Quand les États-Unis tournent la page de la guerre en Ukraine lentement, mais sûrement

TRIBUNE. Les choses semblent s’accélérer en Ukraine. C’est le moins que l’on puisse dire au regard des propos tenus ces derniers jours par de hauts responsables américains.

En effet, après le groupe d’élus démocrates qui a demandé à l’administration Biden d’engager des pourparlers directs avec Moscou, et la secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen qui a appelé implicitement à la fin de la guerre en Ukraine pour relancer l’économie mondiale, c’est maintenant le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, qui exhorte le gouvernement ukrainien à entamer des discussions avec la Russie.

Même si la Maison-Blanche affirme ne pas exercer des pressions sur Kiev, que la décision d’entamer des négociations avec les Russes revient au président Volodymyr Zelensky et que les États-Unis continueront à soutenir l’Ukraine, la vérité est qu’on est en train de tourner la page de la guerre lentement mais sûrement du côté de Washington. Zelensky en est conscient, raison pour laquelle il se montre de moins en moins exigeant à l’égard de la Russie, et ce même s’il a été galvanisé ces derniers jours par le retrait de l’armée russe de la ville de Kherson.

À ce dernier propos, il convient de souligner que si le retrait de Kherson constitue une « défaite » pour la Russie sur le plan symbolique et médiatique, il faudra être naïf pour penser que les Russes laisseront définitivement cette ville aux mains de l’Ukraine (à moins que l’Ukraine concède plus ailleurs). En fait, ce retrait, qui est en réalité un repli tactique, obéit aux principes de l’art opératif tel que pratiqué par les Russes. Comme je l’ai écrit dans un billet, il y a plusieurs semaines, le plus important dans l’art opératif n’est pas de gagner la guerre, mais d’atteindre des objectifs stratégiques que l’on s’est fixés. Et comme l’ont reconnu certains experts occidentaux, l’occupation de Kherson avait une importance stratégique relative.

Pour le reste, si les quelques gains obtenus par l’Ukraine sur le terrain militaire semblent expliquer la posture américaine, il n’en demeure pas moins que ce pays devra se résoudre à oublier les parties de son territoire conquises et annexées par la Russie. Le général Milley, dont les propos ont mis l’administration Biden dans l’embarras, ne se fait pas d’illusions à ce propos. «La probabilité d’une victoire militaire ukrainienne, consistant à chasser les Russes de toute l’Ukraine, y compris de la […] Crimée, la probabilité que cela se produise bientôt n’est pas élevée, militairement parlant», a-t-il déclaré. Selon le haut gradé américain, l’Ukraine a déjà déploré près de 100 000 morts et blessés sur le champ de bataille depuis le début de la guerre. Un nombre qui est certainement en deçà de la réalité des faits.

En outre, l’Ukraine, pour ne pas perdre la face, devra faire semblant de négocier en position de force face à une Russie, qui ne semble pas avoir dit son dernier mot. En effet, non seulement les Russes sont en train de renforcer leurs positions dans le Donbass, mais il y a de fortes chances qu’ils repartent à l’assaut de Kherson — qu’ils considèrent comme faisant désormais partie du territoire russe—, quitte à foncer jusqu’à Odessa. De quoi effrayer les stratégistes américains. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le président Vladimir Poutine a appelé à la mobilisation partielle de 300 000 réservistes. L’hiver promet d’être chaud en Ukraine. Et au Pentagone, on en est conscient. Raison pour laquelle on fait tout pour ramener les parties à la table des négociations avant qu’il ne soit trop tard pour l’Ukraine…

Par Patrick Mbeko

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