Chêne de Bambou, c’est l’art de se forger une personnalité au fil des épreuves de la vie. Des épreuves joyeuses, pénibles ou nostalgiques qui vous déforment une personne, la dévergondent ou la forgent au gré de ses rêves imbibés, trompés ou vécus. Des rêves qui se frottent à la rudesse de la vie train-train en confrontation avec l’altérité, mieux, avec le connu devenu inconnu et vice-versa.
Chêne de Bambou est donc une épreuve romancée de la vie, avec ses hauts et ses bas ; c’est l’épreuve d’une vie en sursis, qui se transforme en une vie en prose, moins versée sur l’émotion que sur le réalisme critique ; un réalisme qui atteint son paroxysme sur un pont culturel bâti par deux jeunes femmes entre le midi et l’occident, le Congo et la France.
Liss Kihindou y peint le rêve du voyage, l’envie de partir dans les lettres, pour permettre à sa vie de se transformer en livre. L’écrivaine nous montre que la vie est dans les lettres, dans les lettres qu’on aurait écrites comme dans les lettres qu’on n’écrirait jamais parce que notre cœur n’arrive pas à s’en séparer. Or, pour se forger une personnalité, un caractère en acier trompé, il faille bien les confronter à autrui, donc à la vie, afin de savoir se loger entre l’écorce du chêne et la peau du Bambou et de rester soi-même tout en ne vivant pas que pour soi-même : telle est la vocation humaine, dans un monde devenu global… d’autant que l’homme est un animal social, qui est aussi un loup pour l’homme.
Chêne de Bambou, c’est la vie du livre, c’est la vie en livre et l’envie du livre faite chaire… Car, le livre, comme un chêne ou un bambou, résiste aux épreuves du temps, aux siècles et aux intempéries de tous ordres… y compris les censures. Le livre, c’est l’avenir de l’homme ; car, les livres sont des êtres comme les autres ; ils ont une âme, ils ont l’âme que nous leur donnons ; ils ont une force de poigne, que dis-je, une force d’empoigne, tout en étant aussi sensuels et charmants… Ils portent en eux ce désir de partir, ce désir d’aller voir ailleurs pour s’aérer sans se perdre. Ils nous permettent de découvrir l’âge et l’avenir de la passion.
Chêne de Bambou nous permet de partir loin sans oublier son lointain laissé loin derrière soi, la famille, le terroir et ses racines… Il nous permet ainsi d’apprendre comment vivre à la fois des rêves de chêne et des rêves de bambou, en déclarant sa flamme au livre… C’est un art de vivre qui atteste que « les arts mettent en valeur la vie » (page 72), et que la vie est un art.
Quand on a lu et compris Chêne de Bambou, « rien ne sert plus de guetter la météo pour savoir le temps qu’il fait sur le corps des autres » (page 57) ; on comprend que quand on est Bambou rien ne sert devenir Bamboula dans la vie pour réussir ; et on peut ainsi apprendre à vivre avec les vertus de la solidarité, de l’honnêteté et de la vérité, qui nous permettent de recevoir de l’aide des autres et d’aider les autres à notre tour sans se ruiner, comme dans un cercle vertueux.
Ce premier roman de l’écrivaine franco-congolaise Liss Kihindou (paru en 2013 aux éditions Anibwe) est une vraie eau de vie, une source de jouvence, c’est comme le fleuve, vraiment comme le fleuve et ses aliquantes ; c’est la vie des autres, qui devine ce que vous pensez sans penser le dire… comme pour vous soulager. Et, ce que vous n’avez jamais osé dire, Liss le dit, le rendant potable, voire lice, buvable et tout bénef pour le lecteur… pour que le livre ne souffre plus de Kwashiorkor à l’avenir…