Congo Brazzaville/La fin d’une génération. Camille Bongou, l’homme politique pur s’en est allé

DISPARITION. Les disparitions de Camille Bongou et d’ autres figures emblématiques du landerneau politique national sonnent la fin d’une époque, et ouvrent la voie à un profond renouvellement qualitatif de la scène nationale. Assurément, Camille Bongou méritera, espérons le, une reconnaissance en HD, à la dimension du grand homme politique qu’il a été. Au pct, son parti dont il a été l’une des égéries dans les années 70-80, une certaine indifférence crève encore les yeux. Au domicile du décédé, quartier OCH, Moungali 3, où se tient la veillée mortuaire, rien ne prouve qu’il s’agissait d’un grand homme politique. À près de 80 ans, l’homme qui, dans les années 70-80, a fait la pluie et le beau temps du Parti Congolais du Travail(pct), s’en est allé. Ses camarades du parti et proches le savaient malade, mais personne ne présageait que l’un des ténors de la classe politique nationale allait rendre l’âme en France. On ne verra plus l’homme au visage plein de bonhomie et au crâne ou au visage rasé de près, arborant son ensemble abatcoste se frotter avec nous aux discussions intellectuelles. On n’apercevra plus sa longue silhouette arpenter les marches qui mènent à sa petite maison d’édition et de réflexion sise au centre ville de Brazzaville. On n’entendra plus sa voix présente de grand révolutionnaire qu’il fut, notamment lorsqu’il s’agissait de convaincre un camarade. J’ai connu Camille Bongou de manière fortuite. Feu Jérôme Ollandet, mon père adoptif, alors ambassadeur du Congo au Cameroun, chez qui j’ai résidé au quartier Bastos, à Yaoundé, m’avait confié un courrier que je devais remettre en main propre à son frère et ami Camille Bongou, le puissant numéro deux du parti à l’époque. C’est un homme d’une humilité de moine que j’ai rencontré ce jour-là, à sa résidence officielle, à proximité du Palais du Peuple à Brazzaville. Il promena son se regard sur moi et me dit après entretien: » ton niveau scolaire acquis au Cameroun m’impressionne « . Il me sourit. S’établit alors entre nous une sympathie intarissable. Pour la petite histoire, Camille Bongou faisait partie de la famille politique de l’extrême gauche au sein du pct. Il combattait les thèses réactionnaires, anti-révolutionnaires, relevant de l’idéologie bourgeoise. Cette propension politique visant à recadrer les choses l’a mis out du circuit politique pendant un moment. C’était sous le régime de feu le président Marien Ngouabi, à qui il reprochait, aux cotés d’autres camarades, d’avoir accueilli, dans la famille politique de gauche, et favorisé l’ascension politique fulgurante des gens qui appartenaient à la fameuse » ligne droitière et liquidationnisste ». Cette cohabitation politique a conduit à la crise du 22 février 1972, appelée Mouvement du 22 février ou M22, quand Ange Diawarra et ses fidèles compagnons : Camille Bongou, Jean Baptiste Ikoko, Prosper Matoumpa Mpolo, Kimbouala Nkaya, Benoît Moundélé -Ngollo, etc., tentent un coup de force. Ambroise Edouard Noumazalay et Claude Ernest Ndalla faisaient également partie du mouvement mais préféraient agir sous la cape. Camille Bongou, le philosophe politique, a connu les vicissitudes et les turpitudes de la vie, la grandeur et la traversée du désert. Jusqu’à sa mort, il n’était plus utilisé comme il aurait dû l’être pour redynamiser le pct et former l’élite de demain. « Les morts ne sont pas morts », écrit le poète sénégalais Birago Diop. Par A. Ndongo Journaliste économique et financier.
