Publié en 2010 aux Éditions l’Harmattan-Congo, ce roman d’Edouard Kali-Tchikati se veut être la moirure quasi-intégrale des réalités africaines en général et congolaises en particulier. Il s’agit pour l’auteur de témoigner de son temps et de combattre les antivaleurs qui jusqu’alors minent sa société.
Nous nous proposons dans ce métatexte, de lire le texte de l’écrivain congolais Édouard Kali-Tchikati, à la lumière d’une approche sociocritique de l’œuvre littéraire. Il s’agira de dégager la proximité entre l’univers paratextuel et textuel, en ce que le titre inscrit sur la page de couverture se donne à lire comme un sésame permettant aux lecteurs de saisir le cadrage thématique de l’œuvre. Notre architecture textuelle se construit autour de deux axes : l’univers paratextuel et le réalisme socio-économique dans l’œuvre.
1. L’univers paratextuel
Réfléchissant à son tour sur le phénomène d’interaction discursive en littérature, Gérard Genette aboutira à une conceptualisation plus vaste de la notion d’intertextualité, en la désignant sous le terme de transtextualité. Et parmi les cinq relations qui structurent cette notion, figure la paratextualité qui recouvre ou entoure le texte. Ici, notre investigation ne se limitera qu’aux éléments de la page de couverture ici présentés : le titre et l’iconographie.
Le titre demeure un élément indissociable au texte. C’est à ce propos que Tchicaya U’tamsi répondait lapidairement et avec raison, à ceux qui qualifiaient sa poésie d’hermétique, que « les clefs de mes œuvres sont sur la porte ».Voyons-en l’articulation dans cet ouvrage d’Edouard Kali-Tchikati, Le Fonctionnaire naguère respecté et envié…
La construction phrastique est suivie d’une aposiopèse, c’est-à-dire, cette figure de style qui consiste à suspendre le sens d’une phrase en laissant au lecteur le soin de la compléter. Ce style titrologique nous rappelle l’ouvrage de Jean-Pierre Makouta-Mboukou, intitulé, Et l’homme triompha…, dont les réseaux syntaxiques et sémantiques sont presque identiques, d’autant plus identiques que les deux instances titrologiques sont expressives à la fois de l’enchantement et du désenchantement individuel. La discontinuité du discours préambulaire confronte le lecteur à une sorte de code que seul le texte décode, c’est-à-dire, un discours qui s’accomplit entièrement dans le texte, en ce que ce dernier regorge toutes ses significations possibles. Et ce référent anthropologique exprime la dialectique de l’existence, qui souvent plonge l’homme dans une réalité cyclique : ascendance et descendance existentielle. L’adverbe temporel « naguère », qui marque un temps récent, s’adjoint au temps de la conjugaison des deux verbes (respecter et envier), pour enfin démontrer à partir des points de suspension, une réalité nostalgique pour le fonctionnaire. La célébrité du fonctionnaire se heurte à une précarité socio-économique de son pays. Le discours péritextuels s’énonce ici comme une parodie de l’illusion, du moins une allusion de la désillusion. Le fonctionnaire se trouvant ici comme marginalisé et martyrisé, pense et repense son existence par une consolation divine, puisque le personnage principal tel que nous l’apprend le narrateur, devint à un moment de sa vie, un pasteur.
Ce titre s’énonce proleptiquement, il est complété intégralement dans le récit. Tel qu’on peut le lire ci-après : « À cause de ces choses, le fonctionnaire respecté et envié, avait perdu toute considération dans la population. » (p.108). Le fonctionnaire n’est autre que le personnage principal, Vang’sy, une onomastie qui se rapproche sans nul doute des origines ethniques de l’auteur.
