui ne connaissent pas le tribalisme.
Pourtant, les politiciens y ont trouvé leurs réseaux d’affinités pour piller l’Etat, jouir des faveurs, soumettre la loi et les élections aux caprices d’un noyau de privilégiés pour au final se retrouver dans la même situation que nous. Haïti ne connait pas le tribalisme et ses citoyens partagent 220 ans de vivre ensemble. Ça reste une calamité.
Je pense que la solution est dans des législations organisant mieux la méritocratie, afin de limiter la capacité de nomination des politiques pour éviter le clientélisme et renforcer le devoir d’ingratitude que tout employé public doit avoir vis à vis de celui qui le nomme. Il doit se consacrer à sa tâche dans les règles et non à la reconnaissance du poste ou à l’allégeance envers celui qui fait sa carrière.
Par exemple, pour être juge à la cour constitutionnelle la loi pourrait prévoir que ce soit obligatoirement les magistrats les plus élevés au grade et les plus anciens. Le critérium dûment constaté, la signature du décret de nomination n’est plus qu’une formalité. Dans d’autres circonstances on promeut le concours, la vérification des connaissances etc, et que le choix politique s’il le faut parce que plusieurs candidats restent en lisse, ne se porte que sur ceux répondant aux critères.
Mais tant que chez nous des ministres cancres ont le pouvoir de nommer des directeurs de cabinets (qui ont fonction de secrétaires généraux de ministères en réalité), sur le seul critère de l’amitié et de la confiance personnelle, sans conditions de diplômes, d’expérience, de connaissance, de filtres quelconque, imaginez ce que sont les subalternes et aux cabinets et dans l’administration! c’est un véritable État catastrophe que nous trainons.
Les chargés de finances sont presque toujours de la famille ou du parti du ministre, et personne ne peut rien dire? Aucun système de contrôle ni aucun frein? La notion de conflit d’intérêts et les organismes de contrôle sont inexistants. Ce n’est pas sérieux. Il n’existe même pas d’affichage d’offres d’emplois publics vacants, comme si nous avions acté que c’est légalement du ressort du copinage et du piston à 100% ! Aucune chance de réussite, même avec un taux de tribalisme zéro.
Je ne suis pas surpris de voir l’opposition toujours silencieuse sur ce genre de questions (comment allez vous gouverner différemment ? Très concrètement !) car on imagine qu’après des années de lutte, de privation et de sacrifice, elle entend également remercier ses supporters et ses petites mains de cette manière tout en garantissant la prise de contrôle des leurs. Nombreux dans la diaspora militante et prétendue puritaine n’attendent aussi que d’être nommé a des postes ou ils auront tapé dans l’oeil de quelqu’un. Soyons honnêtes. Alors on contourne un peu les vrais nuisances au développement parce que cela ne nous arrange pas de les changer. Eh ben on peut parier que nous perpétuerons la bêtise même si on fait les meilleurs équilibres ethniques sur papier, si on continue comme cela.
La condition pour éviter que le contrôle et les contre-pouvoirs ne soient eux-mêmes des boîtes de placement de gens payés pour ne rien dire en remerciement de ceux qui les ont nommés, une partie du contrôle voire du pouvoir de coercition doit être externalisée. Cela peut se faire à travers des organes supranationaux qui assurent le rôle de tribunaux d’ultimes recours, d’organisme de contrôle des élections, ou encore de polices ou d’armées d’intervention conjointes avec des voisins, des organismes internationaux ou des démocraties confirmées.
L’autre solution serait d’attendre que nous ayons nos 200 ans d’expérience étatique pour savoir nous autocontrôler. Mais l’expérience d’Haïti suffit à me faire douter. Il y a 30 ans encore nous pensions qu’il suffisait que les présidents et parlements soient élus et la route du bonheur était toute tracée. Nous avons bien vite déchanté.
Hervé Mahicka