Le livre-projet de Princilia Bokapa : « De l’ombre à la lumière »1

Cette œuvre littéraire de Princilia Bokapa s’apparente à un exutoire, autant qu’un projet qui lui permet de s’engager au profit des autres, donc une manière d’extérioriser son combat et proposer des bases nouvelles pour les personnes drépanocytaires en société.

  1. Le parcours d’une personne drépanocytaire

L’auteure nous dévoile les circonstances dans lesquelles elle découvre le monde, une découverte faite dans les conditions les plus difficiles et lancinantes, et laquelle la conduit justement à une perpétuelle interrogation sur sa propre existence tout en essayant de poser les fondements de sa destinée, cette quête incessante de sa propre personne et aussi l’affirmation justifiée de son combat. Autrement dit, la problématique première est ici celle du dialogue ininterrompu avec soi et avec le monde. D’une part, elle raconte avec brio les différentes phases qui ont marqué sa vie de la naissance à maintenant, et essaie de donner plus ou moins une orientation sur l’intégration sociale des personnes drépanocytaires restées en marge ou en retrait malgré elles; et de l’autre, c’est plutôt une réflexion qu’elle tente de mener sur les rapports entre les Hommes, proposer l’égalité comme sens premier au-delà des marginalités que peut ressortir de tel ou tel handicap physique ou psychologique. Ce qui fait en tout croire que Minel Princilia Bokapa dresse à travers son œuvre un réquisitoire de faits qui stipule à tous un changement conséquent des mentalités suivant une démarche sociétale, surtout en ce qui concerne les personnes malades ou vulnérables à d’éventuelles maladies qui les contraignent à vivre autrement que les autres. Ainsi se pose la grande question de l’altérité, s’accepter soi-même et accepter l’autre sans pourtant se référer à des préjugés dévalorisants et d’autres intentions inhumaines.

Elle va connaître une enfance épouvantable et tourmentée à cause de sa morbidité. Une adolescence alarmante au point d’être un fardeau pour ses parents avec pour assistante quotidienne sa mère et l’implication totale de son docteur, qui toutefois viendra au secours de ses nombreuses crises agoniques. C’est ainsi que sa vie sera sujette d’interrogations et pleine de réalités calvériques. Elle aura traversé des étapes très pénibles, mais réussira à survivre grâce comme qui dirait à une grâce divine, et le respect de toutes les prescriptions médicales. Elle découvre l’école avec beaucoup de prostration,

subit des injustices, des railleries de la part de ses proches à cause de son inaptitude aux épreuves sportives. Ce qui la condamne au mutisme qui l’épargne de surcroit des accrochages et des rivalités inutiles. Ce qui la conduit à un repli total sur elle-même, à s’interroger sur cette contingence de la vie ou cette réalité macabre à laquelle elle est confrontée. Elle finira par se départir de cet état grâce à son intelligence à l’école, son courage et cette volonté à vouloir se démarquer du comportement stéréotypique de ses condisciples. Elle va créer son propre univers après avoir plusieurs fois été blessée psychologiquement, tant par l’amitié que par la quête de l’amour auquel elle aspirait tantôt ou dont elle aurait souffert dans le silence. Du primaire à l’université, en passant par le collège et le lycée, elle aura été très perspicace, brûlante et dynamique dans toute entreprise. Son état de santé constituera un levier fort pour son combat, un miroir grâce auquel il va tenter plus ou moins d’orienter sa vie. Voilà une vie peut-être difficile qui la prédisposait déjà à une grandeur, donc une grande femme capable de porter de grands projets. Ce qui fait que cette amertume du passé se dilue dans sa détermination à pouvoir partager son expérience, édifier et amener à une fierté de soi malgré les indifférences.

  1. Parler de soi comme une possibilité de parler des autres : le livre-projet

En réalité, ce récit de Princilia Bokapa est un enseignement ouvert au-delà de son caractère autobiographique, un appel réel à la réhabilitation des valeurs humaines, la fierté de soi aussi bien que l’acceptation de l’autre. Son inacceptation de départ, ses nombreuses frustrations vis-à-vis des autres ou encore le regard médisant des autres sur elle, sont autant de causes qui l’ont permises de mieux se comprendre personnellement et d’attiser en elle une flamme altière qui va se concrétiser par la création d’une fondation dénommée Raphael. Alors c’est à travers l’écriture qu’elle panse ses plaies, qu’elle s’accepte comme telle et s’engage à ressusciter sa personnalité, aussi bien nous invite à son combat comme nous l’avons dit plus haut, celui de rompre avec la stigmatisation, les préjugés et la marginalisation des uns envers les autres. C’est le sens même de ce livre-projet, qui ne se limiterait pas qu’au cadre sanitaire, c’est-à-dire prendre fait et cause pour la personne drépanocytaire. C’est pourquoi le livre apparaît intéressant et mériterait plus de propulsion au-delà des frontières. Un regard plus global sur ce livre permettra davantage d’apporter un traitement psycho-social aux personnes drépanocytaires, abandonnées parfois à elles-mêmes sans issues favorables. Cette démarche de notre auteure est très salutaire, aussi renforce-t-elle le programme de santé déjà existant sur la maladie au Congo et dans le monde.

[1] Minel Princilia Bokapa Ewe, De l’ombre à la lumière. Mon parcours de personne drépanocytaire, Brazzaville, L’Harmattan-Congo, 2017.

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