Et la représentation iconographique ou trace intermédiale entretient ici une étroite relation avec le titre. La figuration ici des tables-banc, bureau vide, dépourvu du matériel adéquat sur la page de couverture ; est la peinture par l’auteur des conditions précaires et insalubres dans lesquelles évolue l’administration publique dans ce pays imaginaire de Bouala. Ce bureau est tel qu’on peut le lire dans le texte, le lieu de travail de Vang’sy et ses trois collègues. Ce « bureau poussiéreux et plein de toiles d’araignées que Vang’sy partageait avec trois collègues, il n’y avait aucun équipement consistant. Les chaises étaient défoncées, boiteuses et rapiécées(…) À chaque pluie entrait dans le bureau(…). » (p.117.)
Aussi faut-il souligner le non-sens sur cette page de couverture. L’architextualité, terme dont la paternité est attribuée à Gérard Genette, se détourne ici d’une composante essentielle, le genre auquel appartient l’ouvrage. Ce n’est qu’en pénétrant l’ouvrage et grâce à l’architecture du texte, que le lecteur s’aperçoit qu’il s’agit d’un roman, car l’indication générique sur la page de couverture n’est pas inscrite.
Au-delà du caractère fictif de cet ouvrage, il convient de souligner qu’il est plein de réalisme socio-économique de l’auteur et de l’univers qui l’entoure.
2. Le réalisme socio-économique dans Le Fonctionnaire naguère respecté et envié…
Aussi vrai que « la littérature est l’expression de la société tout comme la parole en set pour l’homme » comme le souligne Louis Bonald, tout porte à croire qu’un auteur répond avant tout aux problématiques de son époque. Dans cet ouvrage, l’écrivain Édouard Kali-Tchikati fait à la manière d’un psychanalyste, une « psychologie de la vie quotidienne ».Il l’inscrit alors dans la théorie du roman-miroir, dans la mesure où il y transpose avec cruauté et crudité les tares sociétales de son époque. Le penchant fictionnel n’est ici qu’un subterfuge d’écriture, car le texte s’ordonne de bout en bout d’un réalisme patent.
La particularité de ce texte narratif, c’est qu’il s’attarde plus à l’univers social ; univers social auquel s’identifie le lecteur. C’est autant dire que le prosateur s’inscrit dans un contexte stendhalien de l’œuvre littéraire ; d’où son roman se donne à lire comme une « poétique de la socialité ». La représentation de ce bureau non équipé est justement une dénonciation des conditions miteuses et piteuses dans lesquelles sont plongés les fonctionnaires. Cette satire est plus explicite et acerbe lorsque le narrateur décrit crument le statut social du fonctionnaire, celui-ci est marginalisé et lésé, d’autant plus marginalisé qu’il éprouve des difficultés de s’affirmer humainement. Le paiement des salaires est marqué par une irrégularité, combien même le recrutement à la fonction publique se fait injustement. Ce statut du fonctionnaire est d’autant plus dérisoire, qu’il est confronté à une vie de dur labeur. Car à Bouala, tel que nous le confie le narrateur, les fonctionnaires déploraient ce « SIDA », c’est-à-dire, ce salaire insuffisant difficilement acquis. Ce sortilège qui place les fonctionnaires dans une sorte de spirale infernale, est causé par la fermeture d’un organisme international en charge du développement à Bouala. Le secteur économique est en faillite, et les indemnités des fonctionnaires sont réduites. La dimension sociale que prend ce roman a ceci de particulier qu’il nous rappelle l’instabilité politique et économique du Congo à une époque de son histoire.
Le personnage principal de ce roman, Vang’sy, demeure poreux à tous les vents en dépit de son déconvenue. Vang’sy tel que décrit par le narrateur, est un fonctionnaire compétent dans son secteur d’activité. Vivant dans une société en proie au tribalisme et à la corruption, ce héros et héraut prône plutôt la citoyenneté et l’éthique déontologique en milieu professionnel.
Par delà la fonctionnalité du texte, il se révèle un certain nombre de traits de convergences entre le personnage principal et l’auteur sur la page de couverture. Plusieurs attributs favorisent leur rapprochement, notamment la fonction administrative puis la carrière évangélique des deux, d’où l’étroite relation auteur-narrateur.