TEMOIGNAGE. Esprit universel, avocat international d’une dimension respectable, pamphlétaire notoire, défenseur des droits de l’homme et de la justice sociale…On ne saurait trouver assez de mots pour qualifier Jean Martin Mbemba. Assurément, l’ancien ministre d’état, ministre de la justice, garde des Sceaux, sous Sassou 2, mérite une reconnaissance de son vivant. Je n’attendrai pas sa mort pour lui rendre hommage.
Tous les préjugés tombent quand on rencontre celui qui a été le seul avocat africain à avoir defendu le naziste Klaus Barbie. Ancien avocat de Gbagbo, Nicolas Tiengaye, le bâtonnier camerounais Yondo Black, Abdoulaye Wade…
« Je n’ ai pas hésité de souffler à l’oreille de ce dernier, lors de son sejour à Brazzaville, monsieur le président, vous me devez encore des honoraires. On a tous les deux éclaté de rire », s’en souvenait Mbemba, au cours de nos différentes conversations.
L’homme pétillant d’intelligence aussi bien en public qu’en privé est nanti d’un carnet d’adresses impressionnant.
À son domicile du quartier résidentiel du centre ville de Brazzaville(à l’époque), je n’avais pas besoin d’y montrer patte blanche. Le puissant ministre de la justice m’avait quasiment adopté. Notre première rencontre s’est faite en 2003 lorsqu’il m’avait fait chercher pour lui parler en profondeur de l’affaire Humberto Brada. En ma qualité de correspondant de Jeune Afrique Économie, j’enquêtais sur cette société qui remunerait ses épargnants au taux mirobolant de 30%, en sus du dépôt initial, au bout de 45 jours. Je dus lui donner quelques détails sur la double identité congolaise de Kinshasa et angolaise, avec différents noms, du pdg du groupe éponyme salu humberto brada…
Est-ce pourquoi le ministre de la justice avait remercié quelques membres de son cabinet le lendemain, notamment son directeur de cabinet?
Je revoyais, à chacune de nos rencontres, l’image de l’avocat remarquable lors du procès dit » pose des bombes à Maya Maya et au cinéma star ». Procès au cours duquel maîtres Senghor, Julienne Ondziel, Martin Mbemba…, ont fait montre de leurs qualités intrinsèques pour défendre Thystere Tchicaya, Ndalla « Graille », Biapandou Daniel, Kembissila et le français Buissou. Homme de grande culture, Mbemba est plein d’anecdotes et histoires amusantes. On ne perd jamais du temps à l’écouter. Quelques morceaux choisis:
« Le président m’a chargé de faire le tour des pays africains pour préparer le sommet de la francophonie à Brazzaville…Sommet auquel devaient prendre part son secrétaire général Abdou Diouf et le président français Jacques Chirac. Stratégiquement, me confiait-il, j’ai commencé par l’Afrique centrale, précisément à Yaoundé. J’ai trouvé la bonne formule pour faire venir Paul Biya, à qui j’ai dit: » vous êtes tant respecté en Afrique, monsieur le président, que je préfère commencer par vous, avant de me rendre chez Bongo… »
Flatté par ces mots très diplomatiques et aimables, Biya esquissa un sourire et me pria de transmettre ses sincères remerciements à Denis Sassou Nguesso, avant de dire, d’une voix douce, je serai là, à Brazzaville ».
Le président camerounais, reconnu harpagon, lui a même offert une enveloppe…
À son retour du Cameroun, Martin Mbemba me tendit le quotidien Le Messager, proche de l’opposition camerounaise, dans lequel il avait été tant marqué par la qualité d’un article sur le droit international humanitaire, écrit par le docteur jurisconsulte Shanda Tonmé. Le ministre me recommanda, moyens financiers à l’appui, de le mettre en contact avec l’auteur de cet article. Qui a finalement été invité à Brazzaville à l’occasion du sommet de la francophonie.
L’autre anecdote concerne feu le président Omar Bongo Ondimba.
En pleine effervescence politique des années 90, le président gabonais fait face à une fronde entretenue par ses opposants. Parmi eux, un avocat tant redouté par lui. Sur ces entrefaites, le président gabonais me fit venir à Libreville », me confia t-il, sourire en coin. » À mon entrée au Palais du Bord de Mer, poursuit Martin Mbemba, Bongo s’adressa à moi en langue maternelle Téké pour me dire: » Il n’ y a que toi pour me sauver. Ton ami et confrère avocat est celui qui me dérange le plus ici. Essaie de lui dire que nous n’allons pas oublier que le Gabon est notre bien commun. Pendant que nous devisions, le président me dit en patois: où est ton sac(pendant qu’il semblait pousser du pied un « nguiri »…? Rires. Homme de grande culture, Mbemba peut te parler du Psg, Barça, Manu Dibango, Zaiko, Youssou Ndour, Mitterand, Bill Clinton, de grands écrivains et journalistes africains…
En ce qui concerne le Congo, il ne cachait pas son opposition au changement de la constitution de 2002 .
» En ma qualité de ministre de la justice pendant la période post conflit, m’expliquait-il avec regret, j’avais posé la question du verrou sur les mandats au constitutionnaliste beninois qui s’est chargé de sa rédaction. C’était au cours d’une réunion à huis clos. Les gens ont émis un avis contraire au mien… ».
Aujourd’hui en exil en France, à la suite de sa condamnation par contumace prononcée en son encontre, Jean Martin Mbemba pourra t-il bénéficier de la grâce présidentielle tout autant que Kolélas, Yhombi, Ntumi…?
Vaudrait mieux qu’il vive ses vieux jours au Congo qu’en France. Claude Ernest Ndalla aussi.
Par A. Ndongo
Journaliste économique et financier