Congo Brazzaville/Vers la fin d’une génération. Maître Jean Martin Mbemba tel que je le connais

TEMOIGNAGE. Esprit universel, avocat international d’une dimension respectable, pamphlétaire notoire, défenseur des droits de l’homme et de la justice sociale…On ne saurait trouver assez de mots pour qualifier Jean Martin Mbemba. Assurément, l’ancien ministre d’état, ministre de la justice, garde des Sceaux, sous Sassou 2, mérite une reconnaissance de son vivant. Je n’attendrai pas sa mort pour lui rendre hommage. Tous les préjugés tombent quand on rencontre celui qui a été le seul avocat africain à avoir defendu le naziste Klaus Barbie. Ancien avocat de Gbagbo, Nicolas Tiengaye, le bâtonnier camerounais Yondo Black, Abdoulaye Wade… « Je n’ ai pas hésité de souffler à l’oreille de ce dernier, lors de son sejour à Brazzaville, monsieur le président, vous me devez encore des honoraires. On a tous les deux éclaté de rire », s’en souvenait Mbemba, au cours de nos différentes conversations. L’homme pétillant d’intelligence aussi bien en public qu’en privé est nanti d’un carnet d’adresses impressionnant. À son domicile du quartier résidentiel du centre ville de Brazzaville(à l’époque), je n’avais pas besoin d’y montrer patte blanche. Le puissant ministre de la justice m’avait quasiment adopté. Notre première rencontre s’est faite en 2003 lorsqu’il m’avait fait chercher pour lui parler en profondeur de l’affaire Humberto Brada. En ma qualité de correspondant de Jeune Afrique Économie, j’enquêtais sur cette société qui remunerait ses épargnants au taux mirobolant de 30%, en sus du dépôt initial, au bout de 45 jours. Je dus lui donner quelques détails sur la double identité congolaise de Kinshasa et angolaise, avec différents noms, du pdg du groupe éponyme salu humberto brada… Est-ce pourquoi le ministre de la justice avait remercié quelques membres de son cabinet le lendemain, notamment son directeur de cabinet? Je revoyais, à chacune de nos rencontres, l’image de l’avocat remarquable lors du procès dit » pose des bombes à Maya Maya et au cinéma star ». Procès au cours duquel maîtres Senghor, Julienne Ondziel, Martin Mbemba…, ont fait montre de leurs qualités intrinsèques pour défendre Thystere Tchicaya, Ndalla « Graille », Biapandou Daniel, Kembissila et le français Buissou. Homme de grande culture, Mbemba est plein d’anecdotes et histoires amusantes. On ne perd jamais du temps à l’écouter. Quelques morceaux choisis: « Le président m’a chargé de faire le tour des pays africains pour préparer le sommet de la francophonie à Brazzaville…Sommet auquel devaient prendre part son secrétaire général Abdou Diouf et le président français Jacques Chirac. Stratégiquement, me confiait-il, j’ai commencé par l’Afrique centrale, précisément à Yaoundé. J’ai trouvé la bonne formule pour faire venir Paul Biya, à qui j’ai dit: » vous êtes tant respecté en Afrique, monsieur le président, que je préfère commencer par vous, avant de me rendre chez Bongo… » Flatté par ces mots très diplomatiques et aimables, Biya esquissa un sourire et me pria de transmettre ses sincères remerciements à Denis Sassou Nguesso, avant de dire, d’une voix douce, je serai là, à Brazzaville ». Le président camerounais, reconnu harpagon, lui a même offert une enveloppe… À son retour du Cameroun, Martin Mbemba me tendit le quotidien Le Messager, proche de l’opposition camerounaise, dans lequel il avait été tant marqué par la qualité d’un article sur le droit international humanitaire, écrit par le docteur jurisconsulte Shanda Tonmé. Le ministre me recommanda, moyens financiers à l’appui, de le mettre en contact avec l’auteur de cet article. Qui a finalement été invité à Brazzaville à l’occasion du sommet de la francophonie. L’autre anecdote concerne feu le président Omar Bongo Ondimba. En pleine effervescence politique des années 90, le président gabonais fait face à une fronde entretenue par ses opposants. Parmi eux, un avocat tant redouté par lui. Sur ces entrefaites, le président gabonais me fit venir à Libreville », me confia t-il, sourire en coin. » À mon entrée au Palais du Bord de Mer, poursuit Martin Mbemba, Bongo s’adressa à moi en langue maternelle Téké pour me dire: » Il n’ y a que toi pour me sauver. Ton ami et confrère avocat est celui qui me dérange le plus ici. Essaie de lui dire que nous n’allons pas oublier que le Gabon est notre bien commun. Pendant que nous devisions, le président me dit en patois: où est ton sac(pendant qu’il semblait pousser du pied un « nguiri »…? Rires. Homme de grande culture, Mbemba peut te parler du Psg, Barça, Manu Dibango, Zaiko, Youssou Ndour, Mitterand, Bill Clinton, de grands écrivains et journalistes africains… En ce qui concerne le Congo, il ne cachait pas son opposition au changement de la constitution de 2002 . » En ma qualité de ministre de la justice pendant la période post conflit, m’expliquait-il avec regret, j’avais posé la question du verrou sur les mandats au constitutionnaliste beninois qui s’est chargé de sa rédaction. C’était au cours d’une réunion à huis clos. Les gens ont émis un avis contraire au mien… ». Aujourd’hui en exil en France, à la suite de sa condamnation par contumace prononcée en son encontre, Jean Martin Mbemba pourra t-il bénéficier de la grâce présidentielle tout autant que Kolélas, Yhombi, Ntumi…? Vaudrait mieux qu’il vive ses vieux jours au Congo qu’en France. Claude Ernest Ndalla aussi. Par A. Ndongo Journaliste économique et financier