Le Mbongi et le devenir du Muuntu chez les Koöngo
Le « Mbongi et le devenir du Muuntu chez les Koôngo » est le titre d’un bel ouvrage que le kongologue Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU vient de publier en ce début d’année 2016, aux Editions les Impliqués-L’Harmattan. Comme le mentionne parfaitement bien son préfacier, l’Abbé Olivier Massamba Loubelo, l’auteur a fait « une descente initiatique dans les entrailles de la culture-mère, pour la présenter aux générations d’aujourd’hui et de demain … ». C’est vraiment, une des rares études, qui traite du Mbongi de façon très approfondie et qui, longtemps durant, a été le lieu idéal dans la société Koôngo pour se retrouver, se rencontrer, partager et régler les différends de toute sorte.L’étude de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU a ce mérite particulier de mettre en lumière les différents rôles que joue le Mbongi et lesquels au final contribuent, d’une manière ou d’une autre, à la formation du MUUNTU. Le Mbongi apparaît comme une haute institution d’éducation et de formation de l’être ou du MUUNTU. Le jeune garçon y est reçu dès l’âge de 5 ans pour apprendre le sens organisationnel de la parole qui passe avant tout par un apprentissage fort nécessaire de la loi de l’écoute, c’est-à-dire le WA. C’est comme si, chez les Koôngo, le devenir de l’être, passe par l’adoption de deux principes de vie que sont : le WA et le BA. Le BA, est expression du devenir de l’être ou du MUUNTU et il ne peut être que, si dès le jeune âge l’enfant ou mwaanaest absolument astreint à la loi d’écoute, d’observation ou d’analyse autrement dit soumis à la loi de WA. Dans la langue Koôngo, l’on dira, mwaana muuntu fweti wa ngatu ka ba autrement dit, dans le devenir de l’être ou du MUUNTU, l’écoute est d’une importance capitale d’autant plus qu’elle est un des éléments indispensables de l’intégration chez l’être du principe de respect ou de BU-ZITU. NTU BUZITU, MPU BUZITU dispose un adage Koôngo, ce qui veut dire que le respect et le rayonnement de la couronne dépendent intimement de la personnalité et de la sagesse de l’être qui en est investi. C’est ce que l’on apprend, entre autres, au Mbongi. Quelle belle école ancestrale ! L’éducation de la jeune fille étant assurée dans d’autres instances éducationnelles, celle du jeune garçon ou mwaana bakala passe par le Mbongi qui, en plus de cela joue d’autres fonctions pour son plein épanouissement existentiel. L’ouvrage de Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU est fort intéressant car on y découvre les analyses des Sages ou des Anciens comme le vénéré pasteur Emile Cardinal BIAYENDA sur le Mbongi et on ne peut que regretter le fait que les autorités chargées de l’Education Nationale au Congo n’aient pas pu exploiter les bienfaits de cette haute institution. La dépravation des mœurs, tous les maux qui rongent la jeunesse congolaise qui est en perte de vitesse doivent en principe être la cause d’une renaissance tant souhaitée par beaucoup de Congolais du Mbongi. Le Mbongi est, peut-on dire, l’avenir et le devenir de la jeunesse congolaise de demain. C’est ainsi qu’on nous a toujours appris au village, comme le rapporte si bien le professeur Justin-Daniel GANDOULOU « Lorsqu’on se trompe de chemin, il vaut mieux de repartir au point de départ (ou à la première intersection) pour se retrouver. Pendant longtemps, sous l’égide de l’éducation traditionnelle et notamment de mboongi, notre société avait maintenu son équilibre. Mais les changements intervenus à tous les niveaux (socioculturels, économiques et politiques) ont eu des incidences profondes sur les attitudes, les comportements et les mentalités des Congolais. Sur ce point, un consensus se dégage chez les observateurs et les éducateurs. Tous s’accordent donc pour dire que le pays est sur une mauvaise voie… » in « Les Nouveaux Enjeux pastoraux entre tradition et modernité hommage au cardinal Biayenda » Editions Ices 2013 P.109 et s. Au final, un bel ouvrage sur le Mbongi qui nous est offert par le kongologue Rudy MBEMBA-DYA-BÔ-BENAZO-MBANZULU en ce début d’année 2016, qu’il convient bien évidemment de lire et de faire découvrir autour de soi pour une meilleure connaissance de celui-ci. ELIEZERE BAHADILA Licenciée en Psychologie
Le Muuntu et sa conscience linguistico-spirituelle face à la mort
Quelle que soit l’explication qu’on peut donner sur la ou les causes ayant entrainé la mort d’une personne, celle-ci demeure toujours une énigme pour l’homme Koòngo ou les Bantous en général. La mort n’est point définie par le Muùntu’a Koòngo comme étant un arrêt fonctionnel du principe vital ou comme une absence totale de vie de la personne en cause. Elle est, bien au contraire vie, certes une autre forme de vie mais qui, toutefois est complètement sous la gouvernance de Dieu lui-même NzaMbi MpuNgu. C’est sous cet angle, que la terminologie de la question de la mort revêt une importance considérable. Elle est, peut-on dire, révélatrice puisqu’elle révèle, entre autres, l’âme profonde des croyances sur l’au-delà de Muùntu’a Koòngo. A titre d’exemple, le corps du défunt est désigné par l’expression mvuùmbi-muuntu. D’emblée, force est de noter que, ce terme dérive du verbe vuùmbila/vuùmbika qui veut dire courber, pencher, incliner, plier voire envelopper. Il s’agit là d’une terminologie qui tend à décrire les différentes étapes d’entretien du corps du défunt avant son dernier grand voyage. C’est ainsi que son corps sera vêtu d’une certaine manière donnée avant d’être courbé dans le cercueil à l’effet de le faire reposer définitivement en paix en l’enterrant. Outre cette signification d’entretien du corps du défunt, le mot mvuùmbi est la traduction même de la pensée profonde du Muùntu ou de l’homme Koòngo sur le phénomène de la mort. En effet, ce dernier définit la mort comme étant une manifestation de l’appel du temps sur l’être, donc de Dieu lui-même NzaMbi MpuNgu . En réalité le terme mvuùmbi comporte deux vocables à savoir : MVU = temps, période, saison ; MBI ( de MBILA) = appel , convocation Ceci dit, étymologiquement parlant le mot mvuùmbi décrit la manifestation de l’appel du temps sur la personne de l’être ou du Muùntu du fait de son âge, en l’occurrence de sa vieillesse. C’est à ce titre que, longtemps durant, l’homme Koòngo ne pouvait concevoir la mort trop précoce de son semblable ou de lui-même. Une telle mort étant considérée autrefois par lui comme étant une manœuvre de ceux qui ont le mauvais œil, les Ndoki, c’est-à-dire les sorciers. A ce propos, le père Van Wing rapporte : « Les maladies ne sont pas considérées comme des faits ayant une explication dans le cours normal de l’action et de la réaction des causes naturelles. Toute maladie jusqu’à preuve du contraire est due à l’action directe ou indirecte du ndoki = sorcier ou d’un mauvais esprit. Quand la preuve du contraire a été faite, alors une seule cause est entrée en jeu. NzaMbi MpuNgu. « NzaMbi MpuNgu lui-même a appelé l’homme ». Il l’a fait mourir. A cela il n’y a rien à dire, il n’y a pas de remèdes ni d’armes contre NzaMbi. » (Van Wing in « Etudes Bakongo Sociologie-Religion et Magie 2iè édition 1959 Desclée de Brouwer P.231.) Selon qu’il ait été bon ou mauvais, une fois mort, l’être devient un Kiìba, c’est-à-dire un esprit bienfaisant voire un Kuùlu ou un mu-kuyu, c’est-à-dire un esprit errant. Ici, une fois de plus, la terminologie Koòngo ou bantoue face à la mort est fort évocatrice. Tout d’abord le mot Kiìba signifie couvercle, en l’occurrence d’une marmite. Au pluriel, ce mot donne Biìba. Ainsi par analogie à cet ustensile qui sert de couverture d’une marmite, les esprits des bons ancêtres ayant été justes devant Dieu NzaMbi MpuNgu servent aussi de couverture, de protection donc d’esprits gardiens voire d’esprits bienfaisants vis-à-vis des vivants. Ce sont ces esprits qui, selon Placide Tempels contribuent au renforcement de la force vitale des clans ou Ma-kaànda. Ce sont les ancêtres qui assurent la propagation du clan d’où, entre autres, leur appellation de Mbuùla (ou Mbu-wula). Ici, le vocable de Mbu exprime toute idée d’aide et de soutien sous forme de délices des esprits bienfaisants que sont les Biìba sur les vivants. Quant au vocable de wula, il décrit la nature même d’aide et de soutien qui se traduit par le souffle ou la force vitale que les Biìba attribuent aux vivants. Ainsi par leur bonté, depuis l’au-delà, les Biìba ou Mbuùla éjectent le souffle divin ou procèdent au renforcement de la force vitale du clan ou kaànda. C’est à ce titre qu’ils sont aussi appelés Kuùlu ou Ba-Kuùlu, du verbe Kuùla qui veut dire grandir, germer, croître. On les appelle ainsi par ce qu’ils ont été justes et bons sur terre ayant, à ce titre été élevés au rang des esprits bienfaisants des ancêtres. Quant au mauvais défunt qui n’est connu que de Dieu NzaMbi MpuNgu lui-même, il est censé porter dans l’au-delà l’habit de l’errance, c’est-à-dire celui de mu-kuyu lequel mot dérive du verbe ku-yuùnga ou ku-ya qui exprime l’idée de feu destructeur, de déchéance et d’errance. Par ailleurs, quand le mort est enterré, l’homme Koòngo considère qu’à ce stade, le défunt se met corrélativement dans une situation de voyage de non retour à la vie charnelle ou humaine d’où la signification étymologique de l’expression « Ngwala yaya wele ku bi-tsiìnda », le défunt s’en est allé au pays du non retour. Ici, le vocable de Tsiì désigne le pays, le nouvel espace existentiel de l’esprit du défunt. Associé au mot bi, il entend simplement exprimer le pluriel du mot Tsiì. Quant au vocable de Nda, il traduit l’idée d’éloignement, de distance donc du pays de non retour. Il arrive parfois que l’on puisse employer le mot Mbaànza à la place de Bitsiìnda. Dans ce cas, le pays de non retour revêt une toute autre signification qui est celle de la cité céleste. Mbaànza évoquant, dans le cas d’espèce, et ce, étymologiquement, les profondeurs de l’univers auxquelles l’esprit du défunt va dorénavant être plongé à savoir : la cité céleste . C’est ainsi que la mort est, pour l’homme Koòngo, un véritable voyage énigmatique qui, d’une part se caractérise par un arrêt du fonctionnement biologique ou physiologique de l’être et qui, d’autre part s’effectue par le départ du corps spirituel ou